Les os d'une Mère (2)

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  Les mains jointes, Keiko se serrait nerveusement les doigts sans quitter des yeux Noa. Elle semblait tiraillée entre l’envie de lui répondre et une certaine crainte. La guerrière fauve ne perdit pas patience, se contentant d’observer en silence l’adolescente. Liam en faisait autant mais les jumeaux qui étaient dans la même cellule, ne possédaient pas le tact de leur chef ni de la sauvageonne. Allan se leva et passa une gamelle vide à travers les barreaux.

 – L’espoir d’avoir un peu d’eau ou à manger ? C’est pour ça que tu l’as épargnée non ? Pour qu’elle vive. Alors ça serait sympa de pas nous laisser mourir de faim.

  Liam soupira et Arno émit un rictus amusé. Keiko écarquilla les yeux en se demandant si cet homme comprenait la situation dans laquelle il était. Il fit cependant demi-tour pour prendre un seau en bois qu’elle traîna vers les cellules. La gamine arracha la gamelle des mains du jumeau et la remplit d’eau avant de lui rendre.

  Le chef se souvint alors d’une discussion avant leur départ. Cette fille était supposée conduire ce vaisseau pourtant elle était là, face à lui. Qui pilotait l’aéronef ? Le grognement de satisfaction d’un des jumeaux le tira de sa réflexion. Allan semblait avoir du mal à boire à cause du récipient peu adapté mais il étanchait sa soif. Il fit passer le bol à son frère qui se désaltéra puis ce fut le tour de Liam.

 – Quel espoir ? réitéra Noa d’une voix agacée.

 – Pardonne moi, répondit Keiko en sursautant. J’y ai vu un espoir personnel. Et je préfère le garder pour moi, pour l’instant. Mais si ça peut te rassurer, cela ne sera en rien nuisible pour toi.

 – Si tu veux que cela se concrétise, il semblerait judicieux de m’en informer, non ? Si ce n’est pas nuisible pour moi, comme tu le dis, m’en dire plus ne me fera pas de mal non plus.

 – Il est vrai. Mais cela pourrait brouiller ta sincérité.

  Sur cette affirmation énigmatique, Keiko servit de l’eau une nouvelle fois à Liam et ses hommes puis en fit autant pour Noa. L’adolescente ouvrit la cage de Jack pour y entrer, elle passa ses doigts sur le front ruisselant de sueur du mercenaire. Il avait de la fièvre et il claquait des dents. La jeune femme trempa un chiffon dans le seau qu’elle essora pour éponger le visage brûlant du malheureux. Elle lui souleva doucement la tête avec la douceur d’une mère s’occupant de son enfant et l’aida à boire. Keiko inspecta ensuite les bandages et dit qu’elle demanderait à quelqu’un de venir arranger ça. Refermant la cellule, elle s’apprêtait à remonter l’escalier quand Liam prit la parole :

 – Tu es la pilote, n’est-ce pas ? Alors pourquoi et comment es-tu là plutôt qu’aux commandes ?

 – Une fois décollé, le vaisseau dispose d’un système pour naviguer lui-même. On a besoin de moi pour atterrir et décoller ainsi qu’entrer les coordonnées.

 – Et tu es la seule à pouvoir faire ça ? Enfin, ça n’a rien de si compliqué.

 – Il faut savoir lire l’ancienne langue en plus d’apprendre à piloter. Rares sont ceux qui y arrivent. Évidemment, je ne suis pas la seule à bord. Mais je suis la plus compétente, répondit Keiko avec fierté.

 – Remplaçable donc, signala Liam. Méfie-toi davantage de Wanlia dans ce cas.

 – Ce chien aboie plus souvent qu’il ne mord, n’aie crainte pour moi.

 – Pourquoi vous ne vous entendez pas ? interrogea Noa. Tu es la fille du chef qui est le mentor de Wanlia. Vous êtes comme une famille, non ?

 – Ce n’est pas sa fille ! grogna Keiko. Elle l’accompagne car elle s’est montrée apte pour diriger. C’est tout !

 – Ouais, t’as clairement peur qu’elle te vole ta place. Et j’imagine qu’elle ne t’aime pas car tu es la vraie fille de ce gros costaud, poursuivit Noa en souriant. De la jalousie, voilà ce qui vous ronge. C’est stupide…

 – En quoi est-ce stupide de vouloir garder l’amour de son père ? demanda Keiko, ses yeux foudroyant la sauvage.

 – Chez moi, nous sommes élevés par plusieurs femmes qu’on appelle toutes Mères. Notre génitrice ne nous en tient pas rigueur et nous l’aimons autant que les autres. Nous sommes une grande famille, si tu préfères.

 – On est pas tous des sauvages qui couchent avec leurs frères et sœurs. La famille est importante pour nous, répliqua l’adolescente.

 – Important ? Tu refuses qu’on approche ton père car tu l’aime et que tu le veux pour toi toute seule. C’est beau l’importance de la famille, ironisa la guerrière fauve.

 – Par contre, ce qui serait important. C’est d’éviter de te disputer avec la seule personne qui ne veut pas nous tuer, déclara Liam en grinçant des dents.

  Noa haussa les épaules, grimaça de douleur et se laissa retomber sur la paille. Fixant le plafond, elle sentait encore le regard noir de Keiko qui pesait sur elle. Ce n’était qu’une gamine jalouse qui craignait qu’on vienne lui voler son papa. Noa pensa qu’elle ne parviendrait jamais à apprécier cette enfant égoïste. Gagner sa confiance semblait alors difficile, elle n’avait jamais été douée pour mentir et encore moins pour ne pas dire ce qu’elle pensait. Faisant un effort considérable, elle prit sur elle et inspira profondément. Le rouquin avait raison et elle ne devait pas se mettre à dos sa seule chance de liberté.

 – Désolée. Nos coutumes sont trop différentes pour que je comprenne ton point de vue. J’accorde énormément d’attention à mon père ainsi qu’à ma mère. D’ailleurs, où est la tienne ?

 – Morte, Keiko sembla incapable d’en dire plus.

 – Sincèrement désolée, prononça faiblement la sauvage. J’espère qu’elle repose en paix à côté de Mère Gaïa. Saches que les esprits des anciens – des morts si tu préfères – sont toujours proches pour nous guider et protéger.

 – Une croyance de ton peuple, j’imagine ? Et comment quelqu’un de mort pourrait veiller sur nous ? demanda Keiko, perplexe.

  Noa roula sur le côté et tendit le bras pour attraper un objet qui traînait sur le sol. Cette fois, elle eut plus de difficultés à se relever. À force de bouger, elle pensait rouvrir ses plaies ou fragiliser les côtes déjà dans un état lamentable. La douleur lui donna le tournis et elle prit plusieurs secondes pour retrouver ses esprits. Noa leva sa main pour montrer sa pipe. Celle-ci était en os avec quelques gravures décoratives.

 – Ceci a été fabriqué à partir d’un os de ma grand-mère afin qu’elle m’accompagne partout où je vais. C’est une tradition chez nous de porter un os de nos anciens. Leurs crânes sont disposées dans les maisons pour les protéger sauf ceux des Mères et des Shamans. Les os des Mères sont offerts aux nouvelles et leurs crânes ornent le mur des esprits. Quant aux Shamans, leurs ossements sont dans les ruines que vous aimez tant piller.

  Keiko fixa la pipe un instant puis afficha un large sourire.

 – Si ce que tu dis est vrai, tu es donc mère ?

 – Non, c’est ma mère qui me l’a donnée. En souvenir de ma grand-mère. Le terme Mère n’est pas le même chez nous. Une femme qui enfante ne l’est pas forcément. Seules celles qui ont fait de grandes choses sont élevés à ce titre. Je ne suis qu’une chasseuse. D’ordinaire je traque des animaux et parfois des gens comme vous. Rien qui ne justifie d’obtenir ce prestigieux titre. Quoique, Noa hésita un instant puis fit un sourire. En détruisant ce démon volant, je pourrais peut-être y prétendre ?

 – Évite si tu veux rester en vie. Et j’ai une meilleure idée à te proposer, répondit Keiko.

 – Quoi donc ? croassa Noa.

 – Obtenir une alliance avec mon peuple. Je dois aller vérifier le cap, je reviendrai plus tard. D’accord ?

  Sans attendre de réponse, Keiko remonta l’escalier. Liam croisa le regard de Noa, tous les deux ne comprenaient pas ce que l’adolescente sous-entendait. Mais l’un comme l’autre comptaient bien en apprendre davantage car une hypothétique alliance pourrait leur sauver la vie.

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