Divine providence (1)

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  Le feu de camps crépitait lentement au milieu d’une petite clairière. Tout autour, la jungle luxuriante semblait endormie : les chants des oiseaux avaient cessé, les branches ne bougeaient que de temps à autre, bercées par le vent ou le déplacement d’une créature nocturne. Les arbres immenses donnaient le sentiment d’être minuscule et même en pleine journée, les rayons du soleil ne filtraient que partiellement à travers les feuillages. Laissant ainsi toujours planer une demi-pénombre sur les lieux, rendant les déplacements difficiles entre les racines sortant du sol, les ronces ou encore les nids de poule. De longues lianes pendaient des arbres ajoutant un coté encore plus lugubre à l’endroit, parfois on arrivait à les confondre avec un serpent mais une fois qu’on s’était fait avoir, on était plus vigilant. Les fougères étaient hautes, arrivant à faire plus d’un mètre de hauteur, dissimulant le sol et ce qui pourrait s’y cacher. Ici, les cachettes ne manquaient pas pour les insectes et les prédateurs.

  Edgar détestait cet endroit, la chaleur et l’humidité rendaient l’atmosphère suffocante, ses vêtements collaient à sa peau et le moindre bruit qu’on pouvait entendre, était sûrement une bestiole vous épiant, prête à bondir, ce qui avait de quoi le stresser. Ou encore les plantes, celles-ci avaient des épines pour s’écorcher les jambes ou les bras, d’autres pouvaient être vénéneuses et se griffer à quelque chose le rendait toujours un peu nerveux : l’idée d’être malade ou empoisonné, n’avait en soi rien de réconfortant. Sans oublier certaines plantes l'odeur nauséabonde. Cet endroit, c’était l’enfer pour Edgar, si personne ne lui avait pas promis une belle somme, jamais il ne serait venu dans ce lieu infernal.

  L’homme retira ses bottes pour laisser ses pieds respirer, ses jambes étaient engourdies par la marche et venaient s’ajouter des crampes dans ses orteils ainsi que ses mollets. Cette excursion dans la jungle l’avait exténué, il avait l’impression d’avoir pris dix ans, l’humidité ne l’aidait pas à respirer, les moustiques lui donnaient des crises de nerfs. Edgar se pencha pour poser une main au sol, fléchit les genoux pour descendre lentement, à croire que ses jambes étaient rouillées, pour enfin s’installer au coin du feu en soupirant.

  Il avait la trentaine bien entamée, les cheveux poivre et sel d’une longueur moyenne. Quelques mèches tombaient sur son front et devant ses yeux marron. Son nez était un peu tordu, cassé lors d’une bagarre dans une taverne il y a des années. Il ne se souvenait même pas du sujet qui avait entrainé le conflit, plusieurs hommes et de l’alcool, c’était suffisant pour échauffer les esprits après tout. Il était mal rasé, ce qui était facile à comprendre vu l’endroit où il se trouvait : difficile de prendre soin de soi au beau milieu de nulle part, au milieu de la jungle.

  Il posa ses yeux sur son compagnon qui dépeçait un lapin afin de le passer sur le feu : Joshua était un peu plus jeune, ses cheveux gras et longs lui tombaient jusqu’au milieu du dos. Les joues creusées et ses yeux bleus étaient concentrés sur son labeur. Ses doigts fins et agiles maniaient le couteau avec une dextérité que seule l’expérience pouvait offrir. Ce type semblait à l’aise dans la jungle, habitué à ce sinistre endroit, en même temps : Joshua était ici pour ça, pour guider les autres.

  Edgar le regarda faire un moment, puis se tourna pour prendre une outre en peau qu’il porta à ses lèvres. Il y prit une longue gorgée, appréciant le goût fruité qui s’immisçait dans son gosier, laissant ensuite l’impression de brûlure et d’amertume, il souffla de satisfaction. Le vin avait ce pouvoir de vous faire apprécier tout et n’importe quoi, le meilleur moyen d’oublier un endroit où tout semble avoir été créé dans le seul but de vous faire mal, de vous écorcher la peau, de vous tuer. Après une autre gorgée et un soupir, il garda l’outre proche de son visage pour renifler les vapeurs d’alcool, laver ses narines de ces odeurs immondes que cette jungle transpirait. De son côté Joshua en avait terminé et déposait le repas sur le feu de camps en affichant un sourire triomphal.

 – On va se régaler.

 – Ça ne remplacera pas un bon lit douillet et une femme pour me tenir compagnie. Mais ouais, c’est déjà pas mal.

 – A quel moment t’as cru que ce serait un voyage touristique Edgar ? Déjà en mer tu te plaignais et maintenant quoi ? Tu détestes la jungle ?

 – Comment as-tu deviné ? C’est surement pour ton sens de la déduction qu’on t’a embauché toi, vociféra Edgar.

 – Moi, je suis déjà venu ici et je suis là pour vous aider à trouver votre chemin, se justifia Joshua. Et jusque-là j’ai plutôt bien rempli ma part du contrat. Les autres semblent aussi savoir ce qu’ils font.

Edgar se contenta d’une autre gorgée de vin pour faire disparaitre sa frustration. Il leva ensuite les yeux au ciel, désireux d’ignorer son compagnon et de trouver autre chose à regarder que cet imbécile qui aimait vivre dehors, dans les forêts ou les cavernes tel un sauvage. Il n’entendait que le bruit du feu qui crépitait, le vent qui soufflait paisiblement et son cœur battant de colère dans sa poitrine.

  Au milieu de cette petite clairière, il était possible de voir le ciel, certes le trou offert par les branches n’était pas énorme, mais suffisant pour voir quelques étoiles. Il vit également deux formes blanches dans le ciel : l’une était presque ronde mais un côté semblait comme avoir été arraché, l’autre était un bloc difforme. Ces deux tâches blanches, plus grosses que les étoiles, trônaient toujours dans le ciel étoilé et Edgar savait que si les feuilles ne cachaient pas le reste, il en aurait vu une troisième : c’était ce qu’on appelle les fragments lunaires.

  Une légende racontait qu’autrefois, une planète immense était visible la nuit dans le ciel, elle était blanche et on pouvait y voir des crevasses, c’était la lune et elle éclairait la nuit pour remplacer le soleil. Mais après la Grande Catastrophe qui dévasta le monde, le satellite s’était séparé en quatre morceaux, trois étaient généralement visible la nuit et le dernier pouvait être aperçu en journée si les nuages le permettaient. Des histoires racontaient qu'elle s’était brisée, tel un œuf et avait déversé sur le monde la désolation qui entraina la Grande Catastrophe. D’autres disaient que les hommes, non satisfaits d’avoir ravagé le monde, avaient trouvé le moyen de détruire la lune.

  Edgar ignorait où commençait la légende et où s’arrêtait la réalité. Tout ce qu’il savait, c’est que le monde était ce qu’il est : dévasté. Des zones arides balayées par le vent, d’autres couvertes de neige ou encore des marais putrides. Le tout truffé de créatures ou de reste de l’ancienne civilisation. Une bouffée de nostalgie le traversa : pourquoi avoir accepté ce boulot alors qu’il y avait tellement mieux à faire chez lui ?

  Les plaines violacées lui manquaient, une terre teinte à cause de certaines plantes et fruits qui rendaient la beauté de l’endroit unique. Qu’importe ce qui avait engendré la Grande Catastrophe, le climat, la faune ainsi que la flore en avaient été affecté. Et l’humanité aussi en avait souffert : beaucoup de gens sont morts à l’époque, beaucoup ont été exposé à des radiations, une énergie malsaine qui tue à petit feu ou qui provoque des mutations rendant les gens fous et agressifs. Et ce phénomène existe toujours, dans certaines zones isolées ou dans des ruines de l’ancienne civilisation, un cadeau empoisonné des ancêtres en plus d’avoir ravagé le monde…

  Mais le pire dans tout ça pour les dirigeants de ce monde en perdition, ce fut la perte du savoir et des connaissances de l’ancienne civilisation : il était extrêmement difficile de trouver des écrits d’antan, laissant des cités en ruines possédant une mine de technomagie inexploitée par faute de connaissance pour s’en servir. Des machines, des outils que l’humanité avait renommés : Artefacts, qui pouvaient s’avérer si utile, autant pour vivre que pour se battre.

  En pensant à ça, Edgar passa sa main à sa ceinture, posant ses doigts sur le canon en acier de son arme. Il avait déjà fouillé des ruines, de vieilles cités ravagées où l’on pouvait y croiser des créatures dangereuses, des engins agressifs, des pièges, il y était même allé plusieurs fois. Edgar était un récupérateur, son boulot consistait à aller ici et là, de fouiller un peu partout à la recherche de trucs intéressants. Il avait le nez pour débusquer des armes de l’ancienne civilisation et trouver leurs utilités. Il possédait aussi un certain talent pour la démolition.

  Joshua retourna le lapin pour voir s’il était suffisamment cuit. Il versa un peu de vin sur la viande pour l’assaisonner même si aux yeux de son compagnon, c’était là surtout du pur gâchis. Edgar avait cessé de fixer le ciel et semblait moins boudeur. Son compagnon n’avait pas tort, jusque-là, il n’avait fait que se plaindre. Mais pouvait-on lui tenir rigueur d’avoir découvert durant le voyage qu’il avait le mal de mer ? Quatre jours de bateau à être malade, à vomir ses tripes à la moindre vague un peu trop forte. Et pour ensuite quoi ? Débarquer dans une jungle où il faisait aussi chaud qu’humide, où les moustiques vous tournaient autour en permanence, où les serpents atteignaient des longueurs hallucinantes.

  Lui, il était habitué à la vie de son pays : un climat doux, de grandes plaines avec quelques forêts et la vie en ville où le plus grand danger restait les voleurs à la tire ou les escrocs du quartier commerçant. Et pour lui, visiter des ruines de l’ancien monde voulait dire : se rendre dans une cité en ruines où il ne faudrait qu’éviter d’attirer l’attention des machines et des goules. Cette expédition était totalement différente de ce qu’il avait vécu jusque-là : patauger dans la boue et les ronces, ne pas voir à plus de cinq mètres car il y a trop de végétation.

 – Bon. Hormis les ronces et les serpents, y a quoi de dangereux ?

 – Tu veux dire à part toute la jungle ? Il y a des animaux dans les arbres, des singes, ils ne sont pas dangereux mais quand ils se sentent menacés ou envahit, ils peuvent te balancer des branches, des fruits ou des cailloux dessus.

 – Un peu comme les pouilleux en ville quand ils subissent une nouvelle taxe et qu’ils aperçoivent un noble passer au coin de la rue, quoi.

 – C’est ça, répondit Joshua en riant. Vers les rivages, on peut trouver d’énormes lézards. Les autochtones les appellent des salamandres. Ces bestioles font facilement trois mètres de longs et sont incroyablement rapides pour leurs tailles.

 – Les lézards ou les autochtones ? la réplique de Edgar arracha un sourire amusé à Joshua.

 – Bah, le point commun entre les deux : c’est qu’il est préférable de les éviter. Les salamandres sont très agressives et robustes, ton épée percerait difficilement leurs écailles alors qu’un coup de patte du lézard suffirait à te tuer. Pour les gens du coin, que dire… Ce sont des sauvages qui vivent isolés du reste du monde. Ils vénèrent leurs propres dieux et n’apprécient pas du tout les étrangers. S’ils nous trouvaient ici, ils nous chasseraient de leur terre. Quoique, s’ils voyaient que tu possèdes un artefact, rien que pour ça ils te tueraient.

 – Et pourquoi ça ?

 – Ils détestent la technomagie. Pour eux c’est l’incarnation du démon et en rejettent toute utilisation.

 – S’ils sont aussi peu sympas que ça, comment sais-tu tant de chose sur eux ?

 – Une tribu sur la côte est un peu plus sociale que les autres. J’y ai déjà fait plusieurs escales pour acheter des vivres, des vêtements ou simplement m’y reposer. Et j’en ai ainsi appris pas mal sur eux. Ils m’ont tous dit la même chose : plus on s’enfonce dans les terres et plus les tribus sont hostiles envers les inconnus. Ils vénèrent tous la Mère Gaïa, l’esprit de la terre, de la nature qui est pour eux source de toute vie. Ils racontent aussi que toutes les ruines de l’ancien monde sont habitées par un esprit malfaisant qui est la cause de la Grande Catastrophe. Chez eux, il n’y a que quelques élus qui ont le droit de se rendre dans les ruines pour les étudier, pour apprendre comment détruire la technomagie.

 – Finalement, ils s’y intéressent comme nous tous à ces ruines ! s’exclama Edgar.

 – Dans un sens oui.

 – Et les femmes de ce pays ? De belles femmes sauvages aux formes généreuses ? dit-il d'un ton graveleux.

 – C’est comme partout, il y en a des belles mais aussi des terrifiantes, expliqua Joshua.

 – Des terrifiantes ? appuya le récupérateur, intrigué.

 – Ce sont les femmes qui dirigent ici, expliqua le guide. Celles qui sont douées dans un domaine comme le textile, la cuisine et qui ont eu des enfants deviennent ensuite des chefs que tout le monde appelle Mères. Il y a aussi d’anciennes chasseuses ou bijoutières qui le deviennent. Si j’ai bien compris : celles qui réalisent quelque chose qui sort de l’ordinaire sont élevées au statut de Mère.

 – Je connais quelques fées du logis qui se plairaient ici, ironisa Edgar.

 – Tu serais surpris. Ce sont souvent des femmes âgées qui savent beaucoup de choses et avec qui je n’aimerai pas me disputer. Rappelle-toi qu’ici, même les gamins savent se défendre. La jungle ne laisse vivre que les plus forts.

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