Chapitre 40

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- Zelda, ce n’est pas de ta faute. C’est de la mienne. Si depuis le début, je ne m’étais pas contentée d’obéir aux ordres, de dire oui, d’écouter les conseils des autres et que j’avais agi, que j’avais parlé, nous n’en serions pas là, ni l’une ni l’autre. Je sais que tu dois penser que sans ça, nous ne nous serions jamais rencontrées, mais je crois qu’au contraire, tout aurait été plus rapide, plus sûr, tout aurait été plus beau. Nous n’aurions pas fini en prison, tu n’aurais jamais eu à tuer, tu serais toujours proche de ton frère, sans aucun doute. Depuis que mes parents ont décidé que j’étais en d’assez bonnes mains pour diriger la compagnie, c’est-à-dire depuis plus de dix ans maintenant, je n’ai cessé de répéter leurs erreurs et de les aggraver. Quelle idée, aussi, de mettre autant de pouvoir dans les mains d’une gamine de dix ans ! Le résultat, le voilà : un monde bâti sur un mensonge, des fondations fragiles, d’os et de sang, une population aveugle, et des résistants cachés, incapables du moindre pas en avant sans le voir changé en retraite. Tout ça parce que je ne suis pas capable de donner le moindre ordre, de faire respecter la moindre de mes décisions, de… Ah, j’enrage ! Tu vois, tu n’as rien à te reprocher, si dès le départ j’avais fait ce qu’on attendait de moi, tu n’aurais jamais eu à tuer personne.

Doucement, elle vit se soulever les lourdes paupières de la jeune femme, glisser vers elle ses yeux chocolat, et elle découvrit un sourire qu’elle n’attendait pas.

- Pourquoi…

Une brusque toux l’interrompit et la plia en deux, la forçant à se redresser. Immédiatement, son amie replaça son oreiller et l’aida à s’installer en position assise, tandis qu’elle cherchait quelque chose qui ressemblait plus ou moins à un verre d’eau. Elle revint bredouille, tandis que le sourire sur les lèvres de son amie s’était agrandi, et que celle-ci lui montrait ce qui ressemblait effectivement à une petite grotte aménagée de l’autre côté en salle d’eau. Après quelques minutes de bataille solitaire avec le robinet, elle lui apporta le précieux sésame, qui lui rendit plus ou moins ses forces.

- Tu sais, bredouilla Zelda d’une voix encore un peu rauque de ne pas avoir beaucoup parlé, je ne crois pas que ça aurait changé grand-chose. Qu’on se rencontre aujourd’hui ou demain, l’amour s’en fiche bien. Qu’importe quand je t’aurais rencontrée, c’était inévitable. Mais tu ne parviendras jamais nulle part si tu… Pardon, je ne devrais pas m’étouffer au milieu… Tu n’arriveras jamais à rien si tu te contentes de regretter le passé. C’est déjà assez difficile de vivre nos vies, si en plus il faut les refaire sans cesse, alors on n’a pas fini, hein ? Merci de me l’avoir fait comprendre… J’avais beau le savoir, entendre quelqu’un d’autre que moi le dire, c’est comme si je l’apprenais à nouveau… C’est stupide, je sais, mais… J’aime bien qu’on me dise des choses que je sais déjà. J’ai l’impression de les redécouvrir, de retrouver ce je ne sais quoi de mystérieux qui me fait aimer la vie…

- Tout le monde a besoin des autres, tu sais, pour ce genre de petites choses, pour ces petits mots, pour ces quelques instants qui embellissent une vie. Toi et moi, nous sommes différentes. Moi, je m’appuie sur les autres, j’ai désespérément besoin d’eux pour avoir l’impression d’exister, de vivre ne serait-ce qu’une demi-vie, heureuse ou malheureuse. Toi, tu es celle sur laquelle on s’appuie, à qui on demande conseil, qui offre son aide, toujours avec un sourire merveilleux, sans jamais rechigner, sans jamais refuser quoi que ce soit.

- On place trop d’espoirs dans les autres…

- Moi pour espérer être quelqu’un, celle qu’on attend que je sois, alors que j’en suis incapable…

- Et moi parce que j’ai peur de ne pas être à la hauteur.

- C’est pareil, tu crois ?

- C’est la même chose, j’en suis sûre…

- Alors pourquoi ne nous sommes pas trouvées avant ?

- Oh, nous avons toujours su, je crois…

- Toujours su quoi ?

- Enfin, Joy, regarde autour de toi, et regarde à l’intérieur de toi. C’était évident, n’est-ce pas ?

- Je ne dirais pas évident, souria-t-elle, mais plutôt… Inévitable…

- Si tu crois au destin, alors certainement ! Pas d’amour sans rencontre, pas de rencontre sans quelqu’un pour les orchestrer, c’est ça ? Alors dis-moi, qui t’a dit de venir me voir ? Qui t’as poussée à m’aimer et à faire tout ce que tu as fait ? Un quelconque Dieu ? Dans ce cas, tu n’es qu’une marionnette, résignée à suivre chacun des mouvements de tes fils.

- Je ne…

- C’est ça, que tu appelles Dieu, le Destin, et toutes ces choses inutiles que l’homme a créées pour céder plus facilement à la fatalité.

- Zelda, je ne comprends pas pourquoi tu réagis aussi bizarrement… Je vois ce que tu veux dire, mais pourquoi ce que tu dis ne serait-il pas justement…

- Ton argument se tient, je sais. Mais je n’ai pas envie d’y croire. Parce que j’ai envie d’être libre, de me dire que rien ni personne ne peut me contrôler, qu’aucun chemin n’a été tracé pour moi parce qu’il n’y a pas qu’une seule voie, qu’un seul futur et que, d’une manière ou d’une autre, mes choix impactent qui je suis, qui je deviendrai, que je peux décider de qui je serai.

- Dans ce cas, qui es-tu ?

- Je suis Zelda Carmen, je suis Renouveau, je suis la meurtrière, l’amoureuse, la grande sœur, la fille, l’amie, la sauveuse, l’ombre dans la rue, le visage aux infos, la menace et le remède à une maladie qui n’a que trop durée. Et toi ? N’es-tu que Joy Kafka ? Valkyrie, la Présidente, l’amie, l’amoureuse ne sont-elles que des autres que tu as délaissées après t’en être servies ? Leur destin, puisque tu sembles attachée à cette notion, n’est-il que d’être utilisées puis jetée lorsque tu changes de forme ?

- Bien sûr que non, mais je ne comprends pas… Tu peux être autant de choses, mais tu refuses d’être vue comme une héroïne ? Cette sauveuse est-elle vraiment différente de la meurtrière, de l’ennemie publique numéro un, de celle qui menace les autres ?

- Elle est moi, c’est tout ce qui importe. Cette sauveuse a autant de sang sur les mains que n’importe laquelle de mes autres identités, parce qu’elle fait partie du même tout, elle fait partie de moi. Et à la première goutte de sang, le héros devient le méchant, celui qu’on pourchasse parce qu’il a pris une vie, parce qu’il n’a pas pu la sauver, parce qu’il a fait un choix, et que ce choix le mettait en péril, qu’importe la situation. Un héros est humain. Peu importe les histoires de dieux, de créatures fantastiques, car elles ont une histoire. Et que ce soit la faute des dieux ou des hommes, il y a toujours une faute, un fautif, des erreurs qui, résolues ou non, font du héros un être humain. Un dieu ne fait pas d’erreurs. Un être tout-puissant peut tout régler d’un geste de la main, effacer ses erreurs et recommencer. Un héros doit tout sacrifier pour ça. Et il ne fera jamais ce genre de choses simplement par altruisme. Il est des choses qui doivent être faîtes, mais jamais personne qui les fera sans avoir un quelconque intérêt là-dedans. C’est humain.

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