Un goût amer (4)

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  Jim dévala les marches en hurlant d’arrêter cette folie mais fut rapidement bloqué par des gardes. Ils lui barrèrent simplement le chemin avec leurs armes. Le mécanicien les dévisagea, il était certes grand mais maigrichon, de ce fait il n’impressionnait personne. Il leva la tête en direction de Wanlia, se trouvant bien plus loin.

 – Vous aviez dit qu’on serait tous épargné ! hurla-t-il.

 – J’ai dit ça, oui. Mais celui-ci a menacé mon lieutenant de s’en prendre à toi. Tu préférerais que je le laisse te tuer et me manquer de respect ? Il fera un exemple pour que ce soit clair pour tout le monde, dit-elle d’un ton acerbe. Pour ta collaboration et tes informations, je lui offre une chance : soit il se bat et gagne pour être épargné soit… il meurt. D’ordinaire, je l’aurais juste exécuté alors ne remets pas en doute ma parole.

 – Mais qu’est-ce que tu as foutu Jim !? ragea Liam à pleins poumons.

Le mécanicien détourna les yeux, trop honteux pour répondre. Liam se demanda si son compagnon s’en voulait vraiment pour cette trahison. Il aurait bien voulu lui parler, lui arracher la vérité quitte à le frapper. La cheffe se mit en mouvement, elle s’éloigna de Nobu et de Jack pour aller se placer aux côtés de Noa, lui faisant un sourire au passage. La sauvageonne ne chercha même pas à comprendre, trop occupée à fixer les combattants. Depuis sa capture elle s’ennuyait ferme et cherchait toujours un moyen de s’échapper. Elle espérait même trouver une occasion durant cette mise à mort, car pour elle, il s’agissait ni plus ni moins que de ça.

  De son unique bras, Nobu fit tourner son arme pour faire des moulinets. Il l’enfonça entre deux dalles de marbre et s’inclina légèrement pour saluer son adversaire. La salle était devenue silencieuse. Tout le monde observait avec attention. Jack ne fit aucun salut, peu désireux de jouer cette mascarade, on lui disait de tuer s’il voulait survivre ce qu’il faisait depuis toujours. Et jamais jusqu’à maintenant, il n’avait pris le temps de faire des politesses avant de commettre un meurtre. Il se mit en garde, croisa le regard du manchot et attendit qu’il tente la première offensive. Jack était confiant en ses capacités mais il ne sous estimait pas ce type : il lui manquait peut-être un bras, mais cela ne le rendait pas forcément faible. Et si cet individu était le bras droit de la cheffe, ce n’était pas par pitié car il était invalide.

  Après plusieurs secondes qui semblèrent interminables pour le mercenaire, il décida de passer à l’action. La patience n’avait jamais été l’une de ses qualités. Il fit un pas, arma son bras pour frapper en diagonale de bas en haut. Nobu releva son hachoir et le mit sur la trajectoire de l’adversaire pour bloquer le coup. Un éclat métallique résonna dans le hall, suivi d’un autre : Jack avait tenté une frappe latérale pour atteindre le côté exposé du guerrier. Les offensives suivantes eurent le même résultat. Jack tentait d’attaquer et Nobu se contentait de bloquer sans répliquer. De rage, le mercenaire lui fonça dessus dans l’idée de le percuter avec force pour le déstabiliser. Le lieutenant s’écarta rapidement d’un pas sur le côté, son arme blanche siffla pour déchirer le haut en lin de son adversaire et entailler sa peau. Jack s’arrêta pour se retourner, perdant un peu l’équilibre, il vit l’immense coupoir fendre l’air en direction de son visage. Il releva son arme en dents de scie pour se protéger. Le bruit de l’impact fut plus violent que les précédents. L’homme à la crête et aux piercings reculait tout en tenant avec une certaine fébrilité son arme. Il avait vu juste : ce lieutenant savait très bien se battre ! Mais sa combativité n’était pas encore émoussée, il pensait pouvoir s’en sortir.

  Jack tenta un nouvel assaut, levant son artefact au-dessus de sa tête pour l’abattre sur son ennemi afin de le couper en deux. Il hurla en portant le coup, y mettant tout ce qu’il avait. Nobu bloqua le coup avec difficulté, son poignet accusait le choc et le poids de son adversaire. D’un mouvement des doigts, Jack ordonna aux dents de se rétracter, n’étant plus bloqué, il bougea librement pour déployer de nouveau les lames, visant le torse non protégé du guerrier.

  Du sang éclaboussa le marbre jusque-là couvert uniquement de poussière depuis des siècles. L’entaille sur l’abdomen de Nobu n’était pas belle à voir mais moins profonde qu’elle n’y paraissait. Le manchot grogna et fusilla Jack des yeux. Le mercenaire avait réussi à l’énerver, faute de l’avoir tué sur le coup. Mais ce n’était que partie remise. Le lieutenant s’avança furieusement en brandissant son hachoir, bandant les muscles de son unique bras pour frapper avec agressivité. Le mercenaire bloqua le coup, une main sur le manche de son artefact, l’autre sur le plat des lames pour mieux amortir le choc. Malgré tout, il se sentit reculer sous l’impact, ses pieds glissant un peu sur le sol. Ce type possédait une force colossale, pensa-t-il alors. Nobu fit un pas de plus, se retrouvant suffisamment proche pour mettre un coup de boule à son adversaire. Il lui brisa le nez en plus de l’envoyer à terre.

  Sonné, Jack pensait sa dernière heure arrivée. Mais l’attaque finale, celle qui le condamnerait à mort, ne vint pas. Nobu était debout, le fixant de toute sa hauteur et attendait qu’il se relève. Le mercenaire cracha du sang avant de s’appuyer sur son bras gauche pour se relever avec quelques difficultés. Il serrait son arme à deux mains et sentait ses jambes trembler, la fatigue le gagnait.

  La suite du combat fut moins intéressante. C’est du moins ce qu’estimait Noa. Elle voyait Jack tenter de jouer sur la surprise avec son arme rétractable, mais Nobu ne se faisait plus avoir. Pire, le guerrier se contentait de porter des blessures superficielles à son adversaire : le blesser pour le fatiguer. Une mise à mort bien lente, jugea-t-elle. Elle détourna le regard, non par pitié mais par manque d’intérêt. Elle observa un instant le chef des explorateurs, celui-ci semblait inquiet pour la survie de son ami ce qui était normal : il allait mourir en agonisant. Elle chercha rapidement autour d’elle un truc utile pour échapper à ses geôliers. Mais hormis s’emparer d’une arme d'un des hommes, elle ne voyait pas trop ce qu’elle pourrait faire. Wanlia à côté d’elle, s’amusait du spectacle, apparemment ravie de cette animation. Cette gamine n’avait aucun respect pour la vie, comment pouvait-elle être la cheffe ? Dans sa tribu, les Mères étaient choisies pour leur sagesse, leur expérience et leur utilité. Jamais une gamine n’aurait été prise au sérieux pour un tel rôle. C’était pour Noa, une abérration de voir une gamine en guise de leadeur.

  Quelque peu frustrée, elle reporta son attention au combat : Jack avait posé un genou à terre, le souffle court et ses vêtements en lambeaux étaient imbibés de sang. Nobu avait visé des zones non mortelles pour le blesser et ce, malgré son imposante arme. Elle reconnaissait là un certain talent, mais l’homme quant à lui, n’avait aucun honneur. Tout ceci commençait à l’agacer et sa captivité n’arrangeait rien. Elle se sentait bouillir de l’intérieur. Une fois ce type mort, quelle serait la suite ? On les tuerait un à un ? Apparemment le chef, ce rouquin avait de la valeur, mais elle ? Noa ne voyait pas son avenir d’un bon œil.

 – Et c’est mon peuple et moi qui sommes des sauvages… des barbares, grinça-t-elle entre ses dents.

 – Qui traites-tu de barbares ? répliqua Wanlia qui l’avait entendue. Je lui offre la chance de mourir avec honneur et tu parles de sauvagerie ? Te moquerais-tu de moi ?

Tous les regards se tournèrent vers les deux femmes. Même les deux combattants s’arrêtèrent. Enfin Jack ne s’était toujours pas relevé. Wanlia se décala pour faire face à la sauvageonne, plongeant ses yeux améthyste dans ceux émeraude de Noa.

 – J’attends une réponse ! s’emporta-t-elle.

 – Tu appelles ça une chance de mourir avec honneur ? Où est l’honneur quand ton adversaire joue avec toi ? Où est la fierté quand tu ne peux vaincre un adversaire qui se moque de toi plutôt que de t’achever ? Y-a-t-il la moindre fierté à mourir ainsi sous les regards impuissants de ses compagnons ? C’est juste une distraction pour toi et tes hommes ! Ton guerrier est peut-être fort. Mais il n’a aucun honneur ni respect pour son adversaire. En ça, vous êtes plus barbares que nous.

La voix de la jeune femme fit échos dans le hall et personne ne vint lui répondre pendant plusieurs secondes. À croire que ce qu’elle venait de dire avait eu de l'effet sur ces gens. Ses joues s’étaient empourprées sous l’émotion, ses yeux brillaient et elle sentit tout son corps trembler de colère. Si elle n’était pas enchaînée comme un animal, elle aurait aimé montrer ce qu’était un guerrier avec de l’honneur. Et Wanlia semblait lire dans ses pensées :

 – Tu te crois donc meilleure ? On ne t’a fait aucun mal donc tu penses avoir un traitement de faveur ? elle leva la main avant de poursuivre. Détachez-moi ça ! Si tu veux donner des leçons, il faut inspirer le respect. Pour l’instant, tu as juste une grande gueule !

L’un des brigands vint lui défaire ses entraves, libérant enfin ses mains et sa gorge. Noa se frotta les poignets, satisfaite de se sentir libre même si ce n’était là qu’une illusion. Elle releva les yeux vers Wanlia et lui adressa un sourire pour la remercier. Lui offrir le droit de combattre et mourir dignement méritait bien des remerciements. Sans attendre, la sauvageonne s’avança dans la zone servant d’arène. Elle sentit ses jambes trembler, son cœur cogner contre sa poitrine. Était-ce la peur ou l’adrénaline ?

 – Puis-je au moins avoir mon arme ainsi que ma veste ? Ou vais-je devoir me battre à moitié nue et uniquement avec mes mains pour amuser vos hommes ?

La cheffe ne dit pas un mot et se contenta d’un geste de la tête et de la main pour qu’on lui apporte ce que la sauvage demandait.

   Jack s’écroula, à bout de force. Il roula pour se mettre sur le dos, fixant le haut plafond vouté. Quelque peu ébloui par l’éclairage, la vision troublée par la fatigue et la perte de sang. Il avait le souffle court et écoutait son rythme cardiaque battre à tout rompre contre ses tempes ou sa poitrine. Il sentit des mains l’empoigner pour le relever. On le retirait de la zone de combat, l’épargnant pour le moment. La défaite était cuisante mais moins douloureuse et vexante que l’était ce goût amer qu’il ressentait, celui de la trahison de Jim. Malgré leurs points de vue différents, Jack pensait s’entendre avec le mécanicien jusque-là, imaginant être amis. Lui et Liam lui avaient fait confiance et ce n’était pas le premier voyage qu’ils faisaient ensemble. Il ne comprenait pas pourquoi il avait agit de la sorte, dans quel but ? Avait-il pensé sauver la situation ? Mais le mercenaire n’eut aucune réponse, tout devenait sombre autour de lui.

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