Chapitre 22

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Swan ne put rien lui répondre. Il lui avait ordonné de prendre des vies et ce depuis maintenant douze ans, pourtant il ne comprenait que maintenant combien il l’avait changée. Ce qu’il avait vu en elle, son aplomb, sa sincérité, tout lui avait assuré une recrue exceptionnelle, mais il avait choisi de l’écouter et de garder son frère à part et c’était visiblement une erreur qu’il risquait de payer cher. Trop cher. Non pas qu’il regrettait son choix, mais plutôt qu’il s’inquiétait de son potentiel destructeur, qui risquait de la briser, comme elle aurait pu le faire cette nuit. Mais comment parvenir à réparer l’erreur qu’il avait commise ? Comment expliquer à un adolescent de dix-sept ans qu’il lui avait enlevé sa sœur, mais qu’elle voulait toujours avoir de ses nouvelles ? Qu’elle était restée à l’écart, qu’elle avait refusé qu’il l’accompagne et que douze ans après, elle pleurait parce qu’elle savait qu’il la haïssait ? Il se contenta de caresser ses cheveux, de l’embrasser et de sortir de la pièce, murmurant les mêmes mots qu’elle lui réclamait lorsqu’elle était petite.

Zelda, elle, ne parvint pas à se rendormir. Elle tournait, retournait dans son lit, rejetait les draps, se blottissait dans sa couette, mais chaque fois qu’elle fermait les yeux, elle les rouvrait immédiatement, haletante, recouverte de sueur, des larmes coulant sans s’arrêter sur son visage, détrempant son oreiller. Il était partout autour d’elle, dans l’ombre qu’un manteau projetait sur le mur, dans la tache sombre qui se dessinait sur une manche, dans la silhouette de la chaise, contre le bureau. Malgré l’absence de lumière, n’importe quel objet semblait refléter la présence des deux grands yeux verts de son petit frère.

Peut-être que Victoria avait raison, finalement. Peut-être que nous ne sommes que des dégénérés, dans cette famille. Entre la meurtrière et le fou… Ou bien suis-je la seule à ne pas être saine d’esprit ? Quel monstre était-elle devenue ? N’avait-elle aucun respect pour la vie, pour la traiter aussi légèrement ? Pour l’enlever presque sans y faire attention ? Elle était responsable de carnages, de scènes atroces, de meurtres sanglants et personne ne l’avait jamais poursuivie. Personne ne lui avait jamais dit qu’elle ne devait pas, qu’elle serait punie, que la loi le lui interdisait, au contraire. Ceux qu’elle connaissait, ceux qu’elle fréquentait n’hésitaient pas non plus, pire encore, ils l’en félicitaient et le lui demandaient. De tuer. Tuer. Encore. Et encore. Pour une cause, à laquelle elle adhérait sans la moindre hésitation. Pour un monde, auquel elle offrirait sur un plateau d’or fin sa vie, son corps et son âme.

Et pourtant, après bientôt treize ans de bons et loyaux services, elle… Elle…

Ce n’était pas juste. C’était tout, sauf juste. Il était trop tard pour regretter ses actes passés, ses mots d’enfant qui avaient condamné d’autres êtres, alors pourquoi n’arrivait-elle pas à se défaire de ce sentiment horrible, d’avoir vécu une vie d’erreurs ? Une vie d’horreurs ? Une vie qui n’avait été vouée qu’à la voler à d’autres, une vie qui n’était finalement pas plus la sienne que celle de tous ceux à qui elle l’avait ôtée ? Une vie… Gâchée ?

Oui, c’était ça. En un mot, en un geste, elle avait gâché sa vie. La seule chose qui lui donnait du sens, elle l’avait offerte pour s’approprier une vie ignoble, inhumaine et les seules personnes qui auraient pu l’aider l’avaient rejetée, comme si… Comme si…

Elle se retourna et se laissa tomber sur son oreiller en grondant. Il fallait qu’elle arrête de s’immiscer dans ses pensées chaque fois qu’elle pensait à celui qui lui était si cher. Elle tenta de la sortir de sa tête, mais en vain, peu importait le nombre d’essais. Au bout de ce qui lui parut être des heures, elle baissa les bras et s’isola dans sa douche. Elle n’en sortit qu’une demi-heure après, les yeux rouges, le visage humide, le visage recouvert d’une serviette pour dissimuler les cernes qui couraient bien trop loin pour être simplement dues au sommeil. Aucun maquillage ne pourrait les cacher et de toute façon, elle n’en aurait pas été capable. Sachant pertinemment que moins on lui adresserait la parole, plus le monde tournerait rond, elle préféra rester dans sa chambre, porte fermée et refuser de répondre à quiconque n’aurait pas compris le message.

Ce n’était pas la première fois qu’elle faisait ce genre de choses et ça ne serait sûrement pas la dernière. C’était pour cette raison uniquement qu’elle avait demandé une porte et qu’on lui avait attribué ce qui devait à l’origine être une cellule de prison. Il avait suffi de la relier aux commodités et elle ne s’en était pas plainte. De toute façon, ils n’avaient jamais eu l’occasion d’emprisonner qui que ce soit, non pas qu’ils aient préféré les exécuter, mais plutôt que leurs rares tentatives d’enlèvement se soient soldées par un échec, notamment dû à une décharge mortelle délivrée au cerveau de tout employé d’INRIS sortant d’une zone connectée indépendamment de sa volonté.

Elle se laissa tomber sur son lit et se perdit dans la contemplation du plafond. Les courbes étranges dessinaient un visage, là-haut et elle ne se lassait pas de le regarder. Pour un peu, elle aurait demandé de la peinture pour l’accentuer, mais elle préférait la deviner, jouer avec un regard qu’elle imaginait, avec une silhouette changeante et contempler un sourire qu’elle n’avait jamais pu voir. Il y avait toujours, sur ce visage étrange, un air de colère, de tristesse, une émotion qui l’avait marquée, la seule fois qu’elle l’avait rencontrée.

Et elle le regrettait amèrement. Comme elle aurait aimé la rencontrer autrement, le sourire aux lèvres, peut-être boire un verre avec elle, discuter… Tout aurait été si différent ! Si différent… Si elle n’avait pas demandé… Si elle ne lui avait pas dit qu’elle la haïssait… Sans doute, elle aurait menti, mais tout aurait changé, peut-être du tout au tout… Tout le monde ici aurait été plus heureux, plus libre, peut-être aurait-elle même pu la faire revenir à la raison…

Mais non. Elle n’avait pas menti. Elle n’avait aidé personne d’autre qu’elle-même. Elle avait condamné des innocents à vivre pour de nouvelles dizaines d’années sous terre. Une seule amitié, un seul amour et tout aurait pu être terminé. Tout aurait pu…

- Zelda !

Oui, c’était de sa faute. Encore une chose qu’elle avait fait de travers et qui impactait trop de gens pour qu’elle ne s’en veuille pas. Qu’elle ne s’en veuille pas, plutôt qu’elle ne se haïsse pas plus qu’elle ne le faisait déjà.

- Zelda !

Elle tenait trop à la vie pour l’abandonner. C’était pitoyable. Elle l’avait enlevée tant de fois, coupée, tranchée, fauchée, alors même qu’elle refusait de laisser quiconque s’approcher de la sienne. Cette porte close en était la preuve. Que personne n’entre. Que personne n’essaye de s’approcher. Elle préférait sa solitude. Aucun de ses amis, Kazumi encore moins, ne savait ce qu’il s’était passé ce jour-là, au fond d’elle. Personne ne savait ce qu’elle avait ressenti en la rencontrant. Swan s’en doutait peut-être, mais il valait mieux qu’elle ne le lui dise pas clairement. Comment réagirait-il ? Et les autres ?

- Zelda ! Zelda, ouvre-moi !

Elle sursauta, se retourna vers la porte et porta la main à son arme. On ne la dérangeait jamais lorsqu’elle se réfugiait ici.

- Zelda Carmen, ouvre cette porte !

Un cas de force majeure ? Non, il y aurait eu plus de bruit, plus de mouvements, des cris… Ils n’étaient pas attaqués, ils n’étaient pas en danger, ils n’avaient aucune raison de la déranger. Et cette voix ne lui était pas inconnue, mais ce n’était pas le moment. Elle s’en fichait.

- Zelda ! Si tu ne l’ouvres pas, je la défonce ! Ouvre la porte !

- Laisse-moi tranquille…, murmura-t-elle.

- Zelda ! À trois !

- D’accord ! hurla-t-elle, excédée.

Elle se leva, dégaina son arme et tira violemment sur la porte. Le visage du médecin était fermé et la lame qui lui faisait face ne l’invitait pas à se montrer agréable.

- Qu’est-ce qu’il se passe ?

- Le boss veut te voir. Il se fiche que ta porte soit fermée, il m’a autorisé à la défoncer si besoin.

- C’est non.

- Tu m’as bien compris ?

- Oui et tu peux lui dire que je refuse.

- Tu sais ce qu’il risque de se passer ?

- Non et je m’en fiche.

- Tu t’en fiches ? Tu vas mourir et tu t’en fiches ? Tu veux vraiment être exclue ?

- Pourquoi pas ?

- Zelda, tu te rends compte que si tu sors d’ici, tu ne tiendras probablement pas plus d’une semaine ? Va le voir, s’il-te-plaît, ça a l’air important. Personne ne veut te voir partir, sans toi le plan tombe à l’eau et puis on tient tous à toi, même si tu n’en fais qu’à ta tête.

- Je ne comprends pas. Pourquoi maintenant ? Pourquoi pas plus tard ? Demain ?

- Je ne sais pas, mais ça doit être important, il refuse de m’en parler, tes collègues essayent de l’en dissuader depuis une heure… Même le petit nouveau sait qu’il ne faut pas te déranger quand tu ne veux pas.

- Il était en colère ?

- Je ne crois pas, on aurait dit qu’il s’attendait à ce que ta porte soit fermée, mais il n’a pas voulu…

- J’y vais.

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