L'ombre du monde

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C’est probablement ce qui les aida à guérir. Ils furent sur pied plus vite que les médecins ne l’espéraient et, bien qu’ils ne soient pas en état de sortir à proprement parler, ils reprirent tous deux leurs habitudes, étrangement silencieusement. S’ils s’étaient souvent adressé la parole depuis leur première dispute, c’était sur l’initiative de la jeune femme, qui ne pouvait s’empêcher de parler, commençant souvent par réfléchir à voix haute, avant que l’un ou l’autre ne s’en mêle. Leur guérison augmentant la fréquence et la véhémence des discussions, mais laissa également dans l’esprit de l’enfant de nombreuses informations capitales que ses professeurs avaient préféré éluder.

- C’qui s’est passé il y a quinze ans, par exemple. Qu’est-c’vous savez d’ça ? Rien. Vous savez rien de la raison pour laquelle on lutte, rien de ce qu’il se passe là-bas, rien de rien, balbutia le médecin, un soir où il avait passé quelques temps au bar.

- C’est sûr, mais qu’est-ce que tu veux, ils ne vont pas avouer avoir utilisé les gens comme ça, bougonna Zelda, ni avoir caché pendant quarante ans l’existence de gens non implantables ou ultra-sensibles aux ondes…

- Ça existe ? demanda Kazumi, tout étonné.

- Tu vois ? Personne leur apprend ça…

- Nous non plus, tu sais. Si on ouvrait une école pour leur apprendre, ça changerait les choses…

- Ouais, ça f’rait un massacre de plus et des enfants pour une fois. Nan, faut qu’on s’montre, qu’on casse tout…

- J’ai tué un policier devant des gens, on a filmé, mais le chef a pas voulu la revendiquer, alors bon…

- Et puis avec INRIS qui nous couvre, on pourrait faire exploser le Sénat qu’ça passerait pour une fuite de gaz et même l’assassinat du Président pass’rait pour un accident, à c’que j’en sais.

- De toute façon, même chez nous tout est à refaire, à moins d’une opération de grande ampleur, impossible de faire avancer les choses…

- Vrai…

Restés pensifs, les deux adultes de la pièce s’étaient tus, laissant l’enfant plongé dans une réflexion loin d’être adaptée à son âge. Depuis que celle qui l’avait embarqué dans tout ça lui avait parlé de sang, de ce qui la motivait, il avait l’impression d’être arrivé sans le vouloir dans un autre monde, un monde souterrain où toutes ses certitudes, les mots de ses professeurs, les paroles de ceux qui l’avaient élevé tour à tour, les coups et les abandons qui avaient jalonné son existence, tout avait disparu avec la lumière du jour. Ici, il avait une liberté étrange, des gens bienveillants qui le surveillaient, des sourires quels que soient les visiteurs et il pouvait prêter l’oreille à chaque discussion, quelle que soit son importance.

Pourtant, s’il ne souffrait d’aucune des frustrations habituelles à son âge, il restait une chose qui lui manquait cruellement. Ce n’était pas l’école, pas plus que les rayons du soleil ou la lumière du jour, non, c’était Synestya et ses possibilités infinies, son adrénaline, ses combats…

- Ça ne te manque pas, toi, de ne pas pouvoir jouer ? demanda-t-il un jour à Zelda.

- Non, mais j’ai l’habitude de ne pas pouvoir me servir de mon Optio, contrairement à toi. Je sais qu’au début, pour ceux qui viennent de l’extérieur, il faut un temps d’adaptation pour qu’on se débarrasse de nos habitudes, notamment celles qui là-haut nécessitent un implant. De toute façon, ici, tu ne pourras jamais l’utiliser. Tout est isolé des ondes jusque dans les fondations, même si la terre nous en protège. Je ne connais pas les détails, mais nos scientifiques sont presque certains qu’avec les nombreuses couches installées, il n’y a aucun danger.

- C’est comme ça que vous vous cachez des autres ?

- C’est ça. De nos jours, tout passe par les ondes, nous sommes géolocalisés en temps réel dans les zones couvertes, on peut nous suivre à la trace, mais pour l’instant, Paris est le seul endroit où cette couverture est véritablement efficace, c’est pour cette raison que nous nous terrons ici. Pas terrible, je sais… Pas très… Héroïque, n’est-ce pas ?

- Ça veut dire que là… On est sous Paris ?

- Plus ou moins… Notre domaine s’étend surtout sous le Val-de-Marne, mais loin du centre et de la capitale, pourtant on peut y accéder plutôt facilement. Je te montrerai quand on sortira, la prochaine fois. Enfin, si on m’autorise à ressortir… Mais bon, tant que tu n’auras pas ton diplôme…

- Mon diplôme ? Ça veut dire que je vais devoir retourner à l’école ?

- Eh oui… Mais tu verras, ça sera bien mieux que là-bas.

- Pourquoi ?

- Tu verras !

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