Don du ciel (1)

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  Le soleil se levait sur la plaine couverte d’une épaisse couche de neige. Le silence régnait entre les monticules de poudreuse, seulement perturbé par un léger vent, faisant virevolter les flocons. Quelques nuages venaient nuancer l’azur bleuté du ciel suivit par un immense oiseau dont le battement des ailes résonnait avec force dans la vallée. L’immense créature, oiseau de proie aux serres acérées et aux muscles puissants, pouvait arracher un enfant du sol sans difficulté. Il scrutait l’horizon, à la recherche de nourriture au milieu de ce désert froid. Un homme dans la poudreuse s’arrêta pour baisser sa capuche, il avait la peau claire, légèrement rouge à cause du froid. Il portait une barbe de plusieurs jours et ses cheveux blonds étaient attachés en une queue de cheval. Recouvert de fourrure pour supporter le froid, il jeta ses gants dans la neige pour brandir son arc qu’il banda avec force… Orm inspira profondément, il avait pris l’habitude de cette arme. Ses yeux vairons : un gris et l’autre vert, se posèrent sur l’immense oiseau de proie.

  Une flèche perfora l’aile droite du volatile. L'oiseau perdit de l’altitude, vacillant un instant. Un autre projectile le frappa de nouveau faisant chuter l’oiseau qui vint s’écraser dans la neige. Le groupe qui accompagnait Orm salua la performance avant de reprendre la marche entre deux dunes de neige, ils avancèrent d’un pas difficile jusqu’à l’endroit où était tombé le rapace.

  Chaque pas était une épreuve. Aussi habitués soient-ils à l’environnement, Orm et ses compagnons peinaient pour se mouvoir : il y avait plus d’un mètre de poudreuse, ils s’enfonçaient à chaque mouvement. Des plaques de glace se décrochaient par endroits, leur faisant perdre l’équilibre. Au bout de plusieurs minutes, ils arrivèrent enfin vers l’aigle agonisant. En voyant les humains, il prit peur et piailla violemment. Tous étaient vêtus de fourrure, la tête encapuchonnée pour se protéger du froid, des épaisses bottes en cuir et des gants rembourrés. Il fallait au moins ça pour affronter les températures négatives de Spindelsinn. Orm s’avança vers l’oiseau qui se débattait comme un diable, désireux de reprendre son envol ou de planter serres et bec dans les humains proches de lui.

  Le jeune homme arracha une hache de sa ceinture, puis hurla à ses compagnons de l’aider. Ils s’affairèrent ainsi rapidement. Tous tenaient les ailes et les pattes puissantes de l'animal qui parvenait à soulever par instant les bougres aggripés à lui. La hache s’abattit plusieurs fois sur la gorge de l’aigle avant de parvenir à l’achever. Les cris d’agonie de l’oiseau résonnèrent pendant plusieurs secondes dans la vallée.

  Le plus jeune du groupe : un homme aux cheveux blonds qui arrivaient sous sa nuque, avait récupéré plusieurs plumes qu’il fixait à sa lance pour la décorer. Orm lui lança un regard amusé alors qu’il découpait des morceaux de viandes.

 – Tu t’en fais un trophée ? Pourtant il ne me semblait pas que ces flèches étaient les tiennes.

 – Ça aurait très bien pu être les miennes si tu m’avais laissé tirer.

 – La prochaine fois Sven !

Orm arborait un large sourire partiellement visible sous sa barbe. Ses yeux et son nez ressemblaient beaucoup à ceux du dénommé Sven, son petit frère. Le jeune soupira, entre l’amusement et l’exaspération. Il prit finalement son couteau pour venir découper des quartiers de viande avec les autres.

  Ils passèrent un long moment à dépecer l’animal, discutant joyeusement autour du cadavre. Ogard le quadragénaire du groupe, racontait une de ses soirées où il avait bu et festoyé avec la plus belle femme de la cité et qu’on lui avait lancé des regards aussi acérés que celui de l’oiseau pour avoir fréquenté une telle beauté. Il faisait son âge, le visage ridé, des cheveux courts et gris, son front commençait à se dégarnir. Il avait également une vilaine balafre sur le côté du visage, descendant jusqu’à sa mâchoire, lui donnant ainsi un air patibulaire alors qu’il n’en était rien quand on le connaissait.

  Les autres l’écoutaient parler en souriant, le vieux aimait les histoires, surtout les raconter et elles étaient presque toujours accompagnées de boissons et de femmes qui ne semblaient attendre que lui. Personne ne savait si c’était vrai ou si tout ceci n’était que le fruit de son imagination ou de ses fantasmes. Mais c’était toujours agréable de l’écouter, ils pouvaient ainsi oublier pendant quelques instants le froid et la neige qui les entouraient. Il s’écoula ainsi presque deux heures avant qu’ils n’en finissent avec l’aigle, surnommé bien souvent de griffon. Souillant la neige d’une grande tache de sang, laissant les abats là pour les charognards, s’il y en avait par ce froid tout du moins. Le groupe reprit la route alors que le soleil était presque à son zénith.

  Orm ouvrait la marche : c’était le chef de ce petit groupe, un homme de vingt-six ans. Sa barbe méritait d’être taillée et il pensait qu’un jour, elle serait aussi longue que ses cheveux. Un sourire malicieux se dissimulait sous les poils et son regard pouvait se montrer aussi tendre que cruel. Il portait une longue veste en fourrure, tombant à mi- mollet, le temps s’y prêtant, il n'avait pas remis sa capuche, laissant sa queue de cheval et sa tête respirer. Plutôt grand, légèrement carré, il était taillé pour ce boulot, pour survivre à l’extérieur dans ce froid et face aux créatures qui pouvaient rôder dehors.

  Ce n’était pas sa première sortie et il commençait à bien se repérer au milieu de cette neige et tous les monticules. Orm portait une petite hache à la ceinture ainsi qu’un artefact fait d’acier et de bois de l’autre côté. Il avait également un sac à dos avec des provisions à l’intérieur ainsi que la tente pour ses compagnons et lui. Malgré son air insouciant, ses blagues parfois douteuses et son jeune âge, personne ne doutait de lui en tant que chef. Et il savait se montrer aussi persuasif qu’autoritaire quand cela s’avérait nécessaire. Il marchait d’un pas pesant, ses bottes et ses raquettes s’enfonçant dans la poudreuse, ses muscles commençaient à fatiguer et il se doutait que la nuit serait probablement parsemée de crampes.

  Il fit une halte en arrivant au sommet d’une dune de neige. Observant l’horizon. Son logis lui manquait parfois, mais devant ce magnifique spectacle qu’offrait mère nature, il était heureux d’être un chasseur, de pouvoir sortir et admirer de pareilles choses. Même s’il aurait préféré faire ce travail pour d’autres raisons. Il vit d’épais nuages sombres au loin et le soleil qui descendait à l’horizon. Sa mine se renfrogna et il se tourna vers ses comparses leur ordonnant de ne pas ralentir le pas.

  Ogard suivait Orm d'un pas claudiquant, insultant le temps et les lieux dès qu’il en sentait la nécessité, c’est-à-dire régulièrement. Il s’appuyait sur un bâton pour marcher, ce dernier s’enfonçant presque de moitié dans la neige à chaque pas. Soufflant comme un buffle, il avait lancé un regard noir à son chef quand celui-ci avait ordonné de ne pas ralentir le pas. Ogard connaissait les plaines enneigées pour y avoir passé une bonne partie de sa vie. Mais il n’avait jamais aimé s’y promener, préférant les chemins escarpés des montagnes où la neige y était un peu moins présente. C’était l’ancien du groupe, celui sur qui on pouvait s’appuyer pour avoir des informations sur la faune du coin. Il avait aussi comme un sixième sens pour prédire l’arrivée du blizzard et trouver un abri pour s’en protéger. Il profitait des haltes pour soulager ses muscles et faire part de ses histoires grivoises aux autres. Le quarantenaire portait un bonnet et une écharpe en laine ainsi qu’une veste en peau avec plusieurs épaisseurs de vêtements en dessous ce qui le rendait plus maladroit dans ses mouvements ainsi que l’impression d’être gras.

  Derrière, il y avait Sven, s’appuyant sur sa lance fraîchement ornée de plumes pour marcher, se déplaçant avec bien plus d’aisance qu'Ogard et son bâton. Le jeune homme avait gardé sa capuche, des mèches dépassaient ici et là. Un jeune bouc commençait à couvrir son menton, il était le plus jeune du groupe et avait tout juste la vingtaine. Sven observa un instant les plumes du griffon balancer de gauche à droite. Ses yeux bleu argenté se posèrent sur la colline de neige, observant ensuite les nuages. Il remonta son sac en toile sur son épaule, celui-ci fit pas mal de bruit : il portait des ustensiles de cuisines et du matériel d'Ogard que le vieux briscard ne voulait pas laisser à la traîne. Sven était habillé d’une peau de bête sur les épaules qui tombait jusque sur ses hanches. Dessous il portait une autre veste épaisse avec une capuche. Son pantalon était fait en cuir et tissu rembourré de fourrure.

  Le jeune, contrairement aux autres, était ici de son propre chef, il avait rejoint le groupe de chasseurs pour être avec son frère. Même si Orm s’y était d’abord opposé, il était à présent trop tard pour revenir en arrière. Restait que Sven apprenait vite, que ce soit la traque ou le maniement de la lance ou encore de l’arc. Parfois, il demandait l'autorisation à Ogard d'utiliser son artefact mais le vieux ne le laissait pas souvent poser ses doigts sur son trésor : sa seule arme comme il aimait le dire.

  Sibjorn fermait la marche. C'était un grand gaillard avoisinant les deux mètres. Des bras et des jambes robustes pour avoir effectué des travaux physiques depuis l’enfance. Il portait une grande hache à deux mains dans son dos et tractait une plaque de métal qui glissait plutôt bien dans la neige. Dessus se trouvait le plus gros de la viande du griffon ainsi que d’autres vivres et plusieurs sacs. Avec sa carrure, il était le plus apte pour cette tâche et ne rechignait pas trop à le faire. Contrairement au reste du groupe, Sibjorn avait les cheveux courts, rasés sur les côtés et d’un noir de jais. Ses yeux verts passaient souvent sur Orm puis à gauche et à droite, restant en alerte. C’était un costaud peu loquace, mais ça n’en restait pas moins quelqu’un de confiance pour se défendre en cas de problème.

  Après plus d’une heure de marche, Ogard estima qu’il était grand temps de trouver un endroit pour la nuit, car le blizzard approchait. Orm soupira et ordonna au groupe de se diriger vers les pics enneigés qu’ils pouvaient voir à l’Ouest. Une demi-heure après, le vent se levait, emportant des nuages de poudreuse qui formaient rapidement un brouillard dans lequel il devenait de plus en plus difficile de se déplacer. Le bruit du vent qui s’engouffrait entre les gorges rocailleuses ressemblait à des hurlements d’animaux ou d’autres créatures imaginaires. Sven tremblait de froid ou peut-être de peur. Sibjorn pressait le pas et tractait la plaque de métal se couvrant également de blanc. Orm leva le bras pour indiquer une direction.

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