Chapitre 28

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Elle se tourna vers le mur et s’abandonna au chagrin, hurlant comme une bête blessée. Ce ne fut qu’au lever du jour qu’elle redevint silencieuse, après avoir passé les quelques heures précédentes à gémir atrocement. Personne n’osait la réveiller et la rumeur de sa folie s’était propagée jusqu’en dehors du centre pénitentiaire, l’un des derniers sur le territoire et le plus entouré par la population. Alors expliquer les cris démentiels aux riverains, qui avaient passé la nuit à prier pour que la fonction Silence de leur Optio reste activée et que la connexion ne fluctue pas trop, avait été quelque peu gênant pour les responsables, surtout qu’ils n’avaient que deux locataires. Ils s’étaient excusés, mais la folie, dirent-ils, ne se soigne pas et son cas serait réglé au matin.

Ce ne fut cependant pas ce qu’il se passa. À midi, elle dormait toujours et aucun jugement n’avait été rendu. La Présidente et son avocat étaient restés debout toute la nuit, à parler avec un juge. Rien ne semblait se passer comme les gardiens l’avaient prévu et ils se relayaient, chacun auprès d’une de leurs prisonnières, sans vraiment pouvoir faire quoi que ce soit.

Lorsque le ciel commença à se teinter d’or, il y eut du mouvement. Tous les représentants de la loi sortirent en file indienne. Un officier des forces de l’ordre raccompagna mademoiselle Kafka à sa cellule et, tout en lui souhaitant de se reposer, il s’effondra, inconscient. Au moment où il heurta le sol, les barreaux de la porte se volatilisèrent. Personne ne pouvait rien remarquer et cette cellule vide pouvait le rester jusqu’à ce que la garde soit relevée.

- Zelda !

Une voix la réveilla, mais elle la reconnut immédiatement et se contenta de rester là, les yeux ouverts, fixés sur le béton. Elle n’était pas certaine que ce soit la meilleure chose à faire, mais elle se refusait à tomber encore une fois dans ses filets et un seul regard dans sa direction la ferait retomber dans ses travers.

- Zelda ! Réveille-toi, bon dieu, Zelda ! glapit Joy une nouvelle fois, plus fort.

- Tais-toi, je ne veux pas t’entendre, murmura-t-elle brusquement, sachant pertinemment qu’elle commettait une erreur susceptible de lui coûter la vie.

- Quoi ?!

- Tu es mon premier et dernier amour, Joy. Ne gâche pas mes plus beaux souvenirs en me trahissant à nouveau. Va-t’en.

- Te trahir ? Mais… Je… Jamais !

- Ah oui ? Et cette embuscade, hier soir ?

- Qu’est-ce que… Non, ce n’est pas moi, c’est Jeremy, il…

- Il a bon dos, n’est-ce pas ? Le barman, l’homme de l’ombre, qui détruit des vies… Bien sûr, il n’y a que lui qui peut trahir, ce n’est pas grave, ce n’est qu’une confiance, pas un amour ! Les amis, ça se trouve partout, ça s’achète, alors que les amours, c’est une fois, une seule fois sur tout une vie ! Ah, elle est belle la jeunesse des films, elle est violente, elle est passionnée, mais la loyauté, l’esprit d’équipe, la coordination, ça, c’est d’un autre temps, c’est ça, hein ?

- Tu te trompes, Zelda, ce n’est pas moi, ce n’est pas moi ! Jamais je n’aurais pu faire ça ! C’est trop de risques, trop de choses que je ne peux pas contrôler, trop de décisions difficiles à prendre ! J’en suis incapable !

- Ah oui ? Pour quelqu’un qui vient, selon ses dires, de s’échapper de sa cellule toute seule après avoir dirigé pendant des années la plus importante entreprise du monde, tu es bien incapable de prendre une décision !

- Je me suis échappée pour toi, Zelda ! Pour toi et pour personne d’autre ! Je n’aurais jamais…

- Tu ne te serais jamais retrouvée ici, si je n’avais pas tout fait pour te rencontrer. Cette situation est entièrement de ma faute. Je ne vais pas y ajouter quoi que ce soit, je mourrai avant que le soleil ne se couche et ce sera tant mieux pour moi.

- Ce n’est pas de ta faute ! Si je savais choisir mes amis, si j’avais été plus forte, nous serions dehors ! Viens ! Ouvre cette porte, que nous puissions partir ! Zelda !

- La seule chose que je regrette, c’est que je ne verrai jamais le monde que j’ai contribué à construire, alors va-t’en avant que je ne commence à me demander pourquoi je ne t’ai pas tuée finalement.

- Mais Zelda…

- Va-t’en !

Joy sursauta. La colère qui brûlait devant elle lui faisait peur. Sa résignation la rendait malade. Et elle croyait que tout était de sa faute. Elle croyait qu’elle l’avait trahie. Elle lui en voulait, avec tellement de force, avec tellement de douleur… Un mur les séparait, qu’elle avait construit, brique par brique, avec son propre sang, ses os, sa chair et maintenant elle la regardait lutter pour le déconstruire sans la blesser. C’était impossible. Impossible.

- Zelda, je t’en supplie… ! Si les gardes se réveillent, je ne pourrais plus rien faire ! Nous serons toutes les deux condamnées et…

- Et nous paierons pour les crimes que nous avons commis. C’est ce qu’on appelle la justice, Joy Kafka. Enfin, tu t’en sortiras sûrement, de toute façon. La Présidente d’INRIS, la femme la plus puissante au monde, ne sera pas condamnée, quel que soit le crime qu’elle ait commis, c’est naturel. Moi, c’est différent, je l’ai mérité. Sauve-toi, tu as encore le temps. Pour moi, c’est trop tard.

- Il n’est jamais trop tard !

- J’aurais dû mourir le jour où je t’ai rencontrée, Valkyrie, asséna Renouveau en se tournant vers son interlocutrice. Tu aurais dû me faire tuer ce jour-là. J’aurais dû mourir le jour où j’ai commis mon premier meurtre. J’aurais dû mourir avec mes parents, comme mon frère. Alors même s’il a tardé, ce jour est venu et tu ne l’empêcheras pas.

- Ton frère ? Tu…as un… Et… Mourir ? Mais… Zelda…

- Ne prononce plus mon, Valkyrie. Retourne dans ton bureau, administre tes moutons, bergère. Je préfère ne plus jamais entendre parler de toi et mourir en sachant que je ne te reverrai plus jamais. Tu as brisé ma confiance.

- Je ne t’ai pas trahie ! Crois-moi, s’il-te-plaît, je t’en prie, je t’en supplie ! Crois-moi ! Je n’aurais jamais fait ça !

- Prouve-le.

Le silence retomba sur la prison. Le regard vide de celle qui se trouvait derrière les barreaux fit naître des larmes dans le cœur de celle qui était libre. Aucune ne bougeait, aucune ne voulait croiser le regard de l’autre. Du fait de son attitude glaciale, Zelda refusait absolument de laisser entrevoir la douleur qui se cachait derrière ses mots. Elle se forçait à rester figée, stupidement assise, adossée contre le mur, le regard fixé sur la paroi inhospitalière, à quelques mètres devant elle. Sa gorge était serrée, ses ongles plantés dans ses paumes et ses dents refusaient de laisser passer le moindre son.

À sa droite, accrochée aux barreaux, Joy Kafka pleurait. Les yeux fixés sur le corps inconscient du garde, à quelques mètres d’elle, elle laissait couler toute sa détresse, son inquiétude, toute la force de son amour, sans parvenir à lâcher prise, à fuir, à se libérer de l’emprise qu’il exerçait sur elle. Elle voulait rester là, à côté d’elle, ne pas se laisser aller, ne pas retourner dans sa cellule. Ne plus jamais la laisser seule. Ne plus jamais prendre de risque. Ne plus la laisser aller.

Elle se laissa tomber et se laissa submerger. Elle la pria, la supplia, lui promit sa vie, des actes, des mots, des sentiments, elle lui offrit l’éternité, seule, à ses côtés et ne reçut aucune réponse. Pas un geste, pas un mot, pas un regard. Pas même un soupir. Une immobilité totale. Et des larmes qui s’écrasaient contre le sol, des sanglots convulsifs, dans une semi-obscurité. Deux silhouettes séparées par des barreaux de fer, une porte entr’ouverte entre les deux et aucune capable de rejoindre l’autre. Un fossé, une confiance en morceaux, voilà ce qui les séparait.

Enfin, jusqu’à ce que l’homme en uniforme qui était tombé sur le béton ne relève la tête et la regarde, cligne des yeux et ne se jette sur Joy en hurlant, sans même penser à sortir son arme.

- Une prisonnière hors de sa cellule ! Une prisonnière… !

Il la regarda, scruta l’obscurité pour vérifier que celle dont il avait la garde était toujours là et sursauta lorsqu’il en croisa les yeux écarquillés.

- Joy ! Excuse-moi, je ne… Joy !

Mais les renforts venaient d’arriver. Dans le chaos, dans les cris et la lumière, Zelda ne vit rien d’autre qu’un visage flou, strié de larmes et des lèvres qui bougeaient sans que le son ne lui parvienne. Elle hurla, se jeta contre les barreaux de la porte, encore et encore, tentant de la rouvrir, de la faire basculer, tandis que quatre ou cinq hommes armés la retenaient. Elle entendit un coup de feu, baissa les yeux sur le barreau qui avait pris la balle et se remit à hurler, encore plus fort, jusqu’à ce que la voix de celle qu’elle voulait entendre ne passe par-dessus toutes les autres.

- Je te regretterai, Zelda Carmen.

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