Chapitre 36

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- Vous êtes sûrs que prendre le bus c’était une bonne idée ? murmura le jeune homme en s’aplatissant contre le mur.

- La meilleure, tonto. Impossible de croire qu’on est une organisation structurée quand on s’enfuit comme ça.

- Oui, enfin c’est surtout la meilleure manière de se faire repérer, non ?

- Disons plutôt pour disparaître, quand on connaît les bonnes personnes.

- Vous l’avez encore impliquée ? Alors qu’on n’est pas sûrs de pouvoir lui faire confiance ?

- Arrête de paniquer, doctor, elle nous a sauvé la vie au moins une centaine de fois depuis qu’elle est arrivée à la tête de c’t’entreprise. Et puis c’est elle qui nous a contactés quand Zelda a fait cette crise. Tu aurais vu sa tête, même le boss nous a dit que sa fille avait bon goût. Enfin, c’est elle qui nous couvre sur ce coup, de toute façon on n’avait pas le choix. C’était ça ou rien, et puis de toute façon les gens sont trop stupides pour se dire qu’il doit bien y avoir quelque chose qu’on ne leur dit pas.

- C’est pas faux…

Le silence envahit le véhicule à l’instant où de nouveaux passagers entrèrent sans se soucier de voir ce qui ressemblait à s’y méprendre à un cadavre sur les genoux d’une jeune femme. Comme ils étaient pour la plupart immergés dans Synestya du lever au coucher du soleil, ils croisaient souvent ce type d’avatar, comme des momies, des zombies, la mort en personne. On ne comptait plus ni les squelettes ni les vampires, et on plaignait les larves tout en admirant les papillons. Pour eux, c’était un jour comme les autres.

Et puis, qu’une calaca, un squelette mexicain à tête de calavera lui serve de coussin rendait la scène plus typique d’un spectacle de rue que d’un simple hasard. L’ange déchu non plus ne pouvait se trouver là par hasard. Il n’y avait qu’Anakin qui détonnait dans le groupe. Enfin bon, comme le bus avait plutôt l’apparence d’une grosse chenille violette qui mangeait ses passagers, un cadavre, ce n’était pas si original que ça…

Ils essuyèrent quelques railleries, des clins d’œil et des pouces en l’air, et lorsque la voix désincarnée annonça le terminus, ils se levèrent et se préparèrent à partir. De tout le voyage, Zelda n’avait pas donné signe de vie, et le médecin derrière l’ange commençait sérieusement à se ronger les ongles. Il savait qu’il était normal qu’il ne puisse pas accéder à ses constantes vitales à cause du dispositif anti ondes dans lequel il l’avait enveloppée, mais le fait qu’elle n’ait pas fait le moindre bruit, qu’elle n’ait pas bougé d’un orteil commençait à l’inquiéter considérablement. S’il l’avait tuée, non seulement il ne se le pardonnerait pas, mais son père non plus, et personne, de tous ceux qui la connaissaient, ne le laisserait pas vivre. C’était certain.

Donc s’il voulait sauver sa vie, il fallait qu’il parte. Maintenant. Qu’il disparaisse hors des limites, qu’il change de vie, qu’il se terre quelque part, où personne, même pas INRIS ne pourraient le retrouver. Sans ça, si elle ne se réveillait pas, il ne faudrait pas longtemps pour qu’on l’aide à faire de même. Et il ne pourrait pas leur en vouloir. S’il fuyait… Ce serait sûrement pire. Mais il n’aurait probablement pas le courage d’assumer ses erreurs, et il connaissait assez bien le sort réservé aux traîtres et à ceux qui tentaient de nier tout lien avec l’organisation pour ne pas vouloir l’endurer.

Quand la porte du bus s’ouvrit, il resta figé, incapable de bouger. Entre le plancher du véhicule et le trottoir, il n’y avait qu’un pas. Il fallait qu’il le franchisse, mais pour aller où ? Droit vers la mort ? Ou vers une vie de déshonneur, de torture, de malheur ?

- Qu’est-ce qui t’arrive, doctor ?

- Je ne… Pardon, mais j’ai du mal à… Si je l’ai tuée, je ne vais pas…

- Hé. Elle est pas morte, imbécile. Si y’a quelqu’un qui doit se reprocher quelque chose, c’est les médecins de l’hôpital et les concepteurs de l’Optio. Pas toi. Vu le nombre de fois où tu lui as sauvé la vie, tu devrais plutôt t’inquiéter de voir son fantôme venir squatter l’infirmerie pour sauver la tienne.

- C’est plutôt moi qui vais aller polluer son Paradis…

- Ses Enfers, claro… Elle ferait un massacre en el Paraíso, elle arracherait les ailes des Anges comme celles des papillons…

- Bien sûr que non, elle respecte plus les papillons que les humains.

- Bon, si vous avez fini de discuter, il faudrait peut-être y aller, por favor.

Ils se remirent en marche, presque automatiquement, sans que personne ne remarque qu’un instant auparavant, ils avaient failli perdre le seul médecin qui ait accepté de les guérir. Lui n’était pas soulagé le moins du monde. Il avait beau marcher à côté d’eux en souriant, il ne pouvait pas empêcher ses yeux de dériver sur celle qui les inquiétait tous. Et con cœur battait. Lentement lorsqu’il regardait les bâtiments recouverts de plantes grimpantes, bien trop vite lorsqu’il laissait ses pensées se détourner du paysage. Et douloureusement, surtout. Chaque pas lui donnait envie de fuir, chaque respiration de mourir, chaque mouvement de les lui donner. De les lui offrir. Tous. Qu’elle puisse vivre.

Qu’elle ne soit pas l’énorme erreur, la cristallisation de la décision qu’il avait prise. C’était tout ce qu’il souhaitait.

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