Des étrangers dans la jungle (2)

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  Les récupérateurs marchèrent encore une heure dans les broussailles avant de longer le flan de la montagne. Moins de végétation, cela voulait aussi dire moins de cachettes pour la jeune femme. Elle laissa donc plus de distance entre eux, repérant leurs empreintes pour ne pas les perdre. Elle se dissimulait dans des crevasses, derrière des rochers pour s’assurer de ne pas être vue. Le groupe arriva finalement devant un immense bâtiment creusé à même la roche. Des pierres taillées et bardées d’acier, des grands piliers en marbre soutenaient les fondations. Des escaliers menaient à la porte des ruines qui faisait une taille impressionnante : quatre mètres de haut pour plus de deux de large. Noa avait déjà approché des ruines et elle avait remarqué cette particularité : elles possédaient toutes, ou presque des entrées énormes. Les démons de l’ancien monde devaient être des géants ou alors ils aimaient faire les choses en grand. Elle voyait des gravures ici et là, mais dans un langage qu’elle ne connaissait pas. Et à en voir les explorateurs, ils ne devaient pas les comprendre non plus.

  Cachée derrière un arbre mort, elle observait la scène, mal à l’aise. L’idée d’approcher les ruines ne lui plaisait pas, seuls quelques élus de son clan en avait le droit. Mais Noa ne pouvait pas laisser ces étrangers faire ce qu’ils voulaient. C’était un dilemme difficile pour elle : s’approcher et risquer de pénétrer dans les ruines, malgré l’interdiction de son peuple ou laisser des inconnues piller les lieux. Elle s’adossa au bois mort et poussa un long soupir, levant les yeux au ciel : le soleil se couchait. Sa tête était remplie de questions et de doutes. Elle en avait déjà tué deux, elle devait continuer sa tâche, comme on le lui avait appris : termine ce que tu as commencé. Mais méritaient-ils de mourir ? Quelle preuve avait-elle qu’ils soient dangereux ? Elle connaissait le caractère sacré et interdit des ruines, celles-ci étaient habitées par l’esprit du néant : le démon qui a provoqué la destruction du monde. On y trouvait des machines pouvant semer la destruction, des cadavres ambulants et il y avait dans l’air, la maladie. Comment ces hommes pouvaient-ils l’ignorer ? Fatiguée de sa traque, elle s’accorda la soirée pour se reposer, pour décider si elle devait les tuer, ou non. Elle sortit sa pipe de sa poche et la mit en bouche. Avec deux petits silex qu’elle roula entre ses doigts, elle alluma le tabac et inspira une longue bouffée de fumée.

  Les hommes observaient avec enthousiasme les ruines : heureux d’avoir trouvé quelque chose de si imposant, de si intéressant. Certains s’attelaient déjà à rapporter du bois pour préparer un feu. L’un d’entre eux, un type de vingt-cinq ans avec une coupe iroquoise, se nommant Jack, enfonçait des petits tubes en acier dans le sol, tirant ensuite un câble entre eux. Jack portait une longue veste en cuir et pendait une hachette ainsi qu’un artefact à sa ceinture. Il possédait également un masque à gaz qu’il avait autour du cou. Le jeune homme avait des piercings aux oreilles ainsi qu’à l’arcade.

  Ils étaient méticuleux depuis la mort de deux des leurs. Un homme ayant à peine la trentaine, donnait les ordres et tous l’écoutaient. D’une corpulence ordinaire, il n’en imposait pas par sa silhouette, mais son ton était plein de confiance. Ses cheveux étaient courts et roux, sa peau était claire ainsi que tachetée et enfin, ses yeux étaient d’un vert pâle. Son visage était rond, son nez semblait comme écrasé et son front était un peu dégarni. Une cicatrise descendait du coin de sa bouche à son menton. Liam portait une veste en cuir sans manche, dessous une chemise en lin ainsi qu’un pantalon en fourrure. Un masque à cartouches pendait autour de son cou et des grosses lunettes avec des sangles étaient posées sur son front. Il semblait un peu fatigué et anxieux mais n’en disait rien. Alors que ses compagnons allumaient le feu, il se tourna vers les ruines et grimpa quelques marches. Ses doigts glissèrent sur la pierre, sur les gravures et il se demandait bien ce qu’elles voulaient dire. Son regard se perdit dans l’entrée, il ne voyait qu’un long couloir disparaissant dans la pénombre. La fouille de la grotte n’avait rien donné, hormis une perte de temps et la découverte de Joshua et Edgar qui avaient été tués. C’était un coup dur pour lui et son groupe. Joshua était un excellent guide, il connaissait bien les lieux. Quant à Edgar, ce vieux râleur, il connaissait bien les bâtiments de l’ancienne civilisation. Difficile sans ces deux-là de se promener sans risques. Les autres avaient vu les blessures : trois entailles sur les cadavres, mais lui, il avait un peu de mal à imaginer que ce soit un animal sauvage. Pourquoi les tuer si ce n’était pas pour les manger ? Il se tourna vers ses compagnons.

 – On ira explorer ça demain. Ce soir, on mange et on se repose un peu. Et surtout…

 – On reste sur nos gardes, dirent d’une même voix Jack et un autre.

Liam soupira et acquiesça du chef. Il savait qu’on le pensait un peu paranoïaque, mais il préférait être trop méfiant que pas suffisamment.

  Jim, un homme ayant la trentaine, le crâne rasé, un long nez crochu et des petits yeux perçants de couleur marron. Il avait une barbe bien entretenue et portait un manteau en fourrure. Aidé par Arno, un grand gaillard avec une queue de cheval armé d’une longue hache, ils avaient rapporté suffisamment de bois pendant que Jack disposait des pièges. Billy avait défait les sacs pour monter des tentes. C’était le plus jeune du groupe, tout juste la vingtaine. Une coupe au carré, un certain embonpoint, il était un peu maladroit mais plein de bonne volonté. Restait Allan et Bruno, deux frangins qui dépeçaient un animal pour le faire cuire. Ils étaient jumeaux et s’amusaient souvent à se faire passer pour l’un ou l’autre. Le duo comique du groupe qui agaçait parfois Liam même s’il reconnaissait qu’un peu d’humour était utile pour souffler un peu. Alors qu’ils s’apprêtaient à manger, tous installés autour du feu. Un bruit résonna dans la forêt. Une sorte de bourdonnement régulier. Liam s’était relevé, observant les alentours avec une certaine appréhension dans le regard. Une lumière passa dans la cime des arbres avant de disparaître. Il crut d’abord être fou mais la lumière réapparut et un de ses compagnons brailla en la voyant. Chacun avait dégainé son arme, la tenant fébrilement entre ses mains. La tension était palpable au fur et à mesure que le bruit s’intensifiait. Quelque chose apparut au-dessus de la canopée. Une coque de bateau fait d’acier et de bois. Des lumières allaient et venaient sur les feuillages, cherchant quelque chose. Le reste du vaisseau s’avança vers la montagne, c’était vraiment un bateau, mais ses voiles longeaient la coque, comme les nageoires d’un poisson. Au lieu de la grande voile sur le pont, il y avait une sphère en tissu, accrochée au navire, sûrement ce qui lui permettait de voler. Liam en resta sans voix, tétanisé devant ce spectacle. Qui pouvait bien venir ici avec un tel appareil ?

  Des cordes tombèrent le long de la proue. Et des hommes se laissèrent glisser vers le sol. L’un d’eux mit le pied à terre et aperçut les individus qui avaient monté le camp devant les ruines. Il prit un artefact qu’il approcha de son visage, masqué par un foulard.

– On n’est pas les seuls, chef. On s’en débarrasse ?

Une voix grésillante s’échappa de l’appareil, disant simplement oui. Liam pointa instinctivement son arme vers les inconnus et pressa la détente. Préférant ouvrir les hostilités en premier. Le coup de feu résonna et un homme s’écroula : un trou de plusieurs centimètres dans le torse. En réponse, un des hommes masqués lança une hache qui s’encastra dans le corps de Arno. Le pauvre s’écroula au sol ce qui eut l’effet d’une douche froide pour Liam, voyant son ami se faire tuer. Certes, il avait attaqué le premier, mais rien ne l’avait préparé à voir l’un des siens mourir sans raison. De colère, il tira deux autres coups, loupant au premier tir et abattit l’un des assaillants au second. Les nouveaux arrivants commencèrent à courir pour attaquer pendant que d’autres cherchaient à se mettre à couvert. Liam hurlait à son groupe de reculer, de se diriger dans les ruines, tout en tirant sur ceux qui s’approchaient un peu trop. En quelques secondes, plusieurs corps gisaient sur le sol. Deux des compagnons de Liam étaient tombés : Arno et Billy. Chacun de son groupe disposait d’un artefact, pouvant ainsi tenir à distance les agresseurs. Ils reculèrent lentement tout en nourrissant de projectiles leurs ennemis qui eux, n’avançaient plus, cherchant plutôt à se protéger. Des coups de feu furent ainsi échangés entre les deux groupes, éclairant les murs par instants, rendant l’atmosphère des lieux encore plus lugubre.

  Une ombre sortit des herbes et fonça sur l’un des hommes venant d’atterrir de l’aéronef. Sa tête fut arrachée de son corps avant de rouler sur le sol. Un homme se jetait sur la silhouette mais fut perforé par une lame. Liam vit la scène mais fit volte-face pour grimper l’escalier et entrer avec les autres dans l’immense bâtiment. Noa tuait un troisième homme, lui tranchant la gorge. Elle attrapa le cadavre qu’elle plaqua contre son corps pour faire bouclier quand les autres lui tirèrent dessus. D’un pas sur le côté, elle fila sur une autre cible qu’elle perfora de son katana. Le souffle court, ses yeux dansaient de gauche à droite, observant chaque adversaire qu’il y avait dans la clairière. Il en restait six, sans compter ceux encore à bord du monstre volant. La jeune femme ignorait pourquoi elle était sortie de sa cachette. Ne comprenant pas ses agissements : la peur des nouveaux arrivants ou alors l'envie d'aider ceux qu’elle traquait jusque-là. Mais il était à présent trop tard pour faire marche arrière, son instinct avait décidé pour elle.

  Liam s’était retourné, voyant cette femme encerclée, faire face à ces inconnus. Une sauvageonne… Il avait plusieurs questions en tête : était-ce elle qui avait tué ses compagnons ? Pourquoi les attaquait-elle ? Qui était-elle ? Il fouilla dans sa poche et en sortit un cube fait dans une matière inconnue mais similaire à de l’acier, en beaucoup plus léger. Il en sortit un second, les fixa un instant puis la jeune femme. Il pressa une surface et l’objet émit une lueur rouge. Son regard se posa de nouveau sur la guerrière, elle fondait sur un autre ennemi mais ce dernier bloqua son attaque avec une grande hache. Elle allait se faire tuer.

  Il hésita en serrant le cube dans sa main puis le jeta de toute ses forces vers les inconnus affrontant la traqueuse. Le cube tomba sur le sol, roula sur quelques mètres avant de s’immobiliser. Il clignotait de plus en plus vite et certains l’avaient remarqué. Noa profita de l’inattention pour abattre le type à la hache. Ignorant totalement l’objet qui brillait jusqu’à ce qu’il explose en émettant un son strident et une lumière aveuglante. La jeune femme tituba, sa vision était floue et des acouphènes hurlaient dans ses oreilles. Sonnée, elle tenait fébrilement son arme comme ses adversaires qui étaient tout aussi déboussolés. Le chef du petit groupe pressa le second cube, jusqu’à ce qu’il brille d’une lueur bleue. Il le jeta alors contre le pilier de l’entrée et se mit à courir avec les autres à l’intérieur. L’artefact explosa, détruisant le pilier et faisant s’écrouler le passage en soulevant beaucoup de poussière. Le chef du petit groupe espérait ne pas avoir fait une connerie, suppliant pour qu’il y ait une autre sortie, quelque part dans ce lieu. Mais il était trop tard pour faire machine arrière, il ne pouvait à présent qu’avancer et espérer avoir fait ce qu’il fallait.

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