Chapitre 39

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C’était tellement simple. Rester là, allongée, sans rien faire d’autre que rester six pieds sous terre, enterrée dans sa propre conscience. Ne pas avoir à affronter ses doutes. Ne pas avoir à affronter les autres. Rester là. Avec ses souvenirs, les bon moments comme les mauvais, et savoir qu’on n’en vivra jamais d’autres. Drame et bonheur.

Pour Zelda, dont la conscience effleurait parfois la surface, c’était une tragédie. Ne pas voir, ne pas entendre, ne pas ressentir, ça lui était égal, à partir du moment où elle vivait. Mais ce qu’elle faisait, à l’instant précis où elle en prit conscience, ce n’était pas vivre, pour la simple raison qu’elle paraissait plutôt morte, de son propre point de vue. Quelques secondes eurent raison de son éclat de conscience, et elle sombra à nouveau dans un sommeil contre lequel elle luttait sans cesse. Son corps lui refusait simplement le contrôle, laissant à son esprit des rêves hautement influencés par son environnement et qui la torturaient horriblement, sans la laisser reprendre son souffle.

Des larmes. Des cris. De joie. Puis le silence. Du mouvement. Des voix. Des murmures. Des claquements. Des tintements. Un ouragan de sons qu’elle ne percevait pas directement, mais que son cerveau interprétait plus ou moins selon ses fantaisies. Un enterrement. Le sien, peut-être. Un mariage. Joy qui attrapait le bouquet lancé par Victoria. Une place, déserte. Un monstre, immense. Et une seule silhouette, pour lui faire face. Renouveau. Une foule, qui l’entoure, la bouscule, l’interpelle. Elle tombe. Le sol se brise. Mille éclats de verre. Mille morceaux de miroir. Mille souvenirs. Bon ou mauvais. Des visages. Des rues. Des bars.

Elle se réveilla brusquement, prit une grande inspiration, pour retomber sur ses oreillers, inconsciente. Ah, pas aussi longtemps que les autres fois. On dirait… Qu’une voix lui parle. Qu’on la secoue. Qu’est-ce qu’il dit ? Ne… ? Ne quoi ? Ne le rejette pas ? Rejeter quoi ? Son Optio ? Bien sûr que non, enfin. Qu’est-ce qu’elle ferait sans, hein ? Probablement rien de plus que ce qu’elle faisait en ce moment-même. Alors pourquoi lutter ? Pourquoi se battre contre quelque chose qui…

Ah, le son était revenu, apparemment…

- Zelda ! Je sais que tu m’entends, alors s’il-te-plaît écoute moi ! Ne laisse rien tomber ! Tu as ta vie, tu as des dizaines de personnes qui comptent sur toi, Joy qui t’aime, Kazumi qui te prend pour sa mère, Swan qui va devenir fou si tu ne reviens pas et tous les autres implantés qui ont besoin de toi, de tes sourires, de tes mots doux, de tes talents à la faux. On a besoin de toi, et pas seulement pour l’opération à Disney, mais surtout parce qu’on n’est pas prêts à vivre sans toi !

Elle comprenait parfaitement, mais ça ne l’intéressait pas. Pas le moins du monde. On avait besoin d’elle depuis tellement longtemps. Elle acceptait de rendre chaque service avec un sourire et quelques mots d’encouragement depuis tellement longtemps. Tellement longtemps, qu’elle ne pensait plus à elle. Qu’elle ne pensait plus qu’aux autres. À les rendre heureux. Son but ultime, son bonheur infini résidait dans la possibilité de pouvoir rendre aux autres ce qu’ils s’étaient volé eux-mêmes, et ce qu’ils refusaient de voir. Elle croyait avoir pour devoir de leur imposer ce qu’ils avaient sous les yeux mais qu’ils rejetaient, jusqu’à la possibilité de l’existence de telles choses. Quel autre secours avait-elle que la violence, quand les discours, les démonstrations avaient échoué ? Quelle autre possibilité restait-il lorsque la démocratie gémissait, piétinée malgré elle par une dictature déguisée, dont les commandes n’appartenaient plus à son chef ?

Joy ne l’avait pas voulu. Joy ne l’aurait jamais fait. Jamais. Elle n’avait qu’hérité de ce secret, qu’elle n’avait jamais voulu, qu’elle aurait sans doute refusé dès les premiers mots, elle n’avait fait que suivre les traces de ses parents, des véritables instigateurs de ce qui les faisait désormais souffrir. Elle ne pouvait pas cautionner leurs actes. Elle ne pouvait que les rejeter. Comment expliquer sinon qu’elle se soit rangée de leur côté ? Qu’elle ait accepté de discuter avec elle, dans ce bar ? Qu’elle ait réagi si violemment face aux tourments que Zelda lui avait décrits, face à la douleur de l’intolérance aux ondes, face au taux de suicide parmi les malades ? Elle ne pouvait plus détourner le regard, elle ne pouvait plus faire marche arrière. Elle devait les rejoindre. Même si ce n’était pas pour eux, qu’au moins ce soit pour elle, pour celle qu’elle aimait. Qu’au moins, elle lui permette d’être celle qui combattrait, tant qu’elle ne serait encore qu’un corps, sans plus d’envie ou de vie.

Il fallait bien que quelqu’un prenne les armes pour elle…

- Zelda ? Le docteur il a dit que tu m’entendais, mais que tu fais comme si tu dormais pasque tu veux pas qu’on t’embête, mais moi je pense que si tu voulais pas nous parler, tu serais pas là. Alors moi je pense que tu es malade, mais il m’a dit que tu étais pas malade, que tu allais même très bien, alors moi je le crois pas. Dis, pourquoi tu ouvres pas les yeux ? Y a trop de lumière ?

Quelque part, dans sa conscience, son esprit soupira. Peu lui importait cet enfant, finalement. Il n’était qu’un obstacle de plus, qu’une corvée de plus. Elle n’était pas ses parents, elle n’était pas sa grande sœur, elle n’était pas sa famille, adoptive ou pas, ce n’était pas de sa faute s’il s’était retrouvé sur son chemin, ce n’était pas de sa faute s’il était maltraité…

- Zelda, dit, quand tu iras mieux, tu viendras jouer avec moi ? J’ai appris plein de trucs génials avec tes copains ! Ils sont tous supers gentils, et puis ici, personne ne meurt ! Et c’est grâce à toi ! T’es une vraie héros, ça veut dire !

- Héroïne, Kazumi, et tu sais bien qu’elle n’est pas d’accord pour que tu utilises ce mot pour elle. Mais tout le monde ici le pense, Zelda, quoi que tu puisses en dire. Je sais que tout ce qui t’es arrivé récemment te fait peur, que ton entretient avec ton frère ne s’est pas très bien passé, que tes sentiments sont trop confus pour être clairs et que ça te fait faire des erreurs, mais ce n’est pas une raison pour te couper du monde comme ça ! Tu ne vas pas aimer ce que je vais te dire, mais c’est ton devoir de te lever et de venir te battre pour le monde que tu rêves de créer. Parce que sans toi, on ne sait pas vraiment où aller, quoi faire… Parce que sans toi, moi non plus, je ne sais pas…

- Tu sais très bien que c’est peine perdue, Louis… Quand elle est dans cet état-là, tout ce qu’on peut faire, c’est attendre qu’elle veuille bien s’ouvrir, supporter ses sarcasmes et finir par avouer qu’on avait tort, comme d’habitude.

- Tu n’as pas tort, sin duda, mais ce n’est pas une raison pour être desagradable avec elle. Elle reste ta supérieure, je te rappelle.

- Tu peux me rappeler tout ce que tu veux, ça ne changera rien au fait que tant qu’elle est dans cet état-là, c’est nous qui allons nous retrouver avec deux fois plus de boulot. Alors qu’elle profite de son repos, parce qu’en revenant, ça va la changer.

- Assez, Mamoru. Tu l’as dit toi-même, sans elle, je ne sais plus où aller. J’ai peur de nous guider vers les murs, les impasses, vers tous ces recoins sombres dont nous ne sortirons pas indemnes, et je… Je refuse de prendre des décisions. Sans elle, c’est… C’est trop difficile. Je suis désolé, je ne la comprends plus, je ne sais plus, je ne…

- Vous… Vous vous rendez compte de… de la situation dans laquelle l’absence d’une seule personne vous met ? murmura une voix tremblante, qui appartenait à une jeune femme noire apparemment terrorisée, figée, lourdement appuyée contre le battant de la porte.

- Joy Kafka ? Mais qu’est-ce que…

- Je… Je suis désolée, je n’arrivais plus à… Vous n’avez pas encore trouvé ? Vous n’arrivez pas encore à la faire se lever ?

- Parce que tu as trouvé, toi ?

- Laissez-la tranquille. Elle reviendra quand elle voudra, je pense. Pour l’instant, elle a besoin de faire le point sur sa vie.

- Je… Je ne crois pas, justement… Est-ce que vous pouvez me laisser lui parler, seule à seule ? C’est peut-être une bêtise, mais je ne veux pas qu’elle soit dans cet état à cause de moi… S’il-vous-plaît, oui, même vous docteur, vous pouvez nous laisser ?

- C’est si gênant que ça ? Vous avez trouvé quelque chose d’important ?

- Je ne… S’il-vous-plaît, je ne vous demande que ça. Donnez-moi cinq minutes, juste cinq minutes, et si ça ne fonctionne pas, je m’en irai immédiatement, sans poser de questions.

- Vous avez vos cinq minutes, mais ne partez pas après, j’aimerais vous parler.

- Très bien, monsieur Montgomery.

- Alors vous savez ça aussi… ?

- Il n’y a que moi qui le sache, ne vous inquiétez pas…

Sur ces paroles peu rassurantes, tous suivirent leur boss, qui sortit de la pièce d’un pas lent, et non sans jeter un dernier regard caressant par-dessus son épaule. Il secouait encre la tête lorsque la porte se referma, laissant seules les deux amantes.

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