Entre ombre et lumière

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La porte s’ouvrit avec un bip satisfaisant, sans qu’elle ait besoin de faire quoi que ce soit. Zelda tendit l’oreille, aux aguets, mais il n’y avait personne. Tant pis.

Ils avaient vraiment du mal à recruter, les implantés semblaient perdre toute volonté de transgression avec l’adolescence. Et puis, les méthodes de l’Organisation n’étaient pas suffisamment claires. Elles ne parvenaient pas à faire leurs preuves, personne de nouveau n’était entré depuis des années, faute de candidats crédibles ou de candidats tout court, d’ailleurs.

Elle se dirigea machinalement vers la chambre pour y poser son fardeau et ferma les volets pour le laisser dormir. Au passage, elle laissa glisser un doigt sur les meubles et éternua bruyamment. Depuis combien de temps n’avaient-ils pas vu un plumeau ? En passant dans la cuisine, elle vit un rayon de soleil dans lequel dansait un ballet de petites particules lumineuses. Son nez la chatouilla horriblement et elle s’élança vers la fenêtre pour l’ouvrir en grand. Elle fit de même dans toutes les pièces, résolue à passer les quelques semaines qui lui étaient octroyées sans éternuer systématiquement. Et pour ça, elle n’avait pas le choix.

Enfin, elle le ferait plus tard. Une douche suffirait, avec un autre sweat. Il devait bien y avoir une…

Son ventre gronda tellement fort qu’elle sursauta. Elle secoua la tête en soupirant. Elle irait manger après, ça n’était pas un problème. Il fallait d’abord qu’elle se débarrasse de l’enfant, il la gênerait dans ses moindres mouvements, il la ralentirait, il lui ferait prendre des risques inutiles. Elle ne pouvait pas se le permettre, lui non plus d’ailleurs.

Durant tout le temps que dura sa douche, sa conscience s’amusa à lui rappeler les conséquences d’une trahison, la douleur de la torture, le sourire d’un enfant, la couleur du sang et celle d’un éclat de rire. Les repousser lui demandait plus d’énergie qu’elle n’en possédait, aussi espéra-t-elle les voir s’évaporer sous la chaleur. Elle ferma les yeux, inspira et se rattrapa à peine aux rideaux, son corps ayant choisi ce moment pour s’endormir.

- Allez, on se réveille Zelda. C’est pas le moment de s’endormir. Debout.

Sa main glissa sur le thermostat et une eau glacée acheva de la réveiller. Elle pestait encore à mi-voix, enroulée dans une vieille serviette poussiéreuse qu’elle avait trouvée sur les toilettes, lorsqu’elle rentra dans la chambre où elle avait couché l’enfant. Silencieusement, elle ouvrit le placard et trouva ce qui ressemblait à des habits qu’elle avait pu porter, quelques années auparavant. Depuis combien de temps n’était-elle pas rentrée chez elle ? Les jours passaient si vite sous terre, sans qu’elle ne parvienne à les compter.

Une fois confortablement habillée, elle s’assit sur le bord du lit. Devait-elle le réveiller ? Il serait plus facile de l’emmener tant qu’il dormait, mais ce serait une forme de trahison et les enfants étaient très sensibles à ce genre de choses, elle le savait.

- Madame ?

Elle se retourna doucement et lui sourit. Ce n’était pas à elle de choisir, visiblement.

- Oui ?

- Tu vas m’emmener voir la police ?

- Oui.

- Pourquoi ?

- Parce que quelqu’un doit reporter ce qu’il s’est passé cette nuit, lui expliqua-t-elle doucement en posant ses mains sur les siennes. Pour que tu sois pris en charge et que tu puisses être soigné.

- Mais je vais bien !

- Tant mieux. Mais tu sais, je ne peux pas te garder avec moi, alors pour ne pas avoir de problèmes, il faut que je dise que je t’ai trouvé et que j’explique que je ne t’ai pas fait de mal.

L’enfant souffla bruyamment et se retourna en tirant les couvertures. Il grogna quelque chose qui n’avait rien de très agréable, cependant Zelda fit mine de n’avoir rien entendu.

- Tu as bien dormi ? demanda-t-elle innocemment.

- Très bien.

- Pas de rêves bizarres ?

- Je m’en souviens pas. Je me souviens jamais de mes rêves.

Elle soupira. Quel chanceux, celui-là. Au moins un qui ne serait pas torturé par ses souvenirs. Du bout des doigts, elle voulut caresser ses cheveux. Sa main s’immobilisa à une trentaine de centimètres au-dessus, incapable de faire un mouvement de plus. Son cœur rata un battement, son estomac se souleva et elle renonça à son geste. Il serait bientôt parti, ce n’était pas le moment de s’y attacher. Sa capitulation la laissa pensive. Puis, brutalement, elle se souvint qu’il fallait qu’elle l’emmène au poste et qu’elle explique ce qui lui était arrivé pour pouvoir continuer à vivre tranquillement. Aussi céda-t-elle face à l’insistance de ses pensées.

- Est-ce que ça te dérangerait de me parler de ce qu’il s’est passé hier ? murmura-t-elle sans vraiment savoir pourquoi elle parlait si bas.

- Non. Mais est-ce que ça va changer quelque chose que j’en parle ?

- Euh… Oui, bien sûr, assura-t-elle, prise au dépourvu. Enfin, j’imagine.

- Ils m’ont mis dans la voiture et ils m’ont déposé pas loin de où on était, y a quelqu’un qui est venu me chercher et il a voulu faire comme avec la dame à la télé, mais moi j’ai bien vu qu’à la fin elle était morte, alors du coup je lui ai dit que je voulais pas… Il m’a dit qu’il s’en fichait et là je sais pas ce qu’il s’est passé, je touchais plus le sol et d’un coup j’ai eu très mal dans le dos et c’est devenu tout noir… Quand j’ai ouvert les yeux, y avait du sang partout et plein de nouveaux monsieur madame allongés par terre et ils étaient pas beaucoup habillés…

Son ton penaud avait quelques chose d’étrange, comme s’il avait l’habitude d’être témoin de ce genre de scènes sans qu’on lui ait jamais appris à mettre des mots sur ce genre d’actes. Brusquement, elle se demanda quel âge il pouvait avoir mais les mots ne franchirent pas ses lèvres. Elle ne voulait pas savoir. Plus elle avait d’informations, plus elle s’attachait à lui et plus elle rechignait à le livrer à la police. Ça ne ferait qu’un orphelin traumatisé de plus, un code dans un fichier, rien de concret, rien d’humain. Rien d’humain. Ses yeux se posèrent à nouveau sur l’enfant et elle secoua la tête, affichant le sourire doux qu’elle réservait aux enfants.

- Merci de m’avoir raconté tout ça. Tu es sûr que ça va ? Tu n’as pas fait de rêve bizarre cette nuit ?

- Ben non, pourquoi ?

- Tu sais que ce qu’il s’est passé hier n’était pas normal ?

- Ben oui ?

- Tu ne feras jamais ça à quelqu’un ?

- Non !

- Tant mieux, soupira la jeune femme, décidée à ne pas lui poser plus de questions. Qu’est-ce que tu veux manger ? Attends… Je vais t’aider à prendre ta douche, on va petit-déjeuner dehors et…

- Je peux me doucher tout seul !

- D’accord, alors je vais voir ce que je peux trouver pour t’habiller, ça te va ?

- Oui !

- Viens, alors, je te montre la salle de bain.

Elle le prit dans ses bras et le posa dans la douche. Il lui répéta qu’il pouvait se débrouiller, elle le laissa donc seul et se mit en quête de la valise qu’elle avait reçue de l’orphelinat. Il devait y avoir de vielles affaires qui avaient appartenu à son frère… Elle souleva le matelas et sortit un sac de voyage neuf, dans lequel elle fouilla plusieurs minutes, avant de trouver ce qu’elle cherchait.

D’anciens souvenirs remontèrent au fur et à mesure qu’elle cherchait quelque chose d’assez grand à lui mettre sur le dos. Finalement, elle mit la main sur un T-shirt qu’il lui sembla reconnaître, d’une couleur qui lui disait décidément quelque chose… Oui, il le portait sûrement, la dernière fois qu’elle l’avait vu. Il en avait retroussé les manches pour attacher les fils…

- Aaaah !

Son cœur rata un battement. Elle fut sur ses pieds en un instant et arriva devant la porte de la salle de bain le souffle raccourci, la main posée sur sa faux, prête à se battre. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle s’aperçut que le jeune garçon s’était simplement aspergé d’eau sans parvenir à l’éteindre. Il lui fallut donc venir à son secours et l’aider à enfiler ce qu’elle avait fini par trouver, tout en retenant ses éclats de rire chaque fois qu’elle voyait ses cheveux mouillés.

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