Précieux cadeau (1)

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  Plusieurs lumières artificielles transperçaient l’obscurité, une lampe murale ainsi que deux petits lampadaires parvenaient à éclairer timidement la cavité souterraine. Ne parvenant pas à regarder en arrière, Orm se contenta d’avancer pour voir où il était. Il tapota timidement l’épaule de Sibjorn pour le réconforter et lui intimer de le suivre mais le colosse n’en fit rien. Comprenant qu’il avait besoin de temps, Orm le laissa seul avec son chagrin. Il piétina sur la roche inégale et glissante pour arriver vers le premier lampadaire à côté duquel plusieurs caisses reposaient. Intrigué, le jeune chef fit un tour sur lui-même, il vit le grand lac ainsi que l’immense trou béant dans la roche et la glace laissant apercevoir l’océan et le ciel. L’endroit avait l’attrait d’un port abandonné, ce qui expliquait les coffres et autres tonneaux qui traînaient là. Le lac n’en était pas vraiment un, juste l’océan qui s’était engouffré dans la grotte. Orm se demanda si le tremblement était lié à la crevasse, peut-être était-ce l’œuvre de son frère et de cette femme ? Il tenta de se remémorer sa vision, la jeune femme avait parlé de partir…

  Des grognements venaient du plafond et se mêlaient à ceux du vent qui s’engouffrait dans la cavité en répandant un froid mordant. Orm grelotta, trempé jusqu’aux os, il rêvait d’un bon feu pour s’y réchauffer. Avec toutes ces caisses, il serait sûrement possible de remédier à ce problème. Arrachant sa hachette de sa ceinture, il frappa de sa main valide une boîte, éclatant les planches. Orm répéta son geste plusieurs fois pour enfin ramasser son labeur. Il se mit ensuite à genoux pour entasser le bois et ouvrit son fusil pour récupérer une balle qu’il posa sur le sol. Il compta ses munitions et poussa un long soupir : il ne lui en restait que trois, en prenant en compte celle qu’il avait retiré. Mais avait-il d’autre solution ? Dire qu’il avait accepté de commander pour une simple expédition de quelques jours. Une fois le griffon tué, il aurait été préférable pour eux de rentrer. Mais l’avidité ou l’espoir les avait poussés à continuer. Au final, Orm avait perdu son jeune frère ainsi que le plus expérimenté du groupe. Comme si le chagrin ne suffisait pas, il était blessé et incapable de se battre. Pour couronner le tout, lui et Sibjorn se retrouvaient coincés dans une crevasse avec des créatures extrêmement dangereuses à leurs trousses.

  D’un geste rapide et trahissant sa frustration, Orm frotta la balle contre la roche dans un crissement métallique. Une gerbe de flammes s’en échappa et le chasseur s’en servit pour allumer son feu de camp. Une fois fait, il entreprit de casser d’autres planches pour avoir plus de bois. Seul le bruit de sa hachette résonna dans la grotte pendant plusieurs minutes.

  Le souffle court, Orm profita d’une pause pour observer son compagnon. Ce dernier se déplaçait sur le rivage du lac, se retrouvant à peine visible depuis les lueurs des lampadaires. Le chasseur appela son ami pour qu’il vienne se réchauffer mais le colosse décida de courir dans la direction opposée. Le cœur battant, Orm se releva pour partir à sa poursuite. Il craignait que le titan ait survécu ou alors peut-être que Sibjorn avait trouvé le corps d’Ogard ?

  Les vêtements poisseux et collants ne l’aidaient pas à courir, ni les crevasses du sol. Orm se tordit la cheville et faillit tomber à maintes reprises. Soufflant et jurant, il fit de son mieux pour avancer. Enfin arrivé au niveau de Sibjorn, il vit que son compagnon s’était jeté au sol pour tirer le corps inerte de l’ancien marchand. Ogard avait une vilaine entaille sur le front et le visage couvert de sang.

 – Il est en vie, beugla Sibjorn. Il s’est cogné en tombant et par chance, il a dérivé jusqu’ici !

Avant qu’Orm puisse répondre, Sib s’attaquait déjà à masser la poitrine du quarantenaire et lui faire du bouche à bouche. Orm voulut lui dire qu’il était trop tard : s’il était en vie, il n’y aurait pas besoin d’agir ainsi. Il se pencha sur l’épaule de son compagnon, se détestant pour ce qu’il s’apprêtait à dire :

 – C’est trop…

Une toux caverneuse s’échappa des lèvres du vieil homme. Orm écarquilla les yeux, ne croyant pas ce qu’il venait d’entendre. De l’eau s’échappa de la bouche du marchand et il repoussa mollement Sibjorn.

 – Mon garçon, je préfèrerais que tu gardes tes lèvres loin des miennes, dit-il d’une voix d’outre-tombe en affichant un timide sourire.

  Sibjorn l’étreignit de joie et Orm éclata de rire tout en retenant difficilement ses larmes. Les deux jeunes aidèrent l’ancien à s’assoir avec délicatesse, le pauvre homme était tout tremblant et très affaibli. Sa respiration était encore difficle, il semblait prêt à s’écrouler à tout moment, ce qui n’empêcha pas Sibjorn de le prendre encore une fois dans ses bras. Le grand costaud semblait si heureux de voir son compagnon en vie ! Orm patienta avant d’en faire de même et Ogard lui rendit son sourire.

 – On t’a cru mort, tu sais ?

 – Vous étiez si pressés de m’enterrer ? Je savais que la compagnie d’un vieillard ne vous seyait guère, répliqua Ogard en souriant.

 – Il est vrai que je commençais à me lasser de tes histoires de catins et d’alcool. Mais de là à souhaiter ta mort, mon ami…

Sur ces mots, Orm tendit sa main droite pour serrer celle d’Ogard, oubliant jusqu’à son os cassé et ne broncha pas quand le marchand lui secoua doucement le bras. Sibjorn se baissa pour passer sa tête sous l’épaule d’Ogard afin de le mettre debout.

 – Rapprochons-nous du feu. Ça serait dommage qu’après avoir échappé à la noyade, tu crèves d’hypothermie.

 – Je te suis reconnaissant pour cette initiative, souffla l’ancien tout en se levant avec difficulté. J’ai l’impression d’avoir pris une sacrée cuite, en tout cas.

 – Tu te souviens de ce qu’il t’est arrivé ? questionna Orm tout en venant le soutenir à son tour.

 – La chute… puis une pierre a heurté mon visage, je crois. Je ne me rappelle pas avoir touché l’eau.

 – Pendant que tu barbotais tranquillement, on s’est occupé d’un titan, enchaîna Sibjorn.

 – L’un d’eux a sauté ? beugla l’ancien, abasourdi.

 – Celui sur qui tu as tiré, il me semble. Je lui ai collé un coup de hache et Orm l’a eu avec son pistolet. Il a finit par couler au fond du lac mais j’ai bien cru qu’il nous tuerait avant… foutu monstre !

 – Tirer de la main gauche n’a pas dû être facile, souligna Ogard. D’ailleurs, où sommes-nous ?

 – Sous le hangar. Sûrement où Sven est tombé aussi. Ce n’est pas un lac, là-bas on peut voir le ciel qui se dessine dans la roche brisée. C’est probablement ça qui a provoqué le tremblement. Enfin je suppose. La falaise où on était dans la journée, devait être dos à l’océan et nous nous retrouvons tout en bas. Je n’ai pas encore fait le tour des lieux, j’ai juste cassé des planches pour faire un feu et Sib t’as trouvé.

 – Si on a réussi à descendre, on doit pouvoir remonter, grogna Sib.

  Le trio arriva enfin vers le feu de camp, laissant Ogard s’installer, les deux autres déplacèrent des caisses pour s’abriter du vent. À un moment, ils voulurent en déplacer une entièrement en ferraille, incroyablement lourde, ils finirent par abandonner. De plus, Orm n’avait pas apprécié la sensation qu’il avait ressenti à son contact : un picotement agaçant. Par chance, dans une des caisses que le chef avait cassées, se trouvait quelques couvertures miteuses et poussiéreuses. Ils purent ainsi retirer leurs vêtements trempés pour les faire sécher et se couvrir pour ne pas mourir de froid. Assis autour des flammes, les trois hommes ne savaient pas trop quoi dire, ils avaient failli mourir plusieurs fois en une journée, ils avaient faim et ignoraient comment se sortir de là. Orm, qui avait d’abord pensé qu’il aurait été préférable de mourir lors de la chute, sentait revenir en lui un élan d’espoir : Ogard était en vie, son frère devait l’être aussi. Ils avaient forcément une chance de se sortir de là.

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