Chapitre 5-3 (Fin)

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Le lundi suivant, Henri enfila de nouveau son costume. À aucun moment, durant la semaine séparant leur rendez-vous chez le notaire de celui à la banque, ils n'avaient évoqué le coffre-fort et son contenu. Le vieil homme s'était juste montré encore plus taciturne et Dim l'avait lâchement évité.

L'employé les conduisit, avec le clerc, jusqu'à la salle blindée, ouvrit une sorte de tiroir puis les laissa seuls. Henri semblait hésiter, Dimitri s'avança et se saisit du contenu qu'il déposa sur la table réservée à cet effet. Pas de bijoux, pas de monnaie, aucune valeur, que du papier. L'employé de l'Office notarial les abandonna à son tour.

Le jeune homme tendit à son grand-père une enveloppe portant son prénom. C'était l'écriture d'Alice, il l'aurait reconnue entre mille. Il s'attendait à ce que le vieux la fourre dans sa poche, mais il la décacheta et déplia lentement la feuille avant d'en déchiffrer le contenu.

Mon Henri,

Si tu tiens cette lettre entre tes mains, c'est que je suis partie avant toi... J'en suis profondément désolée car j'aurais préféré que tu n'apprennes jamais ce qui va suivre, ce n'était pas utile. Mais tu comprendras que pour notre Dimi je ne pouvais pas faire autrement. Il y a, dans son enveloppe, un manuscrit d'Angélique que tu n'as jamais lu, et pour cause : elle y révèle un terrible secret que, je te le répète, tu n'avais pas besoin de connaître. Tu as été un bon mari, pour rien au monde je n'en aurais voulu un autre. Quant à moi, je me suis efforcée d'être celle que tu aimais... Que c'est difficile de te faire souffrir, j'espère que tu me pardonneras... Pense à Dimitri, pour lui aussi ce sera compliqué...

Je t'ai trahi Henri ! À vingt ans, j'ai eu une relation avec Jean, l'ancien patron du PMU. C'était juste avant notre mariage et l'arrivée d'Angélique... Cela n'a été qu'un coup de folie qui n'a pas duré. Ce fut la seule et unique fois où je t'ai été infidèle. Pourquoi ai-je besoin d'en faire étalage après tout ce temps ? En quoi cela concerne Dimitri ? C'est simple Henri. Ne le comprends-tu pas ? Après cet écart, je ne suis plus jamais tombée enceinte. Je n'ai pas pu te donner le fils que nous désirions tant...

Lorsqu'Angélique a accouché de Dimi, le petit n'était pas bien costaud, les médecins posaient des questions sur les antécédents familiaux. Je me suis sentie obligée de lui confier mon doute. Elle a été très choquée et m'a reproché de te le cacher. À cette époque son militantisme féministe n'arrangeait rien... Elle a menacé de te révéler mon secret, nous nous sommes fâchées ! Quand elle nous a confié Dimi, je lui ai fait promettre de ne plus jamais reparler de cette histoire. Elle était si désemparée qu'elle a juré sur la tête de son fils mais, elle a glissé une insinuation dans son projet de roman. Elle subissait la très mauvaise influence de cette Leïla... Tu te souviens ? Je lui ai donc dit que je brûlerai son tas d'inepties. Une semaine plus tard il y a eu ce chauffard. Nous l'avions perdue ! Je n'ai pas pu détruire le peu qu'il me restait d'elle, je ne pouvais pas faire ça à Dimi... Mais je ne voulais pas non plus alourdir ton chagrin. J'ai alors décidé d'ouvrir ce coffre.

Tu as été un bon père Henri, elle t'aimait, Dimitri t'adore, ne laisse pas ce détail se mettre entre vous ! Je t'aime, où que je sois, je t'attends, prends ton temps.

Alice


Dimitri aussi tenait une lettre entre ses doigts. Il l'avait trouvée sur le dessus du second exemplaire du Livre des femmes, elle était de sa mère. Voyant Henri absorbé par les mots de son épouse, il l'avait dépliée et lisait, face à lui.

Mon petit prince,

Ta grand-mère insiste pour que j'écrive noir sur blanc qui est ton géniteur. Elle promet de ne te remettre cette lettre que s'il m'arrivait malheur et lorsque tu serais assez grand pour comprendre. Ton père s'appelait Fabrice, c'était un comédien, je ne l'ai pas aimé, nous ne nous sommes connus qu'une soirée. J'avais tout calculé, je voulais un enfant, enfin, avec Leïla, nous voulions un bébé. Mais les choses ne sont pas aussi simples... La société n'accepte pas que deux femmes puissent s'aimer et fonder une famille. C'est pour te protéger que je t'ai confié provisoirement à ma mère, le temps de trouver un travail et un bel appartement avec une chambre pour toi. Pour le moment on ne peut pas te garder auprès de nous, mais sache que tu nous manques et que je pleure chaque jour.

Maman

PS : mémé aussi a un secret... je lui laisse le soin de te le révéler, elle-même.


Les deux hommes se regardèrent bizarrement.

Henri restait stoïque.

Ne sachant que faire, Dimitri lui tendit la lettre d'Angélique.

Dim observa un léger plissement de peau à l'angle de ses yeux qui creusa ses rides. Le vieux la saisit, lui tourna le dos et s'appuya du bord des fesses contre la table où trônait Le livre des femmes. Puis, sans se retourner, silencieusement, il lui tendit la missive d'Alice par-dessus son épaule.

Lorsque leurs regards plongèrent de nouveau l'un dans l'autre, ils se jaugèrent, se découvrant étrangers de corps mais, se reconnaissant de cœur. Henri s'avança, enlaça son petit-fils, puis le repoussa à bouts de bras et fit claquer ses grosses pognes sur ses épaules en rugissant :

« Ah les femmes ! Elles ne manquent pas d'imagination ! Tu verras qu'un jour elles gouverneront le monde !

— Ne me dis pas que tu as lu le manuscrit ? murmura Dimitri interloqué.

— Il ne fallait pas le laisser traîner, fiston ! Allez, rentrons, soupira-t-il.

— Qu'est-ce que tu en as pensé ?

— Que ma fille aurait pu être une bonne présidente », plaisanta-t-il pour la première fois depuis la mort d'Alice.


Un an plus tard, une longue file d'attente s'étirait devant la table du salon du livre où Dimitri dédicaçait"Le livre des femmes". Lorsqu'au prénom de Leïla il leva les yeux, il fut heureux de reconnaître l'étrangère.

« Ça vous a plu, demanda-t-il soudain anxieux.

— Oui, beaucoup, répondit-elle franchement. Je regrette juste qu'entre Dimitri et Charlotte tu ne nous ais pas proposé une belle histoire d'amour, style ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.

— Il m'a semblé que ça ne collerait pas trop avec les idées d'Angélique, s'amusa Dimitri.

— Tu as bien fait, moi je suis une incorrigible fleur bleue, mais elle, elle serait revenue hanter tes nuits si tu avais manqué d'imagination. Je sais que de là-haut, elle est très fière de toi, prononça-t-elle en souriant tendrement.

Dim s'empara de l'exemplaire qu'elle lui tendait et inscrivit :

Je vous espérais ! Il y a tant de questions que j'ai envie de vous poser, chère Zalia. J'aimerais vous inviter à dîner.

« Avec plaisir, chuchota-t-elle ravie. Il y a tant de choses que j'aimerais te raconter. »


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