Les os d'une Mère (1)

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  Des bruits de pas résonnèrent dans un couloir peu éclairé. Les murs tout comme le sol et le plafond étaient faits de fines plaques d’acier maintenues par des poutres en bois. La tôle vibrait sous les pieds en claquant, empêchant toute discrétion si on n’évitait pas soigneusement de marcher sur les lattis en chêne. Wanlia passait ses doigts sur son menton d'un air songeur et avançait d'un pas déterminé. Depuis le départ des terres du sud, elle n’avait pas beaucoup discuté avec qui que ce soit. Son chef dirigeait les opérations et laissait toute liberté à son apprentie qui comme elle le savait, était une sorte de punition à la suite de ses agissements. La jeune femme ne comprenait pas ce qu’elle avait fait de travers : ils avaient ouvert les ruines, appris ce qu’ils voulaient et tout ça car elle était parvenue à négocier. Alors pourquoi Nobu lui en tenait rigueur ? Elle tourna à une intersection, descendit plusieurs marches pour arriver dans une salle plus vaste et tout aussi sombre.

  Une odeur rance planait dans l’air, obligeant l’adolescente à retrousser les lèvres par dégoût avant de se pincer le nez. Elle attrapa une torche et l’alluma. La chiche lueur éclaira finalement la soute du navire. C’était ici qu’étaient entreposé les prisonniers. Jack gisait dans une cellule, couché sur de la paille et le souffle court. Son corps était couvert de pansements imbibés de son propre sang. Quelqu’un lui avait administré les premiers soins mais ne s’était pas intéressé à laver les bandages ou les lui changer. Wanlia s’approcha et remarqua que le mercenaire avait le regard lointain, derrière un voile qui s’abattait doucement sur lui. Elle détourna les yeux et croisa ceux de Liam qui s’était agrippé aux barreaux de sa cellule. Lui en voulait-il encore pour avoir tué son « ami » ? Affichant un sourire, l’adolescente se planta devant lui et croisa les bras en soulevant sa poitrine – le bouton de sa veste trembla et faillit céder sous la pression – pour finalement incliner légèrement la tête vers le prisonnier.

 – Un souci mon cher ?

 – Il ne passera pas la nuit, si vous ne faites rien… aidez le par pitié, implora Liam.

 – Nous avons fait ce que nous pouvions. Davantage serait gaspiller nos ressources. Il n’est pas notre allié et c’est déjà pas mal qu’on ne l’ait pas achevé.

 – Pourtant… achever les gens, semble être ta spécialité. N’est-ce pas, gamine ?

  La voix légèrement tremblante et essouflée, Noa s’était assise en éprouvant quelques douleurs. Le torse également couvert de pansements, elle avait des côtes fêlées et quelques entailles ainsi que des bleus qui parcheminaient son visage et ses bras. La sauvageonne avait été prise de panique quand elle avait compris qu’on l’emmenait dans l’aéronef. Pour son peuple, les machines – appelées aussi artefacts – étaient la marque du démon et s’en approcher pouvait s’avérer mortel ou souiller le corps et l’esprit. Elle s’était donc débattue comme une furie, griffant et mordant ses geôliers pour ne pas monter à bord. Cet acharnement lui avait valu un passage à tabac en plus de son combat contre Nobu. Mais malgré son état, elle défiait de ses yeux émeraude l’apprentie du chef des pirates.

  Wanlia l’ignora superbement. Elle essaya de ne pas penser à ce qu’elle venait d’entendre, se contentant de serrer le poing à s’en blanchir les phalanges. Après son combat, la sauvage avait gagné le respect du grand chef, ainsi Wanlia ne pouvait toucher un cheveu de Noa sans s’expliquer auprès de Nobu. Déjà que son maître lui en voulait, elle ne comptait pas se le mettre à dos. Elle attarda son regard améthyste sur Liam, il semblait inquiet pour son compagnon, ce qu’elle ne comprenait pas. Après tout, ce type n’était que son larbin. S’il mourait, il n’aurait qu’à le remplacer, non ? La notion d’amitié ou d’amour était étrange et plus inutile qu’autre chose pour Wanlia. On l’avait éduquée dans le but de commander une flotte, de se battre et obéir à ses supérieurs, les sentiments n’étaient qu’une gêne ou un moyen d’hésiter, ce qui pouvait être fatal.

 – Je verrai pour qu’on lui change ses pansements. J’espère qu’on sera récompensé par ta gratitude.

 – J’ignore ce que Jim vous a dit sur moi ou mon grand-père mais vous vous fourvoyez, répliqua Liam en soupirant.

 – Il vaut mieux pour toi que non. Sinon tu n’as plus aucune valeur, cracha Wanlia.

  D’autres bruits de pas se firent entendre et l’adolescente à la coupe de cheveux étrange apparut dans l’escalier. Elle fixa Wanlia puis Liam et enfin Noa avec une certaine surprise, ne s’attendant pas à voir un visiteur ici. L’apprentie pinça les lèvres et se détourna du chef des récupérateurs pour foudroyer du regard la fille de son chef.

  Les deux gamines se défièrent ainsi pendant plusieurs secondes en silence jusqu’à ce que Noa pousse un gémissement en se laissant retomber sur la paille. Keiko s’intéressa alors à la sauvage et s’approcha de sa cage pour lui demander si elle allait bien ou si elle voulait quelque chose à manger. Wanlia l’attrapa par l’épaule pour l’obliger à se retourner.

 – Tu comptes la dorloter ? Gaspiller nos vivres et médicaments pour une sauvage ?

 – Cette sauvage comme tu dis, a plus de respect pour la vie que toi. Et tu n’as rien de mieux à faire que m’ennuyer ou menacer des prisonniers sans défense ?

  N’en supportant pas davantage, Wanlia prise de fureur attrapa Keiko par la gorge et la colla contre les barreaux de la cellule en lui décollant les pieds du sol. Sa main gantée se refermait sur la trachée de l’adolescente qui en eut les larmes aux yeux. Les mains de Keiko saisirent le poignet métallique de Wanlia pour s’en défaire, en vain. En dernier gain de cause, elle colla un coup de pied à la blonde qui recula sous le choc. La petite aux cheveux en spirale tomba à genoux en toussant et crachant pour reprendre son souffle.

 – Eh bien amuses-toi avec elle, fais-en ton animal de compagnie si ça te chante. Mais si tu me manques encore une fois de respect, Keiko… n’oublie pas qui je suis.

  Wanlia cracha à ses pieds et tourna les talons pour remonter l’escalier dans un fracas métallique.

  Après que le bruit se soit évanoui dans le lointain, Keiko se releva et essuya ses genoux. Elle se redressa fièrement et afficha un visage impassible pour paraître la plus digne possible. Derrière elle, Liam l’observait avec intérêt, se demandant si l’adolescente était là pour les aider ou non. Après tout, elle voulait nourrir Noa et cette proposition tenait peut-être aussi pour lui et ses compagnons. L’espoir revenu, Liam s’avança timidement et fut surpris de sentir à quel point sa gorge était sèche.

 – Tu comptes nourrir cette fille ? Nous aussi ?

  Les yeux verts tachetés de jaune de l’adolescente se posèrent sur le chef du petit groupe de prisonniers. Le temps qu’elle prit pour répondre ressembla à une éternité aux yeux de Liam.

 – Ce n’est pas une fille, répondit-elle sèchement. C’est une guerrière qui a gagné le respect de mon père et capitaine de ce bâtiment. De ce fait, elle mérite un traitement de faveur.

 – Gagner le respect de ton père ? Il l’a épargnée car tu es intervenue. C’est surtout que tu as pitié d’elle, souffla Liam. Wanlia a raison, tu veux jouer avec elle ? En faire ton animal de compagnie ?

 – Mon père allait la tuer car elle méritait à ses yeux une mort respectueuse. Ce qu’il n’accordait pas à ton ami qui n’est qu'un animal enragé fonçant sur ses ennemis. Je suis intervenue car j’y ai vu un espoir. Quant à Wanlia, elle ne sait pas ce qu’elle dit. La gloire, la cupidité et la violence la rendent aveugle. Ce n’est qu’une guerrière, élevée uniquement pour se battre.

  De son côté, Noa s’était redressée lentement pour observer la scène et écouter attentivement. Keiko ne la quittait pas des yeux et lui fit un sourire ravi. La sauvageonne se demandait de quel espoir la gamine parlait. Elle espérait que son père ne devienne pas un tueur sanguinaire ? Pour Noa, c’était sûrement trop tard : cet homme avait le regard d’un assassin. Nul ne pouvait remonter le temps ou oublier des actes horribles comme arracher des vies. Elle aussi avait déjà tué et plusieurs fois, elle savait ce que l’on ressentait, la douleur qu’on éprouvait ainsi que le sentiment de puissance.

  La guerrière fauve passa ses doigts sur le bandage pour sentir ses côtes douloureuses. C’était comme si un poignard lui transperçait le corps, la douleur la fit grimacer. Pendant un moment, elle avait cogité sur un moyen de s’échapper mais sa cage semblait trop résistante et dans son état, Noa ne pouvait utiliser toutes ses ressources. Avoir comme allié cette gamine à la coupe de cheveux étrange pourrait s’avérer très utile, elle devait donc gagner sa confiance. Peut-être pourrait-elle jouer le jeu.

 – Un espoir ?

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