Des Nouvelles du Monde

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Le lendemain fut difficile, pour tous ceux qui avaient passé la nuit à noyer leurs souvenirs dans l’alcool. Le soleil s’était presque couché lorsqu’ils reprirent un semblant de connaissance et il n’y avait pas que le barman qui s’inquiétait. À part le plus jeune, qui n’avait pas fini son premier verre, tous avaient largement dépassé leurs limites et Louis avait fini par abandonner l’idée de rentrer chez lui pour le moment. En se réveillant, Zelda avait râlé contre la journée qu’ils venaient de perdre, mais s’était recouchée aussitôt, sa voix résonnant trop fort dans sa tête, celle-ci menaçant d’éclater en cas de vacarme. Kazumi lui avait chuchoté que son second était parti la remplacer pour toutes ses tâches et que son père lui avait fait comprendre qu’il aurait dû signaler aux trois principaux responsables que s’enivrer en même temps, c’était courir le risque de laisser leur base sans protection.

Mais elle n’en entendit pas la moitié et se rendormit jusqu’au lendemain matin. Ses collègues s’étaient tout de même levés, mais en apprenant qu’elle n’avait pas fait leur effort, ils n’avaient accompli leurs tâches qu’avec une mauvaise volonté un peu trop apparente, accompagnée d’une incroyable véhémence à l’encontre de tous ceux qui étaient un peu mieux réveillés qu’eux. Ce fut une journée difficile, où beaucoup se dirent qu’ils auraient mieux fait de rester couchés, plutôt que d’endurer la cuite qu’avaient prise leurs lieutenants. Heureusement, la nuit qu’ils passèrent eut le mérite d’effacer les effets de la soirée, ils étaient fin prêts à travailler au matin du deuxième jour.

En même temps, la situation était si grave qu’ils n’avaient pas vraiment d’autre choix.

- Comment ça, INRIS n’a pas mordu à l’hameçon ? Je suis restée cachée pendant des semaines, sans dormir, allongée sur le béton et les graviers, à scruter l’horizon, j’ai finalement tué deux éclaireurs qui venaient vers nous et personne n’a jugé utile d’envoyer du renfort, ou de vérifier la cause de leur mort ? Deux têtes tranchées en pleine rue, qu’est-ce qu’ils veulent de plus ?

- Du calme, Zelda…

- Non, Mamoru, je ne me calmerai pas ! J’ai survécu aux rations militaires, aux restrictions, même les plats à moitié brûlés, les légumes bouillis, en purée et mal épluchés, voir même pas lavés, j’ai tout mangé pour que les autres gardent le moral ! J’ai tout organisé pour que cette opération se passe bien, deux morts à moins de dix mètres de notre entrée la moins sécurisée et pourtant, rien ni personne ne réagit ! Bon sang !

- Euh… Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer ?

- Laisse, eso no es importante. Hay cosas que importan más.

- Ah oui ? Comme quoi ?

- Comme la requête du chef. Il veut qu’on lui fasse une vidéo de propagande.

- Pardon ? Il sait très bien qu’elle sera signalée avant que quelqu’un la voit, c’est évident…

- Tu sais qu’en 2019 ça avait marché ? Il avait fallu plusieurs heures aux administrateurs pour réagir et des millions de personnes avaient vu des choses horribles, certains se sont même radicalisés comme ça !

- Autant le temps de réaction est crédible, autant je doute que les gens soient vraiment assez idiots pour se laisser laver le cerveau par des religieux extrémistes et incapables de se faire respecter sans utiliser la violence !

- Tu sais, Louis, c’est exactement ce qu’il se passe, répliqua Zelda violemment. Certes, l’organisme religieux est une entreprise d’électronique qui domine le monde et non pas une idéologie vieille comme l’humanité et, non pas que j’approuve ce qu’ils font, mais ils ont des raisons de le faire, un message à passer. Un message qu’ils avaient réussi à passer. Il y a vingt ans, combien de personnes se sont demandé si les manifestations, les protestations, les colères n’étaient pas légitimes ? Combien se sont demandé - ou se demandent encore - si des gens souffrent de ne pas pouvoir accéder à ce qui leur semblait acquis pour tout le monde ? Qui, de ces imbéciles qui m’ont filmée en train de tuer cet abruti de policier, s’est rendu compte que je n’avais pas voulu le tuer, que j’essayais juste de protéger un enfant ? Enfant qu’ils n’ont même pas vu saigner, alors qu’il avait une balle dans le dos ? Idem pour ces abrutis d’enquêteurs ! INRIS leur offre des preuves sur un plateau d’argent et ils tombent dans le panneau !

- Zelda, du calme ! Pas la peine de crier, on sait tous ça ici et je pense qu’il a compris. Reviens au sujet, s’il-te-plaît. Cette vidéo, tu vas la faire ?

- Évidemment. Et grâce à ça, on va faire comprendre au monde que leur monde s’est bâti sur du sang et qu’ils ont eux-mêmes étranglé certains de ceux auxquels ils doivent la vie.

- Tu t’améliores, décidément ! ironisa une voix.

Le discours passionné de la jeune femme avait fait fleurir sur les lèvres d’une petite blonde un sourire qui n’avait rien d’humble ou de professionnel. Celle-ci venait tout juste de sortir de l’ombre, son carnet à la main, un stylo enroulé dans l’élastique qui retenait la couverture, ses longs doigts bronzés enroulés autour de la couverture ornementée.

- Debbie !

- Victoria ! s’exclama-t-elle de sa voix grave, les bras grands ouverts. Comment ça va depuis la dernière fois ? Ah mais vous êtes vraiment tous venus ! Salut Mamoru ! Tu as bien changé, dis-donc !

- Autant que toi, Déborah ! Depuis quand tu apparais comme ça, sans prévenir ?

- Je viens d’arriver, figure toi. Et la Zelda ! Dis-donc, un peu plus et je ne te reconnaissais pas !

- Je suis enfin plus grande que toi, c’est ça ? ironisa la jeune femme avec un regard à la fois sombre et rieur. Tout se passe bien avec ton job ?

- Ton père me traite plutôt bien, j’étais dans les îles pour le projet que vous allez lancer en octobre, à Disney. On a pas mal de boulot, y a quelques personnes que je ne connais pas, mais il va falloir faire vite, je repars dans deux trois jours en Espagne, on espère encore rallier quelques âmes perdues. J’espère qu’il va faire plus chaud qu’ici…

Elle se tourna vers la table et les invita à s’asseoir d’un geste de la main. L’ampoule diffusait une lueur faiblarde, quelque peu soutenue par la clarté d’une autre à l’entrée, mais la dénommée Déborah ferma la porte de la grotte et vérifia qu’ils ne seraient pas entendus par les sentinelles. Son regard perçant courut de chaque côté de Zelda, d’un garçon à l’autre, avant de s’arrêter à mi-chemin, dans les yeux sombres de la jeune femme.

- Raconte-moi, s’enquit-elle. Comment tu as réussi à recruter un enfant adorable et à te trouver un copain sans compromettre l’organisation ? Et sans que le boss te tue ?

- Je vais mettre quelques points au clair, Debbie, déclara son interlocutrice, que la lueur orangée de l’ampoule rendait plus rouge qu’elle ne l’était vraiment. D’abord, Louis et moi ne sommes pas ensemble et je n’ai pas recruté Kazumi. C’est plutôt l’inverse, d’ailleurs…

Il y eut un instant de silence gêné dans la pièce, les regards soudain fuyants couraient sur les murs à la recherche d’un coin où se cacher. Il fallut une poignée de secondes à Zelda pour s’empourprer et réagir au quart de tour.

- N’allez pas vous imaginer que je sors avec lui, ça n’a aucun sens, il a onze ans de moins que moi ! Non, j’ai recruté Louis sur ordre de mon père et j’ai… enfin, on va dire que j’ai ramené Kazumi, même si c’est compliqué…

- Compliqué… À quel point ?

- Au point qu’ils sont liés par le sang, hermana, glissa Victoria avec un sourire entendu qui fit bondir la jeune reporter.

- C’est son frère perdu ?!

- Non, pas à ce point ! s’exclama-t-elle en éclatant de rire. Évidemment que non, entre un albinos asiatique et une brunette blanche comme un flocon d’neige… Par contre, si tu les regarde jouer ensemble et s’entraîner, ils ont quelque chose d’une famille. Enfin c’est surtout qu’elle a tué deux fois pour le protéger et qu’ils ont été blessés et même rapatriés tous les deux.

- C’était vraiment vous, alors, cette affaire de meurtre de policier ? J’avais vu la vidéo et il me semblait bien que je t’avais reconnue, mais tu avais du sang partout, alors j’étais pas sûre… C’est toi alors, le petit protégé que tout le monde cherche ! Il avait l’air plus enfantin sur la photo…

- Tu sais, être la raison de deux scènes de crimes et voir une quantité aussi importante de sang deux jours de suite, c’est pas conseillé à son âge. Et puis j’ai demandé à mes officiers de s’occuper de son éducation, déclara-t-elle fièrement en souriant à l’enfant. Il paraît qu’il étonne son prof de…

- T’as raison, Vic, la coupa Déborah, elle est complètement gaga de ce gamin. Et toi, alors ? Louis, c’est ça ?

- C’est ça.

- Tu viens d’arriver, j’imagine, tu as été mis au parfum et tu attends tes premiers ordres. Bien. Comme attendu du légendaire Minecraft78, alias Anakin.

L’intéressé rougit, un peu gêné.

- Vous étiez pas obligée de vous souvenir de mon pseudo, vous savez…

- Mais si, il est aussi vieux que le nom de votre avatar ! Faut pas avoir honte, j’en connais d’autres qui n’en sont pas fiers et qui ont raison… Mais au lieu de discuter de tout et de rien, j’ai mon job à faire, alors quand messieurs les lieutenants auront fini de sourire bêtement et pour certains de se moquer silencieusement, si si, je t’ai vue Victoria, on pourra peut-être commencer à bosser.

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