Ils avaient passé le repas avec les parents de Nathan qui n’avaient à aucun moment posé de question à Mya sur qui elle était, d’où elle venait. Aucune gêne particulière ne s’était manifestée quant à réceptionner la nouvelle camarade de classe de Nathan alors que ce dernier n’avait jamais ramené de copine à la maison, et encore moins au dernier moment.

Le repas fut identique à ce qui était servi habituellement, les couverts étaient les mêmes, la façon de se comporter à table ne changeait en rien.

Pire encore, une petite télévision avait été allumée sur la chaîne d’informations préférée de ses parents comme d’habitude, ce qui pourrait paraître déplacé lors de la réception d’un invité.

La seule différence apparente à ce qui se faisait habituellement était ce couvert supplémentaire. Les parents de Nathan ne proposèrent pas de boisson particulière, ne lui demandèrent pas ses goûts alimentaires ni ce qu’elle aimait. Cela surprit Nathan qui avait alors l’impression de manger soit avec une personne qui n’était pas une invitée mais qui était présente dans sa vie quotidienne, soit tout simplement en l’absence de cette dernière.

Lorsque Nathan et Mya se levèrent de table, les parents ne posèrent pas non plus la question de savoir où elle allait dormir ni si elle avait besoin de quoique ce soit. Ils ne furent pas non plus surpris par le fait qu’elle n’ait emporté aucune affaire. Pas de pyjama ou de chemise de nuit, pas de brosse à dents, pas de peigne, ni de déodorant : rien.

Nathan lui fit un rapide tour de la maison. Ainsi Mya observa le salon avec sa longue table de bois, ses fauteuils modernes, ses quelques cadres qui voulaient remplir les espaces inoccupés, son escalier de chêne, son canapé en tissu qui portait en direction d’une table basse sur laquelle se trouvait une grande télévision qui semblait être une des principales attraction de cette pièce. Nathan se contenta de montrer du doigt le couloir ouvert sur le salon pour indiquer que la pièce du fond débouchait directement sur les toilettes et que la pièce de droite n’était autre que la chambre de ses parents. Cette pièce ne fut pas visitée et il s’attarda davantage à ouvrir brièvement la dernière pièce du rez-de-chaussé qui se trouvait à gauche du couloir. Il s’agissait d’une salle de bains composée d’un meuble portant sur lui une vasque, ainsi que d’une douche à l’italienne. Nathan indiqua à Mya que cette salle de bain était principalement utilisée par ses parents et que lui se lavait dans l’autre salle de bain à l’étage, située à côté de sa chambre. Son invitée ne dit rien, le regarda fixement en attendant la suite de la visite. Cela ne semblait pas l'ennuyer particulièrement car elle fut observatrice, mais ne fit pas de remarque particulière et ne dit rien durant toute la visite du rez-de-chaussée.

Ils montèrent à l’étage en empruntant l’escalier de chêne et arrivèrent directement dans la mezzanine. Nathan indiqua en montrant du doigt une pièce fermée qu’il s’agissait de la chambre de son grand frère qui était étudiant à l’université. Ce dernier revenait certains week-end ou alors pendant certains jours de vacances. Il ne lui fit pas visiter la pièce en indiquant que son frère ne voulait pas qu’on y entre en son absence. Une autre petite pièce désignait les toilettes de l’étage, une autre la salle de bain et la dernière la chambre de Nathan. Il ouvrit la salle de bain en désignant une baignoire recouverte en partie par un rideau de douche ainsi qu’un lavabo et un meuble dans lequel reposaient nécessaire de toilettes, gants, serviettes et produits de nettoyage.

Nathan fit remarquer alors à Mya qu’elle pouvait se servir en serviette, gant et gel douche comme elle le souhaitait. Elle continua de le fixer du regard mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il commençait à se demander si elle l’entendait ou parlait sa langue. Depuis quelques heures il avait pourtant pris en assurance ou alors il s’était familiariser un peu avec elle et articulait beaucoup mieux. Il ne fit aucune remarque à ce sujet mais, après avoir hésité un petit instant, lui demanda d’attendre derrière la porte de sa chambre afin de pouvoir ranger un minimum ses affaires. Elle refusa et prononça ces mots pour la première fois depuis longtemps : “Je te l’ai déjà dit : on reste ensemble”.

Nathan commençait à se demander jusqu’où elle comptait rester avec lui. Après tout, il était hors de question à ce qu’elle l’accompagne pour aller aux toilettes ou encore se laver. Il ne comprenait pas très bien pourquoi elle insistait, surtout qu’il n’avait encore reçu aucune explication. Il commençait à se croire dans un mauvais film où quelqu’un est subitement en danger : il refuse à ce que son quotidien ne sorte de la réalité, même si ce dernier n’est pas toujours des plus faciles. Peut-être vit-il un rêve qui commence à s’éterniser ? D’accord il a cette chance d’être actuellement à ses côtés, mais elle commence à l’effrayer de par son attitude, de par l’étrange couleur de son regard mais aussi de par ce qu’elle lui a dit mais pas expliqué.

Aussi, après un soupir mêlant défaite et encouragement, il ouvrit la porte sur son sanctuaire. Ce dernier est peuplé de vêtements qu’il s’empresse de prendre rapidement pour les fourrer dans le bas d’une commode. Quelques livres et magazines de mathématiques traînent par terre à côté du lit : là encore il se contente de faire une pile de chaque et de les poser sur son bureau. Enfin, il ouvre en grand la fenêtre pour faire sortir cette odeur de renfermé de cette chambre qui n’était à l’origine pas destinée à recevoir d’autres être humains que lui.

La visite terminée, il fit un rapide tour dans sa chambre pour ranger les quelques affaires en désordre qui pouvait rester puis demanda à son invité :

• Maintenant si tu veux aller te laver ou autre, je vais faire mes devoirs et après on inversera si ça te va ?
• Nathan, je sais que ce n’est pas facile à comprendre mais comme je te l’ai dit, on doit rester ensemble. Je ne peux pas encore tout t’expliquer maintenant, tu dois me faire confiance.
• Euh, en fait j’avais prévu de me laver tout seul si tu vois ce que je veux dire
• Je ne regarderai pas, je resterai discrète dans un coin de la pièce

Nathan savait très bien que cela ne servait à rien d’insister.

****

Ils firent leurs devoirs, cela avait duré un peu plus d’une heure. Durant ce temps les deux adolescents étaient silencieux, concentrés. Nathan oublia durant ce temps les différentes questions qui l’avaient obsédé depuis cette fameuse rencontre et oublia même certains instants la présence de son invitée.

Une fois son travail terminé, il posa son stylo et se tourna vers Mya comme pour vérifier si elle ne s’était pas volatilisée. Elle était toujours là, assise sur le rebord du lit à le fixer du même regard qu’elle lui avait porté une partie de la journée.

Il prit alors un t-shirt et un boxer propres dans son armoire et se dirigea vers la salle de bain. Bien évidemment, elle le suivait à la trace. Mais pourquoi cette obsession de ne pas pouvoir le laisser ne serait-ce que quelques instants seul ? Après tout ils sont dans la même maison, que pourrait-il bien lui arriver ?

Une fois dans la salle de bain, il lui jeta un regard l’invitant à se retourner, ce qu’elle fit, puis retira ses vêtements. Il prit soin de fermer le rideau de douche afin de préserver un minimum d’intimité dans le cas où elle se retournerait pour une quelconque raison. Mais elle resta silencieuse, immobile, fixait le mur qui lui fit face durant tout le temps où Nathan se lava. Il sortit, mit son boxer, puis son t-shirt et lui indiqua qu’il avait fini. Ils échangèrent alors les rôles pour respecter les conditions de proximité qui avait été fixées par Mya, et le procédé fut identique. Elle lui indiqua qu’elle avait terminé et il se retourna pour la découvrir enveloppée d’une serviette en guise de vêtements qu’elle n’avait pas apportés.

• Si tu veux je peux demander à ma mère s’il lui reste des vêtements à te passer, mais je suis pas certain qu’il y en ai à ta taille…
• Ce ne sera pas nécessaire pour demain. Pour cette nuit je resterai comme ça si ça ne te dérange pas.
• Tu dormiras dans mon lit si tu veux, et je dormirai par terre. J’ai un matelas gonflable.

Elle se contenta d’hocher la tête pour répondre par l’affirmative. Il alla fouiller dans une armoire pour ressortir un matelas gonflable qu’il espérait encore utilisable sans avoir à se retrouver au sol dans le courant de la nuit. En se retournant pour aller ramener le matelas, il eut juste le temps de la voir de dos, laisser tomber la serviette, puis se glisser dans son lit. Il n’y prêta pas attention puis concentra son attention sur le matelas qu’il devait gonfler.

Après plusieurs minutes à avoir joué d’un pied puis de l’autre sur le gonfleur, son matelas était opérationnel. Il s’installa dessus, mis son réveil, puis après un petit moment de silence il lui demanda combien de temps ce petit jeu allait durer.

• Ce n’est pas un jeu, tu sais, lui fit-elle remarquer.
• Et pour demain ce sera la même chose ?
• Je ne peux rien te dire. Ça ne doit pas être évident pour toi, mais contente toi d’accepter ma présence à tes côtés.
• Je peux te poser une question qui va peut-être te paraître bizarre ?
• Oui.
• Tes yeux sont de quelle couleur ?
• Est-ce que c’est important ?
• Je suppose que non.

Nathan savait qu’il n’aurait pas davantage de réponse à toutes les questions qu’il se posait ce soir-là. Il se contenta de lui souhaiter une bonne nuit et d’éteindre la lumière.