#2 Je l’aime depuis toujours

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Depuis combien de temps êtes vous sur ce trottoir ? Un jour, une semaine ? À quand remonte votre dernier souvenir d'une vie normale. Vous avez beau chercher, fouiller votre mémoire, vous n'y trouvez rien d'autre que cette éternelle et infructueuse attente. Et toujours cette fenêtre close. Pourtant, vous savez qu'elle est ici, derrière ces murs, vous le sentez intimement.

Dans un demi sommeil, une image émerge du dépotoir inutile qu'est devenue votre mémoire. Vous êtes assis dans un fauteuil, devant un homme vêtu d'une blouse blanche. Les images se pressent maintenant derrière vos yeux fatigués, vos souvenirs se précipitent vers votre conscience. Vous êtes désormais bien réveillé.

...

Vous distinguez vos propres paroles, prononcées d’une voix honteuse dans un passé incertain :

– Docteur, je suis amoureux d’une femme. Désolé, ajoutez-vous d’un ton d’excuse.

Le médecin réprime péniblement une moue dégoûtée. Il doit réagir en professionnel, faire preuve d’empathie. Il en a vu, des pervers, assis sur cette chaise, face à son bureau. Il sent que cette fois, il tient un cas d’école :

– Décrivez-moi vos symptômes, crache-t-il en sortant un dossier vierge d’un tiroir.

Vous hésitez. Déjà, vous regrettez cette visite. Vous auriez dû rester discret. Ce type va certainement informer la police des mœurs de cet entretien. Mais curieusement, ça vous indiffère :

– Et bien… Je ne pense qu’à elle, son visage, ses cheveux, ses yeux, ses lèvres. Je suis incapable de me souvenir d’autre chose. J’ai un vide dans la poitrine impossible à combler. Je dois absolument la trouver sinon… Docteur, je vais mourir sinon…

Vous avez des larmes dans les yeux, c’est ainsi à chaque fois que vous évoquez son visage. Vous avez l’impression de perdre votre temps ici, alors que vous auriez dû être à sa recherche, où qu’elle soit.

– Depuis quand êtes-vous dans cet état ? vous interrompt le médecin.

– Je ne sais pas. J’ai totalement perdu la notion du temps. J’ai l’impression que je l’aime depuis toujours.

– Epargnez-moi votre lyrisme, s’il vous plaît. Votre cas est critique. Les traitements que je peux vous proposer ne sont pas prévus pour de tels dérangements. Je dois consulter mes collègues.

Le médecin se lève. Vous vous apprêtez à quitter votre fauteuil pour le suivre, mais d’un geste impératif, il vous fait signe de ne pas bouger.

– Attendez-moi ici, vous intime-t-il d’une voix emplie d’une autorité toute médicale. Notre équipe pluridisciplinaire est à même d’apporter une réponse appropriée à vos troubles mentaux. Je reviens dans un instant.

Vous vous renfoncez dans votre siège avec un soupir frustré. Que de temps perdu ! Vous sentez confusément que quelque chose ne tourne pas rond. Mais que connaissez-vous à l’amour ? Vous vous levez en direction de la fenêtre pour observer la rue. Un soleil maussade éclaire la ville avec parcimonie. Une camionnette est garée en face du cabinet médical. Dans un mélange confus, deux scènes se superposent. C’est le même véhicule que celui qui attend devant la devanture de la papeterie, pendant cette longue nuit pluvieuse. Vous le reconnaissez sans équivoque. Puis vos pensées reviennent vers le visage aimé. Le temps s’écoule, terriblement long. Vous ne tenez plus en place. Vous décidez de sortir dans les couloirs en espérant y trouver une machine à café. La porte est verrouillée. Vous êtes tenté de l’assaillir à coups d’épaule ou de pied, mais vous savez que c’est inutile. Elle est trop solide et vos coups attireraient immanquablement l’attention. Vous retournez vers le bureau du médecin. Vous ouvrez les tiroirs un à un, videz leur contenu sur le sol et finissez par trouver un trousseau de clés, caché au fond d’un porte-documents. Quelques secondes plus tard, vous êtes dans la salle d’attente. Le couloir est désert, vous vous enfuyez comme un assassin. Vous avez tellement hâte de reprendre vos recherches.

...

Vous êtes de retour sous la pluie. Depuis quand n’avez-vous pas dormi ? Les images de ce cabinet médical s’estompent déjà. Etaient-elles réelles ? La camionnette garée un peu plus loin ressemble à celle que vous avez vue dans votre rêve éveillé. Mais était-ce bien un rêve ? Vous détachez à regret votre regard de la fenêtre close pour vous rapprocher du fourgon.

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