14. Virage.

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Plus tard dans la journée, alors que j'oscillais entre chagrin, questionnements et colère, assis à me balançer comme un autiste sur le carrelage gris, j'entendis un branlebas de combat tout à côté.

Je me relevai avec peine, courbaturé d'être resté assis sur du sol dur pendant les deux derniers jours.

J'approchai de la lucarne et y jetai un oeil. J'entrevis McManaman et Olumbé, un autre des gardiens de l'aile B. Ils étaient occupés à trier, ou plutôt jeter, les affaires de Johnson, au milieu du couloir.

- Mac? Mac! appelai-je en tapant du plat de la main sur la vitre blindée.

Il déposa le magasine qu'il tenait à la main sur le sol et s'approcha de moi.

-Qu'est-ce que tu as Matthews ?

- Vous foutez quoi là, les gars ? demandai- je sur un ton blasé.

- On vide la cellule de Johnson, tu le vois bien quand même ?!

- Ouais, mais pourquoi ? Il a enfin réussi à s'envoyer de l'autre côté ? questionnai-je, ma curiosité soudain piquée.               

Le gardien secoua la tête, faisant virevolter ses boucles rousses dans tous les sens.

- Non, enfin il n'est pas passé loin tout de même, ce crétin a réussi à se déchiqueter les poignets... Avec les dents ! s'exclama-t-il, l'incrédulité perçant dans sa voix.

Je restais silencieux, encaissant la nouvelle. Ce Johnson était vraiment incroyable, il ne reculait devant rien pour tenter de mettre fin à ses jours, comme si l'injection létale ne viendrait pas suffisamment vite.

- Mais... continuai-je, Mac, sérieusement, pourquoi vous ne le laissez pas crever ce pauvre taré ? C'est ce qu'il veut non ?

- Parce que l'état du Texas est propriétaire de sa vie maintenant, p'tit gars, répondit Olumbé de sa voix de baryton, en sortant de la cellule, une bible à la main. Et que seul notre bon vieux gouverneur a le droit de décider du jour où il ira pomper les pissenlits par la racine !

- C'est complétement con, répliquai-je en haussant les épaules.

- Matthews, me coupa McManaman, si je te disais que je n'avais jamais eu envie de laisser ce bouffeur de môme se vider de son sang dans sa cage, je te mentirais. Mais j'ai des gamins à élever, et je ne veux pas perdre mon travail pour négligence, juste pour laisser la liberté de choix à un taré de psychopathe.

- Je comprends, mais du coup, pourquoi vous videz la cellule ?

- Notre bon vieux Johnson a gagné sa place en suicide watch*, il était grand temps, révéla Olumbé.

- Mais c'est cool pour toi, Matthews, affirma Mac, tu vas avoir un nouveau voisin, ça te changera les idées.

- Mouais, marmonnai-je en retournant m'allonger sur ma couchette.

Avoir un nouveau voisin n'était pas toujours une bonne nouvelle dans le couloir. Parfois, vous aviez de la chance et vous vous rapprochiez de votre voisin. Cela permettait des discussions, du troc de snacks achetés à la cantine, bref cela apportait un souffle nouveau. Pendant quelque temps. Puis, on vous rechangeait de cellule, ou votre voisin recevait sa date et était transféré à Huntsville, et le vide à combler semblait souvent insurmontable. D'autres fois, vous tombiez mal, soit par manque de pot, soit parce que l'un où l'autre gardien n'aimait pas votre tronche.

Et vous vous retrouviez coincé avec un fou comme Johnson. Ou encore un tueur de sang froid qui ne parlait que de meurtres et de mort ou un gamin déprimé qui venait d'être condamné et n'arrivait pas à sortir du trou mental dans lequel une telle nouvelle nous plongeait tous sans exception ou presque.

Ce matin là,cependant, le ciel semblait être de mon côté.

Vers 11 heures, escorté par Olumbé et Mac, je vis arriver un des détenus "high profiles" de Polunsky Unit. Les "high profiles" étaient ces condamnés dont l'affaire avait pour l'une ou l'autre raison, fait la une des médias. Membres respectés de gangs célèbres, assassins de policiers, tueurs en série, la liste était longue. Étonnement, ces types étaient souvent à la tête de véritables fan clubs, en découlaient de gros moyens financiers, et une certaine influence, parfois même sur les gardiens.

Mon nouveau voisin s'appellait Reynaldo Reyes, âgé d'une trentaine d'années, c'était un des membres les plus haut placé du gang mexicain numéro un du texas : Tango blast. Il était le fils d'un des membres fondateurs du groupe et c'était un miracle qu'il ait survécu jusque cet âge, tant les membres de ce type de cartel risquait leur peau.

Reynaldo avait été condamné après avoir fauché deux enfants d'une balle perdue lors d'un réglement de compte avec une bande rivale dans un quartier mal famé de Houston.

Il était une sorte de légende chicano, une véritable célébrité du monde carcéral et je fus moi-même ébahi de le voir débarquer dans la cellule voisine.

Plutôt petit, aux alentours du mètre soixante-quinze, il était terriblement musclé.

Il se déplacait torse nu, sa chemise de détenu noué autours de la taille, révélant un buste et un dos entièrement tatoué. Le crâne rasé, les yeux noirs, une fine moustache au dessus de sa lèvre supérieure, son physique n'avait rien à envier aux clichés mexicains du cinéma.

Il remarqua que je l'observais par ma lucarne et me fit un geste de la main, un grand sourire éclairant son visage qui, d'un coup, redevenait juvénile.

-Salut gars ! me dit-il

-Yo ! répondis-je, tentant de la jouer cool.

Je n'arrivais pas à croire ma propre réaction : "Yo ?", non mais vraiment... J'étais tellement abasourdi de me retrouver face à Reyes après tant d'années à entendre des rumeurs à son sujet, que j'en devenais ridicule. Après-tout, même si c'était une star de la prison, il repartirait les pieds devant tout comme moi.

-Colton Matthews, repris-je en raffermisant le ton de ma voix.

-Hmm Matthews, hein, murmura-t-il en fronçant les sourcils, t'es le gars qui a démonté ce redneck à Denton pas vrai?

J'ignorais comment il savait ça, mon cas n'avait rien d'hautement médiatique et Reyes était ici depuis aussi longtemps que moi. Il lut immédiatement l'étonnement sur mon visage, et sourit devant ma confusion :

- Je sais tout l'ami, je vois tout, j'entends tout et je peux tout.

Je restai interdit face à cette réponse, ne sachant que dire et surtout comment l'interpréter.

Il continua :

- Ça peut-être une promesse ou une menace, à toi de voir de quel côté tu veux voir pencher la balance.

Il m'adressa un clin d'oeil et la porte de sa cellule se referma derrière son dos tatoué.

(*note de l'auteur: le suicide watch est une aile du couloir où sont placés les détenus posant un risque potentiel quant à leur propre sécurité, avec surveillance caméra 24h/24 dans chaque cellule).

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