4.Exilé.

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Je ne revis pas Mitsy les jours qui suivirent mon altercation avec son beau-père.
Pendant deux semaines, je ne fus quasiment pas chez moi, traînant plus que de raison avec Luis et d'autres petites frappes tout aussi fréquentables.
Je n'avais pas peur de recroiser Derreck, malgré les ecchymoses en forme de doigts qui me dessinaient un magnifique collier violet vautour du cou. Les coups ne m'effrayaient pas, pas plus que les menaces.
Cependant je redoutais de croiser Mitsy, je n'avais rien pu faire pour elle quand j'aurais dû la protéger, je m'étais fait remettre en place comme le gamin que j'étais, devant la fille que j'aimais.
Ce moment où elle avait disparu en hurlant au fond de la maison bleue, le bras enserré par la main de son beau-père était gravé au fer rouge dans ma mémoire, ainsi que les cris que je l'avais entendu pousser alors que j'étais assis impuissant et sanglotant dans la boue.
Je craignais de la recroiser, de voir les marques que ma "bravoure" avait dû imprimer sur son doux visage aux traits fins.
J'avais voulu tenter de la protéger et elle en avait payé le prix bien plus que moi.
J'avais choisi la technique de l'autruche: je réapparaitrai lorsque ses propres bleus seront assez effacés pour que je puisse la regarder en face sans y voir le reflet impitoyable de mon échec en tant qu'homme et petit-ami, si tant est qu'elle m'ait un jour considèré comme tel.

Ma mère ne s'inquiétait pas de mes absences, avec son travail de nuit, nous nous croisions à peine, aussi passais-je mes journées à traîner dans les mauvais coups, engrangeant quelques dizaines de dollars par-çi par-là, me convaincant mentalement que cet argent serait mis de côté pour fuir quelque part avec Mitsy, loin de cette vie de merde où nous stagnions.
Je trainais mes nuits dans des squats de la ville, accompagnés de sans-domiciles fixes et de drogués, noyant ma honte dans des litres de vodka bon marché, diluant ma peine dans les vapeurs de marijuana et la blancheur de la cocaïne.

Parfois, il m'arrivais de raconter ce qui c'était passé, à l'un ou l'autre des types louches qui partageaient avec moi un fond de bouteille ou un cul de joint sur un morceau de carton où m'allonger.
Mettre des mots sur ce qui était arrivé me faisait mal, mais cette douleur était un remède à l'absence de Mitsy, cette blessure dans mon ego, c'était un morceau d'elle, encore.
Un soir, alors que je racontais mon histoire pour au moins la dixième fois, un type à la mine patibulaire m'interrogea :

-Tu as peur qu'il te fasse la peau quand tu le recroisera , gamin?

-Non, j'ai peur que ça arrive à nouveau, j'ai peur de ne plus pouvoir me regarder dans une glace si je la vois encore avec le visage en morceaux...
-Si tu ne peux pas gagner par la force, tu peux gagner par la peur, petit gars , me répondit-il.
Je levais vers lui un regard interrogateur, je ne comprenais pas ce qu'il voulait dire par là.
Il fouilla dans son sac et me tendit une arme.
En temps normal, jamais je ne l'aurais touchée, pourtant, à cet instant, le métal qui brillait à la lueur des bougies dans notre squat insalubre, attira mon regard comme un aimant.
Je n'y connaissais rien en arme à feu, mais c'était ce qui me semblait être une belle pièce, le métal du canon chromé scintillait,la crosse en bois brun semblait de belle facture.
Le type me montra comment enlever le cran de sécurité.
-Tu vois, petit, tu pousses juste là et boum, c'est prêt,tu la pointes droit sur lui, et tu n'as même pas besoin de tirer, ton type va se chier dessus et ta chérie n'aura plus jamais de dégats.
Il déposa l'arme au creux de ma main, Elle était plus lourde que je ne le pensais, mais au lieu de m'effrayer, elle me donna un sentiment de pouvoir, de sécurité, comme si, subitement j'avais retrouvé ma virilité.
-Combien t'en veux? m'entendis-je dire d'une voix ferme et déterminée.
-Je te l'offre mon garçon, le vieux Tyler à encore bien des joujoux comme celui-là dans son repère secret, et j'ai toujours détesté les fils de pute qui s'en prennent aux gamines sans défense.
Je le remerciai et rangeai l'arme dans mon sac après m'être assuré que le cran de sécurité était bien en place.

Quelques jours plus tard, je décidais qu'il était temps de rentrer chez moi, plus les jours passaient et plus je m'enterrais dans des paradis artificiels, et il était hors de question que je me transforme en l' un de ces junkies à la silhouette fantômatique qui effrayaient les passants.
J'arrivais devant ma maison alors que le soleil se couchait, et j'entendis la voix de Mitsy m'appeller.
Je me tournai vers elle et elle me prit dans ses bras, me disant combien je lui avait manqué et combien elle avait eu peur que je ne revienne plus jamais.
Je jetais un oeil à son visage, les bleus avaient disparus, quelques légères traces étaient encore visibles sous le maquillage, mais rien que ses baisers et la chaleur de son corps serré contre le mien ne puisse me faire oublier.
Elle se blottit à nouveau contre moi, et j'aperçus le visage de Derreck qui nous épiais à travers la fenêtre de sa baraque décrépie, mon coeur se mit à battre trop vite, et je la repoussais.
-Mitsy, tu dois rentrer chez toi, dis-je, à regret, nous allons avoir des ennuis.
Elle me regarda droit dans les yeux et je vis à quel point ma phrase la blessait, peut-être même plus que les coups, mais je ne pouvais me résoudre à lui faire courir le danger de devoir affronter son beau-père.
Elle me tourna le dos et j'eus le temps de voir Derreck me faire un signe de tête derrière la vitre sale; j'avais fait le bon choix... du moins le croyais-je.


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