Au pied du glacier (2)

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Après plusieurs minutes, le chef se releva avec l’aide de ses compagnons. Il s’était habitué à son bras invalide mais il n’aimait toujours pas l’idée d’être diminué. Ogard ramassa ensuite sa lanterne et l'alluma, apportant d’un coup, beaucoup plus de luminosité à l’endroit. Comme il l’avait vu jusque-là, un côté était enseveli et il n’était possible que de suivre les escaliers. Orm mit sa hachette à sa ceinture pour récupérer ensuite son sac à dos. Sibjorn récupéra sa longue hache, une torche et un autre sac. Le trio entreprit donc de grimper, encore, mais cette fois l’ascension était en pente douce, les marches bien plus agréables qu’une échelle. Ogard affichait un large sourire, content d’être entouré par ses amis, il avait d’abord craint à des réprimandes de la part du jeune leadeur. Mais ce dernier ne semblait pas lui en vouloir, heureusement.

 – Ben alors, papy. C’est quoi ce sourire idiot que tu nous fais ? lâcha Sibjorn avec humour.

 – Je suis juste rassuré de ne pas visiter tout seul ! Et qui sait, on trouvera peut-être un passage vers le reste du bâtiment ? Et de là, on pourra, peut-être, descendre et retrouver Sven !

 – On verra bien Ogard. Juste la prochaine fois… ne te sauve pas tout seul. D’accord ? demanda Orm en lui lança un regard désolé.

 – Comme vous voulez chef ! Ravi que vous ne m’en teniez pas rigueur ! ironisa l’ancien.

 – Arrête, ne commences pas à me vouvoyer, répliqua Orm en rigolant.

C’est donc avec bonne humeur qu’ils avancèrent, regardant autour d’eux pour s’assurer qu’il n’y avait ni pièges ni créatures. Mais l’endroit était désert, seul le froid semblait habiter le couloir. De la vapeur s’échappait à chaque respiration des trois hommes, une fine pellicule de givre recouvrait les marches. Nul doute qu’ils tomberaient sur une ouverture menant à l’extérieur tôt ou tard.

  Le fin verglas rendait les marches glissantes et les trois chasseurs avançaient avec précaution. Il aurait été détestable de se rompre les os ou le cou dans une chute idiote, comme l’avait souligné l’ancien. Leur progression se fit donc plus lente à mesure qu’ils grimpaient et qu’un courant d’air froid s’immisçait dans le tunnel. Au bout d’un moment, Sibjorn perdit l’équilibre et se rattrapa contre le mur. Sa hache dévala quelques marches dans un fracas métallique qui résonna durant plusieurs secondes. Grimaçant, le grand gaillard fit demi-tour pour ramasser son arme. Détail qu’Ogard ne manqua pas de repérer, il s’approcha de son compagnon pour voir si c’était bien ce qu’il craignait.

  Le pansement à son épaule était imbibé de sang, la plaie de Sibjorn s’était rouverte. Le quarantenaire soupira : c’était à prévoir en portant la lanière de son sac comme ça ! Et sa glissade dans l'escalier, n’avait pas aidé. Mais le gaillard se contenta de changer son paquetage d’épaule avant de faire un sourire à son collègue pour lui dire que ça allait. Orm observait en silence, comprenant très bien ce qu’il se passait. Lui-même étant blessé, il ne pouvait demander à Sibjorn de lever le pied s’il n’en faisait pas autant. Machinalement, il passa ses doigts sur le haut de sa poitrine, jouant avec une plume de griffon qu’il avait accrochée en collier. Un souvenir pour ne jamais oublier son frère. À chaque fois qu’il y touchait, le chef de ce petit groupe sentait une légère électricité statique, sûrement car elle était restée en contact suffisamment de temps avec Sven. Une babiole sentimentale qu’il comptait bien garder.

  Un puissant grognement ramena le trio à la réalité. Coupant les arguments d’Ogard pour soigner Sibjorn et sortant Orm de ses pensées. Les trois se tournèrent vers les hauteurs, prêts à dégainer une arme. Le bruit se réitéra et là, ils comprirent : c’était le vent qui s’engouffrait avec force dans le couloir. La sortie n’était plus très loin ! Cette idée les motiva à se bouger et ils redoublèrent d’efforts pour avancer.

  La lumière du soleil les éblouit, les obligeant à mettre la main au-dessus de leurs yeux plissés. L’air glacial était vivifiant, l’ancien prit une longue inspiration. Devant eux se tenait une passerelle entièrement recouverte d’une épaisse couche de glace. Un précipice à gauche et un immense mur de roche et de givre à droite. Par endroits, la glace formait un dôme au-dessus du ponton métallique. Aucun des hommes n’avait pensé à prendre des vêtements chauds, se retrouvant ainsi à greloter alors qu’ils étaient encore à l’abri du vent. Ogard leva les yeux au ciel pour observer la montagne, ils devaient être dans le grand glacier au Nord du pays. Des tonnes de glace à perte de vue, jusqu’à présent, il s’en était tout juste approché lors de ses voyages.

  Sibjorn frappa d’un coup de pied la barrière pour voir si elle était solide. La plateforme ne broncha pas d’un iota et l’homme jugea pouvoir s’y engager. Orm le regardait faire, amusé par son manque de patience. Le grand bonhomme fit plusieurs pas avant de s’arrêter pour regarder en bas. La hauteur lui donna le vertige et il recula d’un pas. Il fit alors signe à ses compagnons de venir pour jeter un coup d’œil.

  La vue était magnifique : d’immenses dunes de neige se dressaient un peu partout, une montagne, derrière laquelle le soleil commençait à disparaître, était visible à l'horizon. Le ciel parsemé de nuages était teinté de rouge et d’orange, la lumière de l’astre se reflétant sur la brume céleste ainsi que sur la glace. La beauté du paysage en faisait presque oublier le froid qui mordait leur peau. Mais le chef fut arraché à ce spectacle pour un coup de coude mal placé de la part du vieux. L’ancien avait cogné son bras blessé, lui arrachant un rictus douloureux.

 – Au pied du glacier ! Regardez !

Ogard s’était déjà penché à la barrière pour mieux observer tout en pointant du doigt ce qu’il avait aperçu.

  Des dizaines de mètres plus bas, des formes en mouvement se dessinaient distinctement sur la poudreuse. D’immenses silhouettes vaquaient à leurs occupations. Il y en avait des dizaines, peut-être même des centaines mais Orm n’avait pas envie de les compter. Sa vue s’habituant à la lumière et au froid, il parvenait à mieux les distinguer. Des créatures à formes humanoïdes, le dos vouté et des bras épais ainsi que disproportionnés. Leur peau était grise pour la plupart, teintée de bleu ou de vert. Ils semblaient toutefois plus grands qu’un humain ordinaire, mais d’où était le trio, c’était difficile à évaluer. L’un des spécimens hurla avec force, sa voix résonna dans toute la vallée, arrivant même jusqu’au trois individus. Ce cri, qui n'avait rien d'humain ni de rassurant, fit froid dans le dos du jeune chef.

 – Par la sainte mère de toutes les boissons… Des titans ! s’exclama Ogard.

 – Des titans ? répétèrent Sibjorn et Orm en chœur.

 – Oui. Des putains de saloperies de titans des neiges ! Quoi ? On vous a rien appris dans le bas-fond ? interrogea Ogard. Quand vous ne vous tuiez pas à la tâche, vous discutiez de quoi ?

 – De bars, de boissons et de jolies femmes. Ah, non. Ça c’est toi, ironisa Sibjorn.

 – À voir vos trognes, je ne doute pas que vous discutiez de vos fantasmes à imaginer le corps dénudé d’une femme. Z’en avez déjà vu au moins ?

 – Ogard. Un peu de sérieux, s’il te plaît.

 – Mouais… répondit l’ancien en lorgnant son chef. Je te présenterai quelqu’un, si toutefois on rentre. Bref ! Ces bestioles vivent dans le coin et c’est pour ça que personne ne s’approche du glacier. J’en avais déjà aperçu quelques-unes mais… jamais autant au même endroit. C’est quoi ce… putain de rassemblement ?

 – On est en sécurité ici, rassura Sibjorn. Pas de raison de s’en faire !

 – Et si on sort et qu’on tombe sur… ÇA ? répliqua le quarantenaire en les pointant de nouveau.

 – C’est comme les goules, dangereux en groupe mais con comme ses pieds, non ? demanda Sibjorn.

 – Si seulement… Les goules c’est déjà une calamité mais alors ÇA ! C’est… un seul titan pourrait nous tuer facilement et sans qu’on parvienne à le blesser ! Ils ont une force herculéenne, une peau épaisse et je ne sais quoi d’autre en plus ! Personne n’en a jamais tué, tu comprends, Sib ?

 – Je vois le genre… Si comme les goules, ces trucs cicatrisent vite ou se moquent de la douleur, en plus d’être forts. Ouais, ça craint, conclut Sibjorn. On devrait les tuer alors.

 – Mais tu m’écoutes ? Tu réfléchis ou ton cerveau est aussi grillé que celui d’une goule ? interrogea Ogard en soupirant. J’ai dit qu’ils sont incroyablement durs à tuer !

 – Tu me traites de décérébré ? Tu sous entends que je suis aussi moche que ces trucs putrides ? Tu m’cherches le vieux ? Et j’allais proposer de…

 – Provoquer une avalanche pour les enterrer sous la glace, coupa Orm.

 – Judicieux ! Vous m’impressionnez les jeunes ! Juste un détail. Ou peut-être deux. Ou peut-être plusieurs !

 – Tu sais positiver l’ancêtre ? interrogea avec intérêt Sibjorn.

 – C’est en me questionnant et sans vivre avec la positive attitude que je suis devenu un « ancêtre », se justifia Ogard. Donc, on a quoi… un ou deux explosifs ? Genre ça suffira ? Ensuite on les pose où pour provoquer la bonne avalanche ? Et enfin : qu’est-ce qui nous garantit que ça les tuera ou mieux que ça ne nous tuera pas nous ? Imaginez, on fait tout péter et notre bâtiment s’écroule avec nous dedans. Alors ?

Les deux jeunes poussèrent un soupir. Orm lança un regard au bout de la passerelle et proposa d’avancer. Peut-être que plus loin, ils trouveraient quelque chose d'utile ou un moyen de mieux observer les titans.

  La petite équipe avança, la stupéfaction face au paysage puis la découverte de ces monstres passées, ils ressentaient le froid, ayant hâte de retourner à l’abri du vent. Machinalement, le jeune chef caressa son collier, passant ses doigts sur la plume du défunt rapace. Il pensa à son petit frère, imaginant qu’il soit tombé sur ces titans. Un vertige le fit tituber et tout devint de plus en plus sombre. Il se sentit partir, chuter encore et encore. Était-il passé par-dessus la rambarde, la dévalant pour s’écraser des mètres plus bas ? Non, c’était autre chose. Il entendit une voix, pas celle de Sib ou du vieux, mais celle de Sven. Orm l’appela en espérant que son frère l’entende, en vain.

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