Chapitre 23

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J'ai l'impression d'être happé par un torrent démentiel, le bleu et le mauve se mêlent d'une telle façon que ça me donne presque mal à la tête.

Tout tourne à une vitesse impressionnante et il me semble que la traversée dure à la fois quelques secondes et des heures entières. Durant tout ce temps, je ne lâche pas la main de Gabriel, je la serre si fort que je suis étonné qu'elle ne se soit pas encore brisée.

Soudain tout devient blanc, un blanc éblouissant qui me donne terriblement mal aux yeux et je ferme fort les paupières.

Il me faut un moment pour oser les rouvrir et je regarde autour de moi, un peu perdu. Je m'apprête même à demander si nous sommes arrivés, mais il me suffit de regarder autour de moi pour connaître la réponse à ma question.

Nous voici dans une forêt, les feuilles et les plantes sont d'un vert si intense que je n'en avais jamais vu auparavant. Ici l'odeur de terre est très forte Il y a également beaucoup de plantes que je n'ai jamais vues dans notre monde, avec des couleurs toutes aussi intenses que le vert, certaines sont même fluorescentes ! Je lève les yeux vers le ciel, celui-ci n'est pas du même bleu que chez nous non plus. Il est d'une couleur plus pure, plus vraie, c'est difficile à expliquer. Mais ce qui me perturbe davantage est qu'il y a deux soleils qui flottent dans le ciel, l'un est d'un blanc immaculé et l'autre d'un rouge profond :

- Vous avez deux soleils ? demandé-je en écarquillant les yeux.

- Oui, le blanc c'est celui de Freyr, le Dieu de la Vie et de la Mort, c'est lui qui régule le cycle de vie sur notre monde et le rouge c'est Anima, le Dieu des Animaux celui qui nous donne notre force et notre puissance. La nuit ils deviennent nos lunes.

- Je vois, pourquoi sommes-nous en pleine forêt ?

Je regarde autour de moi, des arbres et des plantes à perte de vue, sauf l'immense arche en pierre, semblable à celle du temple, qui se trouve dans notre dos :

- C'est pour la sécurité, si jamais un jour des gens mauvais passent le portail, ils se retrouveraient perdus ici sans savoir où aller. De plus, même s'ils arrivent à trouver notre cité, ils seraient rapidement arrêtés et exécutés par les Sentinelles, qui s'apparentent à notre police. Ils vont nous arrêter quand ils nous verront, mais ils ne vous feront pas de mal car je suis avec vous. À mon avis ils vont nous conduire directement auprès du roi. Mais je suis sûr qu'ils vont vous reconnaître sitôt qu'ils vous apercevront.

Je ne sais pas si je dois être rassuré ou effrayé par ses paroles. Savoir qu'autant de gens m'identifieront immédiatement alors que moi je ne connais aucun d'entre eux est quelque chose d'assez flippant à vivre. Mais en même temps ils ne me feront pas de mal puisque je suis le fils de leur roi et ça c'est plutôt positif, enfin je crois :

- Venez, dit Learco en nous faisant signe de le suivre.

Il se met à marcher et nous le suivons. Il a l'air de savoir exactement où nous allons car à aucun moment il n'a d'hésitation.

Nous avançons un long moment sans que le paysage ne change trop, de la verdure, des arbres, des plantes, et ce ciel cristallin au-dessus de nos têtes.

Puis les arbres s'écartent pour laisser place à une vaste plaine en contrebas, remplie d'herbes basses et très claires qui dansent dans les vagues de vent.

Au milieu de cet océan de vert se trouve une immense cité entourée d'un énorme mur de pierres blanc qui reflète la lumière.

D'ici je ne vois pas grand-chose de la ville, mais je ne peux pas manquer, l'imposant palais aux tours qui s'élèvent jusqu'au ciel, fait du même matériau que celui qui compose le mur autour de la ville.

Je n'ai pas le temps de pouvoir en observer plus car des grognements se font entendre et avant que j'aie pu réagir, nous sommes entourés par une meute de Jaguar ainsi que de deux ours bruns :

- C'est quoi ce...

Plusieurs hommes sortent des fourrés, ils sont tous pieds nus et ne portent que des toges blanches, accrochées à une épaule par un cercle en or. Ils sont tous armés d'une lance. Ça doit sans doute être les Sentinelles dont nous a parlé Learco.

L'un d'eux s'avance vers nous, il est grand, musclé, avec les cheveux hirsutes et la peau basanée :

- Qui êtes-vous ? Et que faites-vous ici ? gronde-t-il d'une voix grave et profonde.

Learco se dresse entre eux et nous, les mains levées bien en évidence en signe de paix :

- Rohan, c'est moi Learco, et eux sont mes invités. Je te présente Killian, le fils de notre roi et son ami Gabriel.

Rohan écarquille les yeux en l'entendant, tout comme les autres hommes, ils ont l'air totalement sous le choc :

- Learco ? C'est vraiment toi ? Je ne t'ai pas reconnu dans ces habits modernes. Tu dis que l'homme qui est avec toi est le fils du roi Damen ? Mais c'est impossible ! Et puis même si c'était vrai, tu as amené des étrangers avec toi ! Tu sais que c'est interdit !

Il avait craché le mot « étranger » en regardant Gabriel comme s'il allait lui filer la peste :

- Je sais, mais c'est l'amoureux de notre prince et puis il a promis qu'il ne tenterait pas de nous voler nos secrets.

- Ce n'est pas mon problème, les étrangers doivent être conduits devant le roi et c'est lui qui décidera du sort de celui-ci. Allez, on y va ! ordonne-t-il autoritairement.

Learco ne dit rien et je ne peux pas m'empêcher de me tendre un peu, pourquoi ? Parce que je vais rencontrer mon père et surtout il va peut-être exécuter Gabriel ! S'il décide ça, je ne le laisserai pas faire. Gabriel est la meilleure chose qui me soit arrivée depuis la mort de ma mère et je refuse de le perdre !

Nous nous mettons donc en route vers la cité en contrebas, entourés des Sentinelles comme si nous étions de vulgaires bandits. Ça ne me plaît pas, parce que si un conflit éclate, nous n'aurions aucune chance car ici, tout le monde peut utiliser le pouvoir de Destruction Sanguine et Gabriel se retrouverait impuissant à se défendre.

Nous arrivons enfin aux portes de la ville, elles sont faites dans un métal blanc brillant sans aucune gravure dessus. Un déclic se fait entendre et les immenses portes coulissent lentement pour nous dévoiler l'intérieur de la cité et lorsque nous y pénétrons. Je reste sans voix. C'est magnifique !

Tout est d'un blanc éthéré, avec des petites touches de couleurs claires ici et là. Les habitations, les trottoirs et les diverses constructions sont faites de cette même pierre qui compose le palais.

Les bords des allées sont remplis de fleurs et de verdures, ce qui donne une allure paradisiaque à cet endroit et comme pour les portes, il y a très peu de décoration. Tout est dans une style épuré et simple mais très beau.

À intervalles réguliers des cristaux bleus de taille moyenne flottent dans les airs et je me tourne vers Learco pour l'interroger sur ce mystérieux phénomène :

- C'est quoi ces cristaux ?

- C'est notre source de lumière. La nuit ils s'allument et éclairent les rues, nous en avons aussi dans nos maisons, un autre cadeau de nos Dieux.

Je ne dis rien et continue de regarder autour de moi, il y a de nombreux Thérianthropes sous forme animale et les autres portent tous des toges, la seule différence est que celles des femmes sont tenues aux deux épaules au lieu d'une comme pour les hommes.

Je note également beaucoup d'enfants qui jouent dans les rues, je vois même des commerces avec des gens qui vendent ou achètent.

Tout le monde se retourne sur notre passage, ils ne doivent pas avoir vu d'étrangers depuis des lustres et les parents serrent leur enfant contre eux comme si nous allions les attaquer. Certains sous forme animale nous grognent même dessus. Ils sont méfiants, je peux les comprendre, ils sont partis de notre monde pour éviter d'être chassés pour leur pouvoir et maintenant il y a des inconnus sur leur territoire.

Nous traversons une grande place avec une fontaine et nous nous retrouvons devant l'immense palais.

Les deux gardes à la porte nous laissent passer sans rien dire et nous entrons. L'intérieur est dans un style aussi épuré que le reste de la ville avec des cristaux bleus accrochés un peu partout.

Les serviteurs nous regardent avec la même méfiance que les gens dans la rue et ils chuchotent sur notre passage. Je me doutais bien que Gabriel allait attirer autant l'attention, mais je n'avais pas prévu le fait que moi aussi je serai la cible de cette suspicion. J'entends même l'un d'eux dire doucement à son voisin « regarde c'est le prince ». Comment peut-il savoir à quoi je ressemble ou qui je suis ? Je ne l'ai pas crié sur tous les toits et je n'ai pas souvenir d'avoir rencontré beaucoup d'entre eux quand mon père était encore là. Ça doit peut-être venir de mon odeur, cependant ça serait presque impossible, depuis quinze ans celle-ci a dû changer. Peut-être que je ressemble à mon père ? La dernière fois que je l'ai vu j'avais cinq ans et il est probable qu'en grandissant je me suis mis à avoir beaucoup de points communs physiques avec lui.

Après l'immense hall nous débouchons dans une grande salle dont le plafond est soutenu par de hautes colonnes sur lesquelles sont gravées des frises racontant l'histoire des Thérianthropes. Le sol est recouvert d'une moquette bleu ciel et tout au fond de la pièce se trouve un trône en or blanc et de forme droite.

On nous amène devant celui-ci, je n'ose pas lever les yeux, j'ai tellement peur de le découvrir. La première chose qui me vient de lui est son odeur. Douce, rassurante mais également virile et forte.

Rohan fait une révérence, tout comme Learco, avant de prendre la parole :

- Votre altesse, nous avons retrouvé Learco, mais il a amené avec lui deux étrangers, un déchu et un autre qui semble être votre fils.

- Mon fils ? C'est impossible, jamais il ne serait venu ici.

Je frémis sans m'en rendre compte, sa douce voix m'a tellement manqué, comme son odeur, elle a le don de me rassurer et je lève doucement les yeux. Il n'a pas changé, il est toujours large d'épaules avec une forte carrure, ses yeux sont aussi noirs que la nuit, tout comme ses cheveux qui sont un peu plus longs que dans mon souvenir, lui arrivant au bas de la nuque. Il a l'apparence d'un homme qui vient à peine d'entrer dans la trentaine, nous autres Thérianthropes avons une très très longue durée de vie.

Ses yeux s'écarquillent quand il me voit et je sais qu'il vient de me reconnaître :

- Killian, c'est bien toi ? demande-t-il dans un murmure.

- Oui, c'est moi.

Je vois différents sentiments passer sur son visage, les mêmes que ceux qui se bousculent en moi en ce moment même. La peur, la rage, l'amour, la colère, la douleur, la tristesse, la joie, le soulagement. Je ne pensais pas qu'il était possible de ressentir autant de choses en même temps, mais c'est ce qu'il m'arrive. Cependant, sans que j'en comprenne la raison, je vois son visage se fermer :

- Que fais-tu ici ? Tu es venu me demander pardon d'avoir choisi de rester avec ta mère ? Je ne veux pas d'un fils qui n'a pas voulu me suivre.

Ses mots me frappent de plein fouet et réveillent une douleur sourde dans ma poitrine, et les larmes me montent aux yeux. Je savais que je n'aurais pas dû venir, j'aurais dû faire comme s'il était mort et ne pas me bercer de faux espoirs !

- Moi je n'ai pas voulu de toi ? C'est TOI qui nous as abandonnés maman et moi ! Et c'est de TA faute si elle est morte ! protesté-je brutalement.

- Ma faute ? Si elle était venue avec moi, elle serait encore en vie ! Vous n'avez pas voulu me suivre, c'est vous qui m'avez abandonné !

Je serre les poings, comment peut-il dire une telle chose ? Comment ose-t-il le faire !

- Maman ne voulait pas vivre comme une lâche, elle ne voulait pas se cacher comme une faible ! Elle voulait être forte et faire ce qui lui plaisait ! Et comment oses-tu me mettre ça sur le dos ! Je n'avais que cinq ans ! Tu ne peux pas demander à un enfant de cet âge de choisir entre ses parents. Et puis d'après ce que je sais, c'est toi qui es parti une nuit sans rien dire, sans même t'expliquer !

Je le vois lui aussi serrer les poings si forts que ses jointures blanchirent et je ne peux pas m'empêcher de l'imiter avant de lâcher :

- J'avais tort de venir ici, de croire que je pourrais peut-être retrouver mon père, lui pardonner de nous avoir laissés maman et moi. Finalement je me rends compte que c'était une erreur car tu ne mérites absolument pas mon pardon ! Tu ne mérites pas que je me donne du mal pour toi ! Tu es ce que tu as toujours été, un lâche, un égoïste qui a laissé sa propre famille juste parce qu'il n'a pas eu le courage de se battre ! Tu sais quoi ? J'aurais préféré que tu sois mort !

Je pars en courant sans même prendre le temps de savoir ce qu'il va me répondre, ni même en sachant l'endroit où je me dirige. J'entends vaguement Gabriel qui m'appelle mais je ne me retourne pas, je n'ai pas envie de parler, ni à lui ni à personne et je cours au hasard dans les couloirs.

Je me retrouve dans une bibliothèque dont les étagères recouvrent chaque mur de la pièce et je vais me blottir derrière un fauteuil avant de fondre en larmes. Qu'est-ce qu'il m'a pris de croire que je pourrais le retrouver ? Que j'avais une chance de revenir à ma vie d'avant, celle avant qu'il ne nous laisse. Je ne sais pas. Je sais que c'est impossible, mais comme un idiot j'ai cru que je pourrais y arriver.

Je reste un long moment à pleurer dans mon coin quand j'entends soudain la porte s'ouvrir. Je me fige instantanément et j'arrête même de respirer.

Les deux personnes ne semblent pas avoir remarqué que je suis là, tant mieux, je n'ai pas envie qu'on me réconforte puis l'un d'eux se met à parler :

- Est-ce que tu es toujours dans le coup ? demande une voix rauque.

- Oui, une fois que nous lui aurons pris la couronne et que nous aurons volé le pouvoir des Dieux, nous pourrons enfin soumettre les autres espèces. Mais nous devons d'abord reconquérir Ylvasydreïl, sans lui jamais nous ne pourrons récupérer et manipuler le pouvoir des Dieux.

Une minute « lui aurons pris la couronne » ? Ils parlent bien de celle de mon père ? Un frisson glacé me traverse de la tête aux pieds, ils projettent de tuer mon père !

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