Courage, inconscience et stratégie

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D’un coup d’œil, elle convoqua la carte, pointa l’avatar d’Anakin et pesta silencieusement. L’avenue Anatole France. Ce n’était pas la porte d’à côté. Elle prit plusieurs virages en épingle, bousculant et abandonnant sans ménagement ses compagnons.

En quelques minutes, elle fut sur place. Et l’immense Dame de Fer, elle, n’y était plus. Enfin si, mais ses pieds ne reposaient plus sur les dalles grises et lugubres, ils écrasaient plutôt l’esplanade qui lui était réservée et la pelouse du Champs de Mars. Chaque pas faisait effroyablement grincer le monstre de fer, qui se dirigeait vers une foule de joueurs visiblement effrayés par la difficulté du défi qu’ils avaient voulu relever.

Et ce combat avait l’air de durer. À la limite du champ de bataille, une multitude de personnes semblait reprendre son souffle, plus ou moins constellée de tâches écarlates. Peu de leurs membres avaient l’air prêts à retourner se battre et les trois silhouettes qui restaient seules face à la chose n’infligeaient que des blessures insignifiantes. Un vrai spectacle pathétique. Renouveau ne prit que le temps de retrouver son souffle, sortit sa lame et se jeta avec eux dans la bataille.

À peine était-elle arrivée à portée du monstre que l’ombre d’un pied la recouvrit complètement. Elle dû se jeter à terre pour éviter d’être piétinée et commença à trancher sans pitié les barres de fer. Ses attaques faisaient un bruit épouvantable, que les cris de soutien de la foule ne parvenaient pas à dissimuler. Le fer grinçait, sa lame chantait, mais les brefs coups d’œil qu’elle jetait à la jauge de vie la décourageaient franchement. Peut-être qu’en une demi-heure de combat éreintant, la créature avait perdu un pourcent de sa force.

Elle prit de la distance. Il devait y avoir une autre manière de lui infliger des dégâts. Impossible de l’avoir à l’usure, simplement en lui infligeant des coups mineurs… Peut-être que les autres avaient remarqué quelque chose… ? Il n’y avait qu’une seule manière de le savoir.

- Communication générale, tonna-t-elle brusquement en reculant encore de quelques pas. Renouveau à tous les combattants présents sur le champ de bataille. Vous m’entendez ?

Une clameur incompréhensible résonna brusquement à ses oreilles. Elle soupira.

- Est-ce que quelqu’un a remarqué quelque chose qui pourrait nous aider à la vaincre ?

Si quiconque lui répondit quelque chose d’instructif, sa voix fut noyée par un tourbillon de mots et de cris qui n’avaient aucun sens.

- Si vous avez quelque chose à dire, dites-le, mais pas tous à la fois s’il-vous-plaît !

- J’ai…

- C’est moi d’abord !

- Taisez-vous !

- Je comprends rien !

- Écoutez Renouveau, bon sang ! cria une voix qui fit sursauter la jeune femme. Un… arg…!

- Anakin ! glapit-elle en se tournant instinctivement vers lui.

- Ça va, ça va… Reprends tes recherches, je te couvr… aaaah bon sang !

Un pied faillit l’écraser, pour la deuxième fois en moins de dix secondes. Dans le silence, un rire résonna, immédiatement interrompu par le ton glacial de celle qui avait initié la conversation.

- Au lieu de vous moquer, allez lui prêter main-forte. Que ceux qui ont quelque chose à dire se rassemblent et viennent me voir. Je ne veux plus personne contre le bord du terrain.

- Pour qui tu t’prends ? T’es pas ma mère, ironisa une voix d’adolescent sur un ton condescendant.

- Non mais oh !

- Qu’est-ce qui nous fait, c’ui-là ?

- Tu veux t’battre ?

- Laissez, c’est encore un gamin, soupira la principale intéressée. Je ne fais pas de garderie. Qu’il reste à l’écart, ça m’est égal. Ceux qui ne sont pas capables de coopérer dans ce type de situation sont morts avant même d’avoir croisé le fer avec qui que ce soit.

- Pardon ?!

- Je te prierai de bien vouloir ne pas gêner ceux qui veulent participer à ce combat, merci, trancha-t-elle. Les autres, qu’est-ce que vous faîtes encore contre les limites ? Bougez !

Il y eut un instant de flottement, comme s’il avait fallu que le vent porte ses mots, suivit d’un grand mouvement de panique, empli de cris de guerre et de râles inquiétants qui envahit le Champ de Mars. Des flots humains se déversèrent sous la majestueuse silhouette, devenue ridicule face à la centaine d’armes qui se dressait face à elle. Mais ce qui inquiétait celle qui avait pris le poste de générale et de stratège, c’était qu’aucun ne semblait se détacher pour lui fournir les informations dont elle avait besoin. Il ne lui restait donc que ses yeux pour déceler de possibles failles. Enfin, pour l’instant, il fallait parer au plus pressé. Un champ de bataille chaotique, c’est une bataille de perdue, lui avait appris l’homme qui l’avait élevée.

- S’il-vous-plaît, un peu d’organisation ! Les archers, venez vers moi, prenez de la distance et cherchez son point faible ! Les tanks, attirez les pieds, switchez au bon moment avec les autres, je veux que vous l’empêchiez au maximum de se déplacer ! Si y a des musiciens, essayez les vieilles chansons, genre celles d’y a soixante-dix ans, au pire ça nous fera un bonus défensif, au mieux on retrouvera quelques HP. Quand vous en pouvez plus, prenez de la distance et tenez-moi au courant si vous trouvez un point faible, ok ? Eh ! Octopus, c’est ça ? Couvre les archers, quelqu’un d’autre fera équipe avec Coquelicot, t’inquiète pas !

Il lui fallut un certain temps pour identifier tous les joueurs qu’elle connaissait et les classer correctement dans les positions qu’elle considérait comme adéquates. Elle ne put cependant s’empêcher de commenter les noms de ses compagnons d’armes.

- Poussière d’étoiles, tu gardes les arrières ! Si quoi que ce soit approche, avec Octopus vous le réduisez en…

- C’est pas drôle Renouveau ! la reprit l’intéressée entre deux grondements d’efforts.

- Pardon… Ah et si quelqu’un veut me transmettre des informations, oubliez pas de réveiller votre Optio, j’ai pas envie de vous entendre hurler vos cris de guerre, d’accord ?

- OUI !

Elle se mit elle aussi en position, entre le poulpe bleu qui faisait claquer ses tentacules et la guerrière des sables en babouches dorées et sarouel azur dont les deux sabres brillaient sous un soleil matinal qui pesait lourd sur leurs épaules. La formation classique portait ses fruits, surtout contre un ennemi aveugle et apparemment incapable de réfléchir, même si ses coups étaient à peu près précis, ce qui s’avérait étonn…

Comment est-ce que c’était possible ? Les larges pieds de la tour se posaient toujours approximativement là où il y avait des joueurs alors qu’elle n’avait rien d’humain, pas d’yeux, aucun sens, rien de plus de cette ossature de fer et là-haut…

- Les longue portée, que quelqu’un vise le dernier étage ! Dites-moi si vous voyez quelque chose d’inhabituel !

- Comme quoi ?

- Je sais pas, n’importe quoi, une silhouette, un être pensant avec des yeux !

- Un être humain quoi ?!

- Peut-être ! Ou pas ! Dîtes-moi si…

- Là ! hurla une voix. Là, y a quelque chose ! Tout en haut ! Comme si quelqu’un…

- Tout le monde le vise ! Je veux toutes les armes à feu, tous les arcs, tous les snipers sur cette silhouette ! Ceux qui ont une lunette, vous le gardez à l’œil ! Les autres, essayez de faire en sorte qu’elle bouge le moins possible, d’accord ? Earth, tu viens par-là, tu me remplaces !

Elle s’élança vers l’esplanade de laquelle la véritable tour n’avait pas bougé. En passant devant un pied, une voix l’appela et elle sentit qu’on l’attrapait par le bras et qu’on l’accompagnait. Elle connaissait cette voix, cette main. Anakin.

C’était parfait, qu’il la suive.

Autant faire d’une pierre deux coups.

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