26. Glacial.

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Les semaines qui suivirent s'enchainèrent rapidement et sans grand drame.
L'automne était terminé, l'hiver était à nos portes, amenant avec lui son lot de désagréments.
L'été, nos cellules se transformaient en vraies fournaises, l'air y devenait irrespirable, les odeurs d'urine et de sueur nous dominaient. Mais ce n'était rien comparé aux tourments de l'hiver.

Mal isolées, nos cages étaient frigorifiques, bien souvent, notre souffle se transformait en nuages de vapeur. Le froid à l'extérieur était cependant bien plus intense encore, et notre heure de récréation quotidienne était une torture. En population générale, les détenus avaient leur heure tous ensemble, répartis en petits groupes, ils pouvaient discuter pour s'occuper l'esprit quand le temps était maussade. Notre récréation à nous, consistait à être enfermés, par trois, chacun dans une cage différente à l'extérieure. Mais, la plupart du temps, l'hiver, nous ne sortions que l'un après l'autre. Nous passions donc notre temps seuls, à grelotter dans les vêtements bien trop légers que nous procurait la prison.

Cela n'était pas le pire : il était fréquent qu'en rentrant en cellule, nous ayions la surprise désagréable de trouver l'un ou l'autre insecte qui avait profité de notre absence pour s'installer chez nous. Des araignées le plus souvent, et pas des moindres !
Je détestais l'hiver. Il ramenait avec lui les pensées sombres, les rêves brisés, la lassitude.

J'avais la chance d'avoir plusieurs rendez-vous légaux programmés avec Brandy, ce qui allégeait un peu mon quotidien glacial. Nous discutions de mon affaire, élaborions des stratégies. Elle avait la rage de vaincre et une haine incommensurable de ce système judiciaire qui était le nôtre dans le "lone star state". Je la sentais déterminée, tenace. Et sa pugnacité me donnait de la force.

L'espoir renaissait en moi, même si je luttais pour ne pas le laisser me submerger. Il existait.

Paradoxalement, l'espoir, si prompt à nous faire perdre les pédales dans notre bon vieux couloir, devenait peu à peu mon moteur pour traverser les longues nuits et les journées polaires.

Et surtout à affronter les humeurs de Rey.

Depuis l'exécution de Benson, El Verdugo n'était plus le même homme.

On aurait dit que la mort d'un type qui comme lui était fier, combatif et dont le visage avait si longtemps marqué la une des médias, avait été le déclic de mon voisin de cellule.

Comme s'il lui avait fallu dix longues années et la mort de Benson pour réaliser qu'il était dans le couloir de la mort et que sa seule échappatoire possible serait de partir les pieds devants.

Re, d'ordinaire sûr de lui et arrogant, semblait avoir été happé par des abysses noires et sans fond.

Il ne parlait presque plus, ne bataillait plus. Sa personnalité s'était éteinte comme la flamme d'une bougie manquant de cire.

Si j'essayais d'entamer la conversation, il ne me répondait que par des grognements. Lui dont le rire avait si souvent retentit, tellement incongru dans ce lieu de ténèbres, passait des nuits entières à sangloter, provoquant les moqueries du reste du couloir.

Le chef de gang perdait de son prestige un peu plus chaque jour.

Je me sentais impuissant face à ses craintes et ses larmes. Et mon espoir nouveau agrandissait encore le gouffre qui nous séparait un plus chaque jour.

Gomez et Chambers, quand ils étaient de garde, prenait un malin plaisir à profiter du calvaire de mon ami. Le provoquant, l'insultant. Frapper un homme à terre...

Même les visites avec sa bien-aimée Marissa ne semblaient rien changer. Il en revenait la mine toujours plus sombre, le visage toujours plus fermé, les traits toujours plus tirés.

Un matin, semblable à tous les autres, je m'éveillais à l'odeur du petit-déjeuner. Le parfum des œufs lyophilisés qu'on nous servait quotidiennement n'avait rien d'agréable, mais durant les rudesses de l'hiver, les repas, si dégueulasses soient -ils nous apportaient de quoi tenir le coup et réchauffer nos corps. Je mangeais avec appétit puis tentait une ébauche de discussion avec Rey :

- Rey ? tu es bien silencieux ce matin. Ça va ?

Seul le silence me répondit, pas un grognement, pas un son, pas un mouvement.

J'insistai, élevant la voix. C'était étrange ce silence,étrange et aussi glaçant que la sensation laissée par la couche de neige , entrevue par ma fenêtre.

- Rey, Oh! Rey!

Toujours rien. Une angoisse, comme une prémonition m'étreint les tripes tout à coup.

Je gueulai franchement cette fois :

- Reyes ! Réponds-moi putain !
Burrows, le gardien en charge des plateaux-repas, arrivait justement à ma hauteur pour son ramassage.

- Matthews, pourquoi tu beugles comme ça, bordel ?! me lança-t-il, passablement énervé.

- C'est Reyes, il ne me répond pas. C'est pas normal ! Il n'est pas d'humeur ces jours-ci et là, il est tout silencieux, y a un problème m'sieur Burrows ! me mis-je à piailler la voix transpirant d'angoisse.

La vision de Reyes se vidant de son sang sur le carrelage gris de sa cellule, s'imposa à mon esprit avec une telle violence et une telle soudaineté que j'en frisait la crise d'hystérie.

- Burrows, allez vérifier putain, il lui est arrivé quelque chose, j'en suis certain !

Burrows ricana:

- Matthews, ta petite copine aurait du mal à te répondre, il a été transféré à Huntsville ce matin sur le coup des six heures...


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