#4 Le visage d'Aglaé

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Vous reprenez vie, allongé dans des draps immaculés, une perfusion plantée dans votre bras. Un mal de tête pulse derrière votre front. Les visages ont cessé de se mélanger dans votre esprit mais vous les sentez toujours présents, prêts à se manifester. Deux hommes se tiennent debout, au bout de votre lit. L’un est habillé d’une blouse blanche et vous examine d’un air préoccupé. L’autre, vêtu d’un costume sombre, vous envoie un sourire détendu qui se veut rassurant. Son visage vous est familier. Une vieille connaissance ? C’est lui qui parle en premier :

– Qu’est-ce qui vous a pris de vous rapprocher de votre cible ? Ce n’est pas pour rien qu’il existe un protocole. Avec vos conneries, vous avez failli y laisser votre peau. Et en plus, ajoute-t-il après quelques secondes de silence, nous l’avons perdue. Tout est à recommencer.

La cible, oui… Vous réalisez que tous ces visages sont des cibles. Étaient des cibles. Des cibles passées, des personnes que l’on vous a chargées de retrouver, des images résiduelles. Des femmes enlevées, fugueuses, criminelles, dérangeantes pour la société, ou qui ont simplement déplu à la mauvaise personne. Vous êtes légèrement euphorique, sans doute grâce au liquide contenu dans la perfusion.

La mémoire vous revient peu à peu. Cet homme est votre supérieur hiérarchique. C’est lui qui choisit vos missions, votre avenir dépend de son bon vouloir.

– Vous avez merdé sur ce coup là, vous reproche-t-il. Je vais confier la traque à un de vos collègues.

Il attend une réponse, l’air faussement patient. Vous n’en avez qu’une à lui fournir, vous n’avez pas le choix, c’est une évidente question de survie. Vous marmonnez :

– Excusez-moi, monsieur. Comme vous voudrez.

Il se détend, satisfait de constater votre coopération.

– Heureusement pour vous, notre équipe était sur place, prête à intervenir. Sinon, ce n’est pas dans un lit, mais dans un cercueil que vous seriez étendu.

Vous tâtez votre crâne d’une main prudente. Il est entouré d’un épais bandage. Vous ne comprenez pas ce qu’il s’est passé, mais le moment semble mal choisi pour poser des questions.

Le médecin consulte ses notes, se rapproche pour examiner votre pupille.

– Vous avez besoin de repos, déclare-t-il d’une voix professionnelle. De longues vacances seront indispensables avant de pouvoir reprendre les traques.

– Pas question de vacances, intervient l’homme en costume ! Nous avons une urgence et tous nos traqueurs sont déjà en mission. Vous sentez-vous prêt à reprendre le travail ?

Là encore, vous savez qu’il n’existe qu’une seule réponse possible. Sans hésiter vous vous entendez déclarer :

– Bien sûr monsieur, bon pour le service.

– Il est en phase de pré-association contaminante, monsieur, observe le médecin. Nous risquons de le perdre.

– L’ordre vient d’en haut, préparez-le pour l’appariement. Immédiatement !

Le médecin vous observe avec compassion. Mais lui non plus n’a pas le choix. Il débranche votre perfusion, enlève le pansement qui entoure votre crâne puis vous aide à vous lever. Curieusement, vous êtes suffisamment remis pour marcher seul sans tituber.

Au bout d’un couloir, vous entrez dans une salle familière où bourdonnent de nombreux appareils électroniques. Au centre, est disposé un fauteuil confortable. C’est là que vous vous installez.

Pendant que le médecin vous connecte à différents instruments, votre chef vous détaille votre prochaine mission.

– Il s’agit d’une mission de première importance, si vous la menez à bien, votre promotion est assurée.

Il guette sur votre visage la reconnaissance que vous n’allez pas manquer de manifester. Satisfait de votre réaction, il continue :

– Aglaé a disparu, notre bien aimé Président compte sur vous pour la retrouver.

Le médecin à un hoquet de surprise. Vous êtes plus long à réaliser la portée de ce qui vient d’être dit. Aglaé, ce nom vous rappelle quelque chose. Et puis vous comprenez, saisi d’une crainte incontrôlable.

– Monsieur, proteste le médecin, nous n’avons encore jamais tenté ce type d’appariement. Cet agent est instable, nous lui faisons courir un grand danger.

Vous avez vécu plusieurs dizaines d’appariements. La photo d’un visage, un bidouillage de vos neurones, et vous voilà fou amoureux d’une parfaite inconnue. L’amour, la puissance ultime ! L’amour, cette force à la fois destructrice et exaltante, donne aux traqueurs la force et les capacités suffisantes pour retrouver une personne en quelques jours. En quelques heures pour les plus chanceux. Parce que durant tout le temps de la traque, vous ne pensez à rien d’autre qu’à votre amour, à ce visage adoré qui s’impose à vous. A rien, même pas à manger ou dormir. Votre obsession vous guide immanquablement sur la piste de votre proie. Il existe peu de traqueurs. Enfin, peu de traqueurs vivants.

Votre supérieur réduit d’un geste le médecin au silence :

– C’est une affaire d’état. Une priorité irrévocable.

Il place lui-même le masque sur vos yeux. Le bourdonnement des machines s’intensifie. Vous ressentez des fourmillements le long de vos nerfs. Tous les visages du passé s’éveillent dans un hurlement déchirant qui vous vrille le cerveau lorsqu’apparait votre prochaine cible : Aglaé, la célèbre chienne du Président.

Une vague noire vous submerge, emportant avec elle les visages de toutes ces femmes que vous avez aimées.

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