Au pied du glacier (3)

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  Des images défilaient à toute vitesse dans sa tête. Il tombait, puis il gisait sur le sol en se plaignant de multiples douleurs. L’instant suivant une femme l’observait alors qu’il était étalé sur le béton froid. D’un coup, tout se stabilisa. Il voyait son petit frère assis sur une chaise face à un artefact qui montrait d’autres images. Orm remarqua la canne posée contre la table. Sven était blessé ? Où était-il ? Il s’avança vers son frère, content de le voir et voulut le prendre dans ses bras.

 – Sven !! Je suis heureux de te voir saint et sauf !

Mais son frère ne broncha pas, comme s’il ne l’avait pas entendu. Orm tenta de poser sa main sur son épaule mais il passa au travers. Il s’immobilisa alors et comprit. C’était un rêve, il ne pouvait pas interagir avec lui, malheureusement. Mais il avait déjà fait l’expérience de ce genre de songe, de ces visions. Il n’était là que comme un simple spectateur et ne pouvait qu’observer pour comprendre où et quand il était.

Non loin de lui, il vit une jeune femme qu’il n’avait jamais vue. Habillée d’une robe noire, le teint pâle et des cheveux noirs, il la trouva un peu… morbide. Il se demanda si elle était la personne qui avait sauvé son frangin. Elle fit alors un sourire, du moins, un coin de sa bouche remonta formant une expression peu commune.

 – On a les coordonnées ! Maintenant, on doit partir. On va descendre à l’étage inférieur et… Orm ne comprit pas la suite, comme si quelqu’un l’en empêchait, il entendait d’autres voix à la place, sans les comprendre.

 – Si je parviens à l’utiliser, répliqua le jeune homme.

 – Tu y arriveras. Par contre… Orm entendit la voix d’Ogard puis à nouveau la jeune femme : sortir risque de briser la glace et une partie du bâtiment pourrait s’écrouler, ajouta-t-elle.

 – Mon frère et mes amis sont encore à l’intérieur ! hurla Sven.

 – Aux dernières nouvelles, elle se pencha pour tapoter sur l’appareil, ils ont pris cette échelle. S’ils continuent, ils vont passer dans l’aile Ouest du laboratoire minier. Normalement, ils ne risqueront rien. Le mieux serait qu’ils rejoignent… Orm tendit l’oreille mais ne comprit rien, pestant intérieurement. De là, ils pourront atteindre le hangar partiellement inondé. Si toute cette partie ne s’effondre pas et ensuite, rentrer chez eux. Prie pour qu’ils évitent… De nouveau la vision du chef se brouilla et les mots ne parvinrent pas à ses oreilles. Sinon ils tomberaient sur les titans au pied de la montagne.

Sven poussa un soupir et se leva en récupérant sa canne pour s’appuyer dessus. Son ainé l’observait, il était blessé à la jambe, mais il allait bien. Orm se sentit tellement soulagé. Alors qu'il percevait la voix de Sibjorn, il préféra l'ignorer. De ce qu’il comprenait, sa vision devait être liée à un événement récent, le bâtiment n’avait pour l’instant subit aucun problème. Sven était vivant et en bonne santé, c’était le plus important. Orm se demanda si son cadet flirtait un peu avec l’inconnue. Dans son malheur, le petit avait trouvé un joli brin de fille. Il souriait bêtement en les regardant s’éloigner puis pensa qu’Ogard commençait à déteindre sur lui. Directement, il avait imaginé une romance de cette infime histoire qu’il apercevait en vision. Il voulut les suivre mais de nouveau, il se sentit pris d’un vertige.

  Quand il revint à lui, Orm était étendu sur le sol glacé. Il ne sentait pas le vent glacial sur son visage. Tout était sombre autour de lui, était-ce là une autre vision ? Soudain il entendit la voix d’Ogard lui disant de se réveiller. Le jeune chef se prit alors une magistrale baffe en plein visage, ce qui l’obligea à ouvrir les yeux en grand pour montrer qu’il était conscient. L’ancien partit en arrière pour s’adosser au mur tout en soufflant de soulagement. Orm avait la tête qui tournait en plus d’être douloureuse à cause des gifles qu’il avait prit. C’était comme une gueule de bois et son estomac tournait dans l’autre sens. Avec difficulté, il se redressa lentement pour s’asseoir, son bras lui faisant toujours autant mal. Il croisa le regard de infirmier de fortune.

 – Où est Sib ?

 – Il s’assure qu’une mauvaise surprise ne nous tombe pas dessus. Et toi, ça va ?

 – Ouais… désolé. Un… petit malaise.

 – Je crois, qu’il serait grand temps qu’on discute de ça mon ami, dit l’ancien avec le regard pétillant.

 – Je te raconterai tout en détail. Mais là, on doit bouger. L’endroit risque de s’effondrer d’un moment à l’autre. On doit… je crois qu’on devrait descendre. Trouver un moyen de rejoindre le hangar par où on est arrivé.

 – S’effondrer ? Comment ? On fait demi-tour alors ?

 – Non, la zone d’où on vient, elle est plus susceptible de s’écrouler que celle-ci, expliqua Orm en tentant de se souvenir de son rêve. Aide-moi à me lever. Je t’expliquerai tout en marchant.

Ogard s’exécuta pour relever son compagnon pendant que celui-ci criait pour appeler le guerrier parti en éclaireur. Rapidement, le trio se réunit pour avancer dans le couloir. Le costaud disait n’avoir rien vu de dangereux même s’il n’était pas allé bien loin.

  Le leader avait encore un peu de mal à se mouvoir, toujours vaseux. Ses collègues le soutenaient donc et il comprit que c’était le moment de s’expliquer car les deux lui lançaient des regards interrogateurs et inquiets. Il ne savait pas trop par où commencer. Même à Sven, il ne l’avait jamais clairement dit, se doutant que son petit frère avait des suspicions depuis des années. Ogard brisa le silence, comme à son habitude.

 – J’imagine que cette intuition sur un probable effondrement, est liée à une mutation ?

 – T’es gentil de pas nous électriser pendant qu’on te porte, ironisa Sibjorn.

 – Nan t’inquiète. C’est Sven la pile ou l’anguille, rassura Orm. Ma capacité est… différente.

 – Sans blague, surenchérit le grand costaud.

 – Laisses le parler Sib, demanda l’ancien.

 – Quand je suis en danger ou lors d’une poussée d’adrénaline, j’ai des… visions. Comme une prémonition sur ce qui va m’arriver pour m’en défendre. Cette capacité m’arrive parfois et m’a souvent aidé.

 – Comme lors de l’attaque du bjorn à notre première sortie ?

Orm acquiesça, il se souvint alors de cet incident. À sa première sortie à la surface, ils avaient longé les falaises et vu les oiseaux obèses qui ne savaient pas voler. Mais ce n’était pas tout. En rentrant avec la graisse et la fourrure, le jeune homme avait évité une attaque surprise d’un des plus dangereux prédateurs de Spindelsinn. Le bjorn était un animal de la famille des ursidés, d’une taille impressionnante : avoisinant les trois mètres quand il se levait sur ses pattes inférieures. Généralement, le pelage de cette créature était blanc, tacheté de gris ou de noir. Pourvu d’énormes griffes et de canines pouvant déchirer un homme sans effort. Mais plus que sa taille, c’était sa double mâchoire qui était impressionnante, touché par les radiations, l’animal avait deux gueules, l’une sous l’autre au niveau de la gorge. Le bjorn pour chasser, était qualifié de feignant, il se couchait dans la neige pour s’en couvrir, pouvant ainsi attendre des heures que l’occasion se présente. Orm avait ressenti l’attaque, il avait eut un aperçu de l’animal jaillissant de la poudreuse et il avait hurlé à ses compagnons de bondir pour l’éviter juste à temps. S’en était suivi une mise à mort de l’animal grâce aux armes à feu du groupe puis la récupération de viande et fourrure. À l’époque, tous avaient cru qu’Orm avait détecté une partie du bjorn dans la neige et trop content de n’avoir perdu personne, on ne l’avait pas questionné davantage.

  Il sortit de ses pensées et remarqua qu’ils avaient traversé le couloir pour se retrouver dans un local désaffecté. Les installations étaient hors service, les vitres brisées et des cristaux de radiations mêlés à la glace recouvraient une partie de la pièce. Plus loin, il apercevait un escalier pour descendre. Orm espérait prendre le bon chemin.

 – J’arrive à voir ou plutôt ressentir l’avenir. Mais seulement si je suis en danger. Avec Runolf, il s’est produit la même chose. Normalement, on aurait dû tomber les deux, mais je me suis agrippé au dernier moment sans chercher à le sauver.

 – L’instinct de survie, souffla Ogard, désolé.

 – Ouais, poursuivit le chef. Et parfois, en touchant certains objets… je vois des choses qui y sont liées. J’ai vu des passages de la vie du griffon, la première fois que j’ai touché cette plume. Et là… sûrement chargée en électricité statique à cause de Sven. J’ai eu, une vision de lui. Il est en vie ! lâcha-t-il en souriant. Et avec une femme…

 – À la cuisse légère ? interrogea Sibjorn en plaisantant. Tu as trop fréquenté le vieux.

 – Je ne pense pas, répondit Orm en rigolant. Elle lui parlait d’un autre lieu… d’un véhicule et le risque que tout s’effondre quand ils partiraient d’ici.

 – Mais pour aller où ? se questionna à voix haute l’ancien marchand.

 – Aucune idée… avoua Orm.

 – Donc les deux frangins sont des mutants, enfin des Amplifiés, conclut Sibjorn. D’autres révélations de ce genre à nous faire ? Genre Ogard, tu as plus d’un siècle mais les radiations te maintiennent en vie ?

 – Ne sois pas stupide, Sib ! Par contre toi… crois-tu être normal, demanda le quarantenaire.

 – Évidemment ! Et j’aurais eu du mal à cacher un truc pareil à mes compagnons. Je suis peut-être doué pour emmerder, mais pas vraiment pour mentir, répliqua le tatoué.

 – Permets-moi d’en douter, ajouta Ogard. J’ai déjà vu des morsures de goules, les infections sont fréquentes, pour ne pas dire automatiques. Et toi, tu as mal ce qui est normal, mais pas de fièvre ni de pus dans tes plaies. C’est loin d’être commun.

 – J’ai toujours eu une santé de fer. De là à parler d’une mutation, je ne pense pas.

 – Tu vas bien, c’est le principal, ajouta Orm comme pour mettre fin au débat.

  Se sentant apte pour marcher seul, il demanda qu’on le lâche. Orm tituba un peu mais il avait repris du poil de la bête. Il prit une longue inspiration et s’appuya de sa main valide contre le mur pour descendre l’escalier. Sibjorn se tenait devant lui, sa hache dans les mains à laquelle il avait fixé une torche en bois pour s’éclairer. Son compagnon trouvait l’idée aussi amusante qu’intéressante mais ne dit rien. Derrière, Ogard fermait la marche, s’appuyant sur son long fusil tout en tenant sa lanterne. Plus ils s’enfonçaient dans l’obscurité et moins ils ressentaient le froid. Le bruit de leurs bottes résonnait dans l’escalier ce qui venait se mêler au son du crépitement de la torche. C’était calme et Orm s’attendait à sentir l’endroit trembler pour s’écrouler à tout moment. Jusqu’à présent, ses visions s’étaient toujours produites, il craignait donc de finir enterré vivant.

  Ils débouchèrent sur une plateforme avec divers panneaux de commandes, en dessous ils pouvaient voir l’eau qui avait envahi le hangar. De retour au point de départ. Mais d’ici, ils ne parvenaient pas à apercevoir la passerelle par laquelle ils étaient arrivés. Le quadragénaire observa les boutons et les leviers, cherchant à comprendre comment ça fonctionnait. Sibjorn décrocha la torche de son arme pour la fixer à la rambarde afin d’éclairer les alentours. Orm passa lentement ses doigts sur son avant-bras meurtri, la sensation était gênante, il sentit une bosse faite par le bandage à l’endroit où son os devait être cassé. Combien de temps pour récupérer l’usage de son bras ? Combien de temps avant que Sven et la donzelle provoquent la destruction de cette mine ? Et où cette inconnue voulait l’emmener ? Il avait également compris qu’elle parvenait à les surveiller, il leva les yeux à la recherche d’un artefact pouvant les espionner, espérant parler à son frère grâce à un appareil mais la pénombre ne l’aidait pas. C’est là que la voix de l’ancien marchand vint rompre le silence.

 – On doit pouvoir ouvrir certaines portes d’ici et même activer un monte-charge. Enfin si ça fonctionne encore et que l’eau ne bloque pas tout.

 – Faut qu’on parvienne à la passerelle. On évite la sortie principale. On risquerait de tomber sur les monstres qu’on a vus quand on était en haut, expliqua Orm.

 – Très judicieux. Je m’y attelle !

L’ancien bidouilla après les commandes. Des gyrophares s’allumèrent à différents endroits du hangar, apportant de la lumière par intermittence. Il abaissa un levier et la plateforme sur laquelle ils étaient, se mit doucement à descendre. Ils allaient se rapprocher de l’eau pour chercher un éventuel chemin. Ogard cherchait à ouvrir des portes, espérant ainsi faire évacuer la flotte mais il avait du mal entre les écritures dans l’ancienne langue ou les étiquettes qui manquaient à l’appel sur le pupitre.

  L’échafaudage s’arrêta alors à un peu plus d’un mètre de la surface de la piscine, comme l’avait surnommé Sibjorn. Tous trois cherchèrent un chemin pour traverser. Ils imaginèrent passer sur des véhicules, des caisses mais bien souvent la distance entre ces choses était bien trop grande. Ils devraient patauger à un moment ou un autre. Se rendant à l’évidence, ils acceptèrent donc de se mouiller, de prendre le risque de terminer frigorifiés. Mais ils avaient beau réfléchir, aucun autre chemin ne s’offrait à eux. Ogard posa la main pour descendre encore la plateforme, se rapprocher au plus près de l’eau pour ensuite s’y plonger. Il amorça le mouvement sans trop aimer l’idée de terminer trempé. Le bruit des moteurs se firt entendre mais rapidement un autre son y fit échos. Le trio tendit l’oreille, c’était une sorte de vrombissement et Orm crut savoir ce qui arrivait.

 – Accrochez-vous, je crois que ça y est, ça va s’effondrer…

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