Chapitre 5-1

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Lors de ses visites, Cybèle-Angélique constatait que ces résidences du bout du chemin lui donnaient envie de vieillir. Elle appuya sur le bouton de l'interphone et la porte vitrée se déverrouilla, la vieille femme devait la guetter, cela la fit sourire. Elle traversa le hall lumineux, s'engouffra dans l'ascenseur et monta au dernier étage. Tout sentait bon le propre. Lorsqu'elle arriva devant le petit appartement de Cybèle-Marianne, celle-ci l'attendait sur le seuil :

« Entrez ma chère. Comment allez-vous ?

— Très bien, merci, et vous-même ?

— Du mieux que l'on peut à mon âge. »

La jeune femme suivit l’aïeule jusque sur la terrasse ensoleillée. Chaque appartement était identique, mais du quatrième, grâce à la vue dégagée, elles apercevaient les montagnes à l'horizon. Cybèle-Marianne avait préparé le thé. Depuis plusieurs mois Cybèle-Angélique venait recueillir les secrets concernant "Le livre des femmes" que détenaient la première Cybèle Présidente, et ce fut avec de sincères regrets dans la voix qu'elle lui annonça qu'elle avait maintenant tout ce qu'il lui fallait :

« Nous arrivons au bout, chère Cybèle-Marianne. Je vais pouvoir commencer à rédiger.

— C'est une bonne chose. Je suis soulagée de vous avoir transmis toute l'Histoire. Il était important que l'on ne m'enterre pas avec. J'ai été bien inspirée le jour où tout naturellement j'ai contacté le petit-fils de Cybèle-Édith, qui dirige à présent les éditions Vilmont, pour lui proposer de raconter la vérité sur l'origine du mouvement des Cybèles.

— Mon mari et moi sommes fiers que vous ayez fait appel à nous.

— J'en suis enchantée ! Cybèle-Édith vous aurait appréciée, ça je vous l'assure !

— C'est très gentil. Pour terminer, et avant d'attaquer la mise en forme de notre récit, j'aimerais que vous me confiez comment vous avez réussi à rassembler toutes les pièces de cet incroyable puzzle. Pour tout vous dire, j'ai hâte de revenir vous voir pour vous soumettre mon premier jet, confia la jeune femme.

— Ce sera un plaisir ! Je suis persuadée que vous allez très bien vous en sortir, la rassura l'ancienne chef d'État.

— Votre confiance m'est précieuse. Alors, dites-moi, comment avez-vous découvert l'identité de l'autrice du livre des femmes ?

— Si je suis en mesure de vous raconter tout ça, c'est que j'ai pu visionner toutes les vidéos de Lili. Son neveu, après sa mort, a trouvé une lettre dans laquelle elle lui demandait de me remettre les cassettes VHS où on la voit faire les questions et les réponses avec cette fameuse voix. Je doute toujours, concernant son origine... Surnaturelle ou pathologique ? D'ailleurs, je me demande si ce n'est pas encore plus irrationnel de croire que "Le livre des femmes" est le fruit d'un cerveau malade. Que tous ces changements sont le résultat d'une folie devenue collective » , pouffa la vieille dame.

Tout en tenant sa soucoupe d'une main, dans un mouvement délicat, dépourvu de tout tremblement, Cybèle-Marianne amena sa tasse jusqu'à ses lèvres fatiguées. À quatre-vingts ans, sa grâce était encore impressionnante. Puis, elle reprit :

« Lili avait laissé les coordonnées de Zalia, Jean et Wa sur la dernière vidéo. J'ai pu recueillir, auprès d'eux, toutes les informations que je vous ai confiées. Lili s'est éteinte peu de temps après mon élection, comme l'avait prédit Jean, toujours persuadé que la voix était une manifestation spirituelle du Yin. Zalia, elle, m'a certifié que son amie jouissait d'une intelligence hors du commun. Si elle ne l'avait pas vu autant affaiblie physiquement, elle aurait parié que tout cela n'était que pure invention. Lili est partie dans son sommeil. Mort naturelle a inscrit le médecin sur son certificat de décès. Elle n'avait pas cinquante ans. »

À l'évocation de celle qui fût le point de départ du mouvement des Cybèles, les deux femmes se turent jusqu'à ce que Cybèle-Marianne brise le silence annonçant d'un ton sentencieux :

« Un jour une personne écrit un livre, une autre l'édite, et ceux qui lisent ce texte changent la face de l'humanité... Si l'on doit se souvenir d'une seule chose, je veux que ce soit que les romans sont des miroirs où le monde regarde à quoi il pourrait ressembler », conclut-elle d'un ton solennel accompagné d'un sourire malicieux.

— C'est très beau ce que vous dites ! Vous me simplifiez grandement la tâche avec d'aussi jolies phrases, plaisanta Cybèle-Angélique.

— Pour le reste, je vous laisse faire, mais celle-ci, j'y tiens ! J'aimerais qu'elle soit retranscrite ainsi, insista la première présidente de la République française.

— Je ne vais pas m'en priver ! » la rassura Cybèle-Angélique ravie, avant de l'interroger sur l'émergence du nouveau mouvement d'opposition, qui exprimait sa colère dans les rues, critiquant les Cybèles au pouvoir.

« J'ai eu maintes fois l'occasion de constater, au cours de ma longue existence, que les humains sont d'éternels insatisfaits. Ils sont friands d'agitations, de combats, et incapables de se satisfaire de ce qu'ils ont ! Ils aiment les conflits. La paix les ennuie profondément. Cette caractéristique humaine est à l'origine de tous les malheurs de l'humanité, les guerres, l'esclavage, les génocides, la destruction de la faune et de la flore... Cela a toujours existé. Le nombre de ces empêcheurs de vivre heureux reste minoritaire depuis que nous avons pris le pouvoir et ramené un peu de calme et d'égalité entre les êtres vivants. Mais il est dangereux de croire que ce que nous possédons aujourd'hui est acquis pour toujours. Ce serait une terrible erreur : rien n'est jamais acquis et la vigilance s'impose ! La paix tout comme l'amour s'entretiennent et les générations futures, d'hommes et de femmes, qui souhaitent poursuivre la métamorphose du monde n'ont pas intérêt à s'endormir sur leurs lauriers. C'est bien pour ça que je pense que votre futur livre est nécessaire. Une petite piqûre de rappel en quelque sorte.

— C'est désespérant, lâcha Cybèle-Angélique.

— Mais non mon petit, c'est ainsi, mieux vaut être lucide ! Pour réussir à résister aux attaques, il faut bien connaître son ennemi. L'Homme est un chef de meute qui préfère mourir plutôt que laisser sa place. Nous sommes les prédateurs du bout de la chaîne, cannibales d'eux-mêmes. Heureusement, nous possédons aussi la clé qui peut nous permettre de poursuivre l'évolution de l'humanité : seule une conscience bien éduquée permettra aux louveteaux de devenir les gardiens bienveillants du vivant, au lieu d'en être les destructeurs. Et c'est aux politiques de montrer l'exemple et la bonne direction !

— Nous avons eu beaucoup de chance que le sort vous désigne, Cybèle-Marianne.

— Il n'y a pas de hasard. C'est la Vie qui décide. Nous, nous n'avons qu'à nous laisser porter en effectuant les tâches qui nous incombent humblement et de notre mieux.

— Et bien, c'est ce que je vais m'employer à faire avec votre témoignage. »

Dans la voiture, rejoignant les éditions Vilmont, Cybèle-Angélique repensa à cette ultime conversation. Le plan de « l'histoire du livre des femmes » se dessina dans sa tête. Elle savait comment elle allait articuler les pièces du puzzle.

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