25. Batailles et aiguilles.

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Je rejoignis ma cellule avec du baume au cœur. Brandy m'avait rendu, peut-être pas l'espoir, car il était possible que l'appel soit rejeté quand même, mais au moins une certaine quiétude face aux épreuves qui m'attendaient encore.
Celle-ci fut, hélas, de courte durée. En passant devant la cellule de Rey, je l'entendis frapper dans les murs, en poussant des cris bestiaux.
Gomez fit une courte pause devant la porte et y cogna avec sa matraque, faisant trembler le métal blindé.
- Calme toi, Monkey Boy !

- Ta gueule hijo de puta ! s'époumonna Rey, la rage au ventre.
Ça ne sentaitpas bon. Gomez était le genre de gardien à pouvoir pousser un détenu à la crise à la moindre occasion, on était loin de Mac, qui lui aurait tenté de désarmorcer la bombe à retardement en laissant Rey se calmer de lui-même. Mais Gomez, lui, préférait la confrontation. Après tout, ce n'était pas lui qui terminait Swaté ou au trou.

Aussi fus-je étonné quand Gomez sembla vouloir passer son chemin, sans relever l'insulte, et me reconduire chez moi.
J'attendis qu'il referme la porte et que ses pas s'éloignent pour parler à Rey.
-Rey ? Qu'est-ce que t'as ?

- C'est Benson, cet enculé de Gomez est venu m'expliquer son exécution, il parait que les gardiens ne parlent que de ça.

Travis Benson avait été exécuté la veille. C'était un détenu important du couloir. Un de ces gars que tout le monde connaissait, ne fut-ce que de nom. Trente huit ans, dont dix-neuf passés derrière ces murs. Son crime n'avait rien d'exceptionnel en lui-même, mais au fil des années il s'était bâti une solide réputation dans le couloir.
Certains gardiens l'auraient décrit en utilisant le mot rebelle. Pourtant il ne se résumait pas qu'à ça. Il n'était pas homme à chercher la confrontation pour le plaisir de se battre. Mais il avait une fierté immense et refusait de n'être qu'un numéro d'écrou, un visage anonyme dans la masse.

Il avait réussi, par son bagout, son intelligence et sa détermination, à obtenir la une du New-York times, et un documentaire sur sa vie dans le couloir, tourné par la chaine cablée H.B.O.
Il avait écrit un livre racontant notre quotidien, sous forme de chroniques couplées d'anecdotes, qui s'était écoulé à plus de trois cent mille exemplaires. Il avait attiré sur lui, les regards des avocats de l'innocence project. Un groupe d'avocats spécialisés dans la peine capitale et qui assuraient la défense Pro Bono de détenus dont l'innocence était avérée. Car, oui, Benson était innocent.
Il faisait partie des quatre pourcents de détenus condamnés sous la "loi des parties".


Cette loi, grande exclusivité texanne, stipulait que lors du déroulement d'un crime, toute personne se trouvant sur les lieux et accompagnant le criminel pouvait encourir la même peine. Si vous alliez en soirée avec des amis, que votre pote, au moment de payer ses cigarettes, décidait tout à coup de sortir son arme (détenue légalement, beau paradoxe texan) et flinguer l'épicier de nuit, vous auriez dû lire dans son esprit et l'en empêcher. Du coup, vous aviez des chances d'atterrir chez nous. Même si vous n'aviez pas mis un pied dans le magasin et attendu sagement dans la voiture. Pour être innocent au Texas, il fallait avoir soit de bons amis fiables, soit un don de voyance digne de Nostradamus ...

Il avait contribué à rendre célèbre cette loi ridicule et injuste. Grêve de la faim, révoltes, tentatives de mutineries, rien ne l'arrêtait dans ses tentatives d'attirer la lumière des médias sur lui.

Il répétait toujours qu'il préférait mourir en lion, que survivre en mouton.

Il était le détenteur du record de jours passés au trou, et on ne comptait plus le nombre de flacons de gaz incapacitant utilisées pour le faire taire.

Il s'était marié dans le couloir avec une militante anti peine de mort anglaise, de trente ans son ainée. Beaucoup de détenus disaient qu'il était avec elle par profit, mais ayant été son voisin de cellule pendant huit mois, je savais que ce n'était que des rumeurs infondées. Il l'aimait, celle qu'il appelait sa majesté.

Benson avait donc reçu sa date d'exécution quelques mois plus tôt, et le jour fatidique était arrivé.

De nos cellules, nous avions d'un front commun décidé de faire une action ce soir-là. Le mot était passé, de cellule en cellule, par la voix ou par les message fishés. À dix-huit heures précises, l'heure où le médecin de la prison enfonçait son aiguille dans le bras de Travis Benson, lui envoyant les trois poisons qui l'anesthesieraient,le paralyseraient et enfin arrêteraient son coeur, nous avions tous tapé en rythme sur nos portes. Le vacarme intense était notre signe de protestation à nous, notre musique pour accompagner son âme devant Dieu.

- C'est quoi le soucis avec son exécution ? demandais-je, un peu perdu.
- Tu connaissais Benson il me semble...

- Oui j'ai été son voisin, un temps.

- Quand l'aumonnier et les trois gardiens sont venus le chercher en lui disant que c'était l'heure de partir pour la chambre d'execution, il a refusé de bouger son cul de black de la couchette. Les gardiens ont essayé de parlementer, de le ramener à la raison, d'arrêter ses enfantillages.

Je souris, c'était typiquement du Benson, j'imaginais les pauvres gardes totalement démunis face à la grande carcasse de Benson refusant de bouger d'un iota. Les gardiens de Huntsville ne recevaient que les détenus ayant reçu leur date d'exécution. La dynamique entre eux et ces détenus qui savaient qu'ils n'avaient plus beaucoup de temps devant eux, était totalement différente. J'en avais eu écho par un ancien voisin de cellule qui avait été transféré là-bas, avant de recevoir un sursis d'exécution et de rentrer à Polunsky.

- Y pas de swat team là-bas, tu le sais, continua Rey, du coup ils ont négocié avec Benson pendant une heure trente, le temps de la faire venir d'ici.

- Et je suppose qu'il n'a pas changé d'avis ? m'enquis-je.

- Bien sûr que non, du coup l'équipe est arrivée, ils lui ont sauté dessus; d'abord ils ont essayé de le trainer mais il gueulait " Je ne mourrai pas à genoux! Je n'irai pas ,sans vous faire chier, crever gentiment comme un putain de boeuf à l'abattoir !".

Un silence s'abattit entre nous. Rey le cassa, des larmes dans la voix.

- Il l'ont tabassé et ligoté sur un brancard, quand ils l'ont transféré sur celui où on reçoit l'injection, il était évanoui, le nez cassé, la gueule en sang.

- Il s'est battu jusqu'au bout, Rey, dis-je d'une voix désabusée.

- Il s'est battu et puis ? C'est quoi le résultat ? Il l'ont tué comme un chien, Colton.

- Je sais...

- Ils lui ont collé leur putain d'aiguille dans le bras, ils ont ouvert le rideau et la famille des victimes s'est régalée de le voir crever. Des victimes qui n'étaient même pas les siennes...

- Rey, répondis-je calmement, on le sait tous comment ça se passe .

- Je veux pas crever, frère.

Là-dessus mon ami, le chef de gang, le mâle viril, le loup alpha, fondit en larmes.



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