Souvenirs doux-amers

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Il n’avait pas tort, elle le savait pertinemment et pourtant elle ne comprenait pas ce qui l’avait poussé à se déplacer jusqu’ici. Il ne s’inquiétait sûrement pas et il avait parfaitement conscience qu’elle savait comme lui que ses erreurs auraient dû lui coûter la vie et qu’une fois encore, seul le hasard lui avait permis de rester à peu près vivante. Elle ne pouvait pas le nier, il avait toutes les raisons du monde d’être déçu. Il ne remettrait jamais sa loyauté en question parce qu’il l’avait lui-même élevée et qu’il ne pouvait pas l’imaginer trahir pour des gens qu’elle méprisait depuis sa plus tendre enfance, même si dans de pareilles circonstances, n’importe qui se serait posé la question. Elle n’était pas plus stupide que les autres, au contraire, elle pouvait faire preuve de beaucoup de qualités, mais ses nombreuses erreurs mettaient un seul et même défaut en lumière, chaque fois.

Sa confiance en l’autre. Certes, elle se battait contre des imbéciles, des incapables, des aveugles manipulés par l’argent, le pouvoir, mais elle était convaincue que si on leur montrait le bon chemin, ils iraient. C’était ce que son instinct lui dictait, parfois au point de lui faire prendre les décisions les plus téméraires, celles qui mettaient sa vie et parfois celle des autres en jeu. Et seule la chance, son incroyable chance lui sauvait la mise, lui évitant le pire de justesse. Ce n’était que grâce à elle qu’elle était toujours en vie, qu’elle avait survécu à des situations où d’autres seraient morts instantanément. Cependant, les combats ne se ressemblaient jamais. Les champs de bataille, jonchés de corps indistincts, n’étaient jamais les mêmes, ceux qu’on y trouvait tous différents. Tous plus effrayants les uns que les autres, comme cette femme. Leurs yeux s’étaient croisés et Zelda l’avait immédiatement compris : elle allait faire une erreur qui allait mettre en péril non seulement sa vie, mais celle de tous les membres de l’organisation.

Elle l’avait faite et elle s’en était sortie.

En fait… Pas vraiment, non. Elle était loin d’avoir oublié ce qu’il s’était passé, ce jour-là, au pied de la Tour Montparnasse. Le boss du jour, une femme d’affaires particulièrement retorse à cause de sa capacité à se régénérer et de ses attaques surpuissantes, réunissait les meilleurs joueurs de la ville et Renouveau avait été invitée par une administratrice qu’elle avait rencontrée dans un café. Seulement, ce boss avait une telle force que même à vingt, ils avaient du mal à l’abattre. Un des joueurs avait hurlé qu’elle lui faisait penser à quelqu’un, une poignée de secondes avant de mourir et l’idée qui avait germé dans l’esprit des autres était restée, si bien que lorsqu’ils étaient enfin parvenus à l’abattre, elle était connue sous le nom de « Présidente Kafka », du nom de celle qui dirigeait l’empire familial INRIS, créateurs et uniques distributeurs de l’Optio.

L’admin trouvait la blague offensante et, après le combat, avait demandé à la jeune faucheuse ce qu’elle pensait de cette insulte. Elle hésitait à sanctionner tous ceux qui avaient prononcé ce nom pour diffamation, mais si celle qu’elle considérait comme une personne franche et droite trouvait que ça ne le méritait pas, elle n’engagerait pas de poursuites. Cependant, elle n’eut jamais de réponse à sa question. Renouveau rechignait à aborder le sujet, elle prétexta une blessure pour prendre la fuite mais son interlocutrice n’était pas dupe. La dispute qui s’en suivit eut exactement les effets redoutés. L’une répétait qu’elle ne connaissait pas personnellement cette « Présidente Kafka », qu’elle n’avait aucune raison de la détester, l’autre la traitait de menteuse, lui disant qu’elle la connaissait, qu’elle refusait simplement de lui dire qu’elle la haïssait parce qu’elle ne voulait pas choisir un côté trop radicalement opposé au sien. La seconde avait raison. Renouveau en voulait horriblement à cette femme.

Et puis, il y avait eu un moment de flottement, où le monde autour d’elles était subitement redevenu ce qu’il était. Un bug, comme il en arrivait parfois. Face à face, les deux jeunes femmes n’avaient pas détourné le regard. La rebelle reconnut la Présidente derrière ses larmes de colère et sa stupéfaction. Leurs deux visages tirés, leurs yeux cernés, leurs joues rougies par l’effort et l’émotion se contemplèrent, déchirés. Et malgré tout, quelque chose dans le portrait de son interlocutrice avait frappé la jeune femme au point de la faire tomber de sa chaise. Elle n’avait pu que lui demander son nom.

- Primerose, lui avait-on répondu.

- Victorique, avait-elle murmuré, déçue.

Et depuis ce jour, aucune n’avait voulu reprendre contact. Leur amitié n’avait duré quelques jours, une semaine tout au plus, pourtant, le visage de celle qu’elle savait désormais être une ennemie était resté gravé en elle. Et il refusait absolument de s’effacer. C’était comme si, figés dans l’onyx, ses yeux la suivaient partout où elle regardait, dans l’ombre, dans la lumière, dans le feuillage des arbres, sous la lumière des étoiles. Oui, c’était ça. Les astres éternels s’étaient figés dans ces yeux et ne la quittaient plus. Ils refusaient de la laisser seule avec ses pensées.

Et elle ne connaissait même pas son prénom.

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