Prisonniers (2)

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 – Je me nomme Kinji. Je ne vous veux aucun mal, je vais seulement regarder vos blessures. D’accord ?

L’homme s’inclina pour saluer Noa avant de s’approcher. Il s'accroupit et observa les multiples hématomes sur le corps de la jeune femme. Ses doigts glissèrent sur sa peau mate, la faisant frissonner ou sursauter quand il s’attardait sur des zones douloureuses. Maintenant qu’il était si proche, la jeune femme remarqua quelques rides autour des yeux et sur le front du dénommé Kinji. Il n’était pas si jeune, pourtant il avait le regard vif et les mains douces. Il n’avait pas l’allure ni la gestuelle d’un combattant, c’était vraisemblablement un guérisseur, peut-être que cela expliquait également sa tenue extravagante. Elle ne comprenait pas pourquoi on lui accordait autant d’attention alors qu’on l’avait précédemment torturée. Ce retournement de situation l’intriguait, elle voulait même poser des questions. Elle le laissa donc faire et posa ses yeux sur la blonde, celle qui semblait être la dirigeante. Curieuse, elle décida de mettre de côté le danger.

 – C’est donc toi qui commandes, demanda-t-elle d’un ton dédaigneux. Tu es donc une Mère ?

La question sembla intriguer la jeune femme qui écarquilla les yeux avant de répondre :

 – Mère ? Pourquoi me demander si j’ai des enfants ? Et changes de ton, veux-tu ? J’ai accepté de t’épargner la vie et je t’ai même apporté un docteur. Alors un peu de respect.

  La voix de cette petite femme était forte, pleine de charisme et d’autorité. Noa comprenait pourquoi les autres l’écoutaient. Il s’émanait d’elle une certaine présence même si elle n’était pas une Mère. Pire encore, elle ignorait ce que c’était. Noa pensait qu’il en allait de même partout dans le monde : les femmes fortes et d’expériences étaient mises au pouvoir pour diriger. Il en était ainsi à Gaïa et après avoir vu cette fille, elle avait pensé qu’il n’y avait pas que les tribus qui agissaient de la sorte. Elle s’en voulait presque d’avoir ouvert la bouche, elle avait pensé à tort qu’elle pourrait discuter avec eux. Le démon était à l’œuvre et il venait de la berner, malheureusement il était trop tard pour faire marche arrière. Ne pouvant réparer son erreur, elle décida donc de poursuivre.

 – Désolée. J’ai été surprise de découvrir une gosse à la tête d’autant d’hommes.

 – Une gosse, hein ? Et toi, tu joues la guerrière pourtant tu ne me sembles pas bien plus vieille que moi. Quel âge as-tu ?

 – Dix-neuf ans. Je ne joue pas… Nous autres, peuple de Gaïa, nous apprenons à vieillir plus vite. La jungle demande une certaine maturité pour y survivre, répondit fièrement Noa.

 – Vous mourez surtout plus vite, si tu veux mon avis, rétorqua la jeune cheffe. Je n’ai que seize ans et je me nomme Wanlia. Je suis peut-être une gosse, mais je connais la politesse, ajouta-t-elle sur un ton cassant. Tu as de la chance que tes compagnons veulent qu’on te garde en vie. Alors ne joues pas trop avec ma patience.

 – Noa. Du clan Casadora. On ne m’a pas appris à être aimable avec les étrangers, les envahisseurs ou encore ceux qui attachent les gens comme du bétail.

Kinji appuya sur une côte meurtrie de la guerrière ce qui lui arracha un gémissement de douleur. Elle comprit le message, il voulait qu’elle parle plus calmement et sans chercher à défier davantage Wanlia. Ce type semblait d'avis pour ne pas envenimer les choses. Noa n'était pas contre un peu d'action, mais attachée à un arbre, ses chances étaient maigres. Elle poussa un soupir, être plus docile n’était pas une chose aisée pour elle, on ne l’avait pas éduquée ainsi.

 – Enfin… Je te remercie de bien vouloir m’épargner. J’imagine que tu veux quelque chose de moi ?

 – Bien ! Au moins, on ne tournera pas autour du pot. Tes compagnons sont ici pour quelle raison ?

 – La même chose que ton groupe, j’imagine ? Vous venez tous ici pour les anciens temples, à croire qu’il n’y en a pas sur le continent, ironisa Noa.

 – Le chef de votre groupe semblait ignorer l’utilité de cet endroit. Sais-tu quelque chose à ce sujet ? poursuivit Wanlia, implacable.

 – Hormis que seuls quelques élus de mon peuple sont autorisés à y pénétrer ? Non. Ce n’est pas le premier endroit où ils s’arrêtent. Je ne suis pas sûre qu’ils aient une idée précise de ce qu’ils cherchent.

 – Très bien, merci, répondit Wanlia avec un grand sourire. Parle-moi un peu de ton peuple. Seuls quelques élus peuvent entrer ?

 – Oui.

 – Et pourquoi ?

 – Nos lois sont ainsi, répliqua froidement Noa.

 – Tu ne me diras rien sur ton peuple, implora Wanlia en faisant la moue et une voix de gamine.

 – Rien, rétorqua Noa, stoïque.

 – Comme tu veux, soupira la pirate. Une dernière question : comment s’appelle le chef du groupe ?

 – Qu’est-ce que j’en sais ?

  Wanlia ne répondit rien, elle se contenta d’un sourire et d’un regard entendu vers le costaud qui n’avait pas prononcé un seul mot. Ce dernier hocha tête avant de tourner les talons et l’adolescente en fit de même. La sauvageonne comprit alors, son interlocutrice avait employé le terme de compagnons. Et là, elle venait de prouver qu’elle ne les connaissait pas. Elle ne comprenait d’ailleurs pas pourquoi l’autre groupe voulait qu’elle reste en vie, tout ceci n’avait aucun sens pour elle.

  Le toubib avait profité de la discussion pour faire quelques bandages et posé un cataplasme sur l’arcade de la guerrière fauve. Il termina son travail sans parler et se releva ensuite lentement. Il salua Noa en s’inclinant devant elle et retourna auprès de ses compagnons. Elle le trouvait trop respectueux et qu’il faisait tâche au milieu de ce groupe de pillards même si elle comprenait parfaitement l’importance d’avoir quelqu’un comme lui dans un tel groupe. Elle inclina la tête en arrière pour observer les étoiles. Sa pipe lui manquait et elle sentait le besoin de fumer pour se détendre, peut-être qu’elle aurait pu profiter de cet échange pour demander qu’on la lui remette ? Elle fit un sourire, l’idée était aussi amusante qu’absurde. Avant que le trio soit trop loin, elle les interpela pour assouvir une dernière curiosité :

 – Et donc, dans ce temple. Il y a quoi de si important ?

 – Une carte, lui répondit Wanlia.

  Les yeux de la jeune combattante s’ouvrirent en grand, surprise par cette révélation. Tout ce monde, l’utilisation d’un engin volant et des pertes humaines car ils voulaient une simple carte ? Noa en était stupéfaite, elle imaginait bien que ce ne soit pas dépourvu d’importance, mais tout de même. Elle cogita, seule dans son coin, pour chercher une certaine logique dans tout ça. Aucune chance pour que ne soit qu’un vulgaire bout de papier. Et si c’était un plan, il devait forcément indiquer quelque chose. Les possibilités étaient nombreuses : une arme terrifiante, des installations pour contrôler le monde, le tombeau du démon en personne. Si l’ancienne civilisation ou l’esprit du chaos incarné par la technomagie, avait caché un objet de valeur dans un temple qui nécessiterait d’être réactivé pour l’obtenir, c’était pour une raison bien précise. Mais laquelle ? Son désir de s’échapper venait de grandir, elle devait empêcher ça. Peut-être était-ce le plan du diable pour revenir sur le monde et provoquer une seconde Grande Catastrophe. Quoiqu’il en soit, elle voulait comprendre et c’était surtout sa mission d’éviter qu’on exploite de nouveau l’ancienne technologie qui avait causé la perte de l’humanité. Elle chercha autour d’elle un moyen de se sortir de là, tira de nouveau sur la chaine et sur son collier. Un garde lui ordonna de se calmer pour ne pas se blesser inutilement. Elle cessa de s’acharner pour afficher un sourire : elle venait d’avoir une idée. Restait à la mettre en pratique.

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