Chapitre 30

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- Quoi ?!

- Qu’est-ce qu’il se passe ?

- Appelez deux ambulances, au plus vite !

- Zelda !

- N’informez surtout pas la Présidente Kafka de la situation !

Bientôt, un ballet d’hommes et de femmes en blanc se joua, entre la cellule de la jeune tueuse et les ambulances stationnées en urgence devant la porte la plus proche. Un grand nombre de curieux se pressaient à l’extérieur, tentant d’en savoir autant que possible, puisqu’aucune information ne filtrait. Toutes les blouses blanches qu’ils pouvaient apercevoir restaient étrangement statiques, murmurant des choses qu’ils étaient trop loin pour entendre, malgré le silence qui régnait aux alentours. C’était comme si tout s’était figé, dans l’attente de cette voix pour leur expliquer ce qu’ils avaient devant les yeux.

Mais elle ne venait pas. Cette voix qu’ils avaient dû supporter plusieurs nuits durant, priant alternativement pour qu’elle se taise, pour qu’elle leur explique, pour qu’elle leur chante ce qui les intéressait. Ils attendaient d’elle un rapport, des informations, une communication. Quelqu’un murmura même qu’il fallait qu’elle « serve à quelque chose ».

Et puis un mouvement attira l’attention de la foule. Un brancard recouvert d’un sac mortuaire venait d’entrer dans l’un des véhicules, tandis que qu’une civière avait été glissée en toute hâte dans une ambulance. Quelqu’un cria :

- C’est une femme !

Une vague de murmures emplit la rue, sans que personne ne sache véritablement en quoi son sexe pouvait bien être important. Ils savaient déjà qu’il n’y avait que deux prisonnières ici, alors peu leur importait que ce soit une femme, puisqu’ils ne savaient pas qui elles étaient. Mais s’ils avaient su, sans doute se seraient-ils bien plus inquiétés de la couleur de sa peau. S’ils ne l’avaient vue qu’une fraction de seconde, ils auraient instantanément été rassurés, à tort. Car Joy le savait très bien. Au moment où le cri avait retenti, elle avait su qui était en danger. Et elle n’avait pas eu la force de dire quoi que ce soit, de bouger, ou même de respirer. Elle s’était contentée de subir la déconnexion entre son esprit et son corps, et de s’écrouler, un regard vide fixé sur le plafond, effondrée.

La sirène de l’ambulance vrillait les tympans des rares voitures qui circulaient à une heure aussi matinale. Il lui fallut quelques dizaines de minutes pour arriver aux urgences, et moins d’une heure plus tard, elle était en observation, menottée à son lit d’hôpital, toujours inconsciente. Autour de son cou, sous une couche de bandes blanches, une trace sanglante, des brûlures sur sa peau, et une dizaine de petites marques violettes au niveau du lien qui l’avait étranglée. Un souffle léger s’échappait de ses lèvres, mais son teint avait une teinte étrangement translucide. Ses yeux rouges avaient pleuré, et ses paumes gardaient une large marque à vif sous ses bandages.

Brusquement, dans une salle attenante, une alarme se mit à sonner. Au même moment, les yeux cernés de Zelda s’ouvrirent. Elle voulut se redresser, avant de se rendre compte qu’elle ne pouvait pas bouger ses bras. Un soupir lui arracha un cri de douleur. Oh, comme elle aurait voulu sourire… Mais elle avait un rôle à jouer, et de toute façon, elle avait bien peur que ce ne soit trop douloureux désormais de porter un masque. À la réflexion, peut-être qu’elle n’avait pas besoin d’être quelqu’un d’autre pour souffrir, le simple fait de respirer lui était extrêmement désagréable.

Alors quand quelques secondes après son réveil, deux hommes entrèrent dans la pièce, elle manqua de se refaire mal. Elle savait très bien ce qu’ils lui voulaient, notamment celui qui portait une blouse blanche. Il fit ce qu’il avait à faire, murmura quelques mots à son collègue de l’armée, et ressortit. Sa patiente n’avait pas entendu sa voix.

- Zelda Carmen ?, demanda l’officier en ricanant. Je vous croyais plus grande, dîtes-moi, qu’est-ce que vous faîte, comme taille ? Un mètre douze ? Ah, pardon vous ne pouvez pas répondre. Donc, voyons voir, une tentative de suicide ? Quelle originalité ! Vous saviez que vous alliez être condamnée à mort, alors une folie de plus, une folie de moins, après tout, qu’est-ce que ça changeait, hein ? J’oublie encore que vous avez trop mal pour me répondre… Clignez des yeux, répondez avec les mains, faîtes ce que vous voulez, mais ne bougez pas la tête, les médecins m’en voudraient. Ou utilisez l’Optio, ça peut servir.

Le geste que fit la main la plus proche de lui ne sembla pas lui plaire, puisque son sourire suffisant se figea sur son visage. Il se dressa sur sa chaise, se rassit, et éclata de rire. Elle lui fit signe qu’elle voulait quelque chose pour écrire, qu’il refusa d’un geste de la main en se tapant derrière la tête.

- D’où elle sort, celle-là ? Elle a jamais appris à communiquer avec l’Optio ? Bon dieu, encore une campagnarde… Alors tu…

- Je ne suis pas l’imbécile que vous semblez croire que je suis, demanda-t-elle à son implant d’écrire.

- Ah oui ? Et une tentative de suicide, pour vous, c’est quoi ? Du génie ?

- Plus que vous n’en avez, du moins. C’est grossier de votre part de vous croire omniscient, d’autant plus que votre humour ne me fait pas rire, même si j’en suis pour l’instant incapable. Passez donc à la suite, je vous prie, avant que je ne coupe la communication.

- La suite ? Ah, mais je n’ai aucune question à vous poser ! On sait déjà tout ce qu’on…

- Vous ne savez rien, et je sais tout.

- Ça m’étonne pas d’une arrogante de votre genre, tiens. Alors qu’est-ce que je sais pas ?

- Visiblement, que vous êtes un idiot. Que vous êtes trop crédule, et qu’il est tellement facile de se jouer de vous…

- Pardon ?

- C’était tellement mal fait… Vous voyez les marques sur ma gorge qui ne correspondent pas à une corde ? Ce sont mes doigts.

- Pardon ?

­- C’est tout ce que vous savez dire ? Mes doigts. Sur ma gorge. Pourquoi est-ce que j’aurais essayé d’enlever la corde, si je m’étais suicidée ?

- Quoi ? Vous voulez dire que…

- Oui… ?

- Un meurtre ?

- Enfin, un semblant d’intelligence ! Oui, une tentative de meurtre, de votre taré de garde, qui m’a attrapée par derrière pour m’étrangler contre les barreaux, et qui s’est rendu compte de ce qu’il a fait pour se tuer ensuite. C’est dangereux, les implants. Ca permet de mettre fin à ses jours un peu trop rapidement et sans laisser de traces…

- Et vous croyez que je vais gober ça ? Vous êtes une tueuse de sang-froid, une vermine, doublée d’une menteuse, vous supportez plus de vivre avec vous-même, et vous êtes pas capable de vous tuer proprement, du coup vous accusez quelqu’un qui est mort ? Vous vous croyez drôle ?

- Si vous vérifiez ses souvenirs, vous verrez. Mais je vous prierai de ne pas m’insulter, c’est vous qui vous fourvoyez, pas moi. Ah, et si j’étais vous, je relâcherai la Présidente, ce n’est pas le genre de femme à se laisser faire.

- Parce que vous vous croyez autorisée à me donner des ordres, maintenant ?

- Encore une fois, arrêtez de croire que je vous agresse à chaque fois que je parle, les criminels ne sont pas forcément des abrutis colériques et sans éducation, monsieur l’officier. Alors à la prochaine réprimande non méritée, je me verrais au regret de devoir vous punir. Ce n’est pas parce que je suis dans un lit d’hôpital que je ne peux pas vous blesser, vous savez ?

- C’est une menace ?

- Bravo, c’est votre deuxième signe d’intelligence !

- Vous savez ce que ça va vous coûter, de me menacer, espèce de…

- La vie, pourquoi ?

- Et probablement plusieurs fois, si on compte le nombre de meurtre dans votre dossier, mademoiselle.

- Je m’excuse, il semblerait que je me sois mal expliquée. C’était une menace, voyez-vous. Contre votre vie. Pas contre la mienne, non, elle est entre de trop bonnes mains pour que je la laisse aller. Mais la vôtre… Dîtes-moi, qui prend soin de veiller sur vous ? Pas grand-monde, j’imagine ?

Un silence suivit ce message. L’officier, dont le teint écarlate, empourpré par la colère, jurait horriblement avec le vert de son uniforme, marmonna quelques mots dans le vide, les poings serrés, les dents presque à découvert, et sortit de la pièce d’un pas éléphantesque.

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