Chapitre 1

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Être le premier de la classe n'était pas ce qu'il y avait de plus facile pour un adolescent de 14 ans. C'est ce dont rêve ou du moins souhaite les parents mais ce n'est pas forcément ce qui est souhaitable lorsque l'on creuse un peu les problèmes que cela engendre.

Etre le premier c'est lorsque l'on attend toujours plus de l'autre. La barre n'est jamais assez haute.

Être le premier c'est aussi souvent se retrouver seul, être la tête de turc chahutée par la bande d'ados rebels qui ne pensent qu'à se faire remarquer.

Et ça Nathan y avait malheureusement droit. Dès que les Rebels voulaient se faire voir ou simplement passer le temps, ils s'en prenaient à lui. Pourquoi ? Eux même ne le savaient probablement pas, le principal c'était d'avoir une cible récurrente, quelqu'un de facile à manipuler pour se faire remarquer.

Aujourd'hui Nathan est assis comme d'habitude à son pupitre, et attend avec impatience que la maîtresse, Madame Fulong, rende les copies du dernier contrôle de Mathématiques.

Nathan a beau être le premier de la classe, il a sa matière favorite et ce sont les mathématiques. Il en fait même chez lui pour s'amuser. Non pas en refaisant des exercices déjà faits ou à faire à l'école : non, il est abonné à un magazine de mathématiques quand d'autres enfants à son âge sont généralement pris de passion par les jeux vidéos ou les sorties entre amis. Il aime ça c'est tout, et aujourd'hui il a hâte de voir quel sera son "score" au dernier contrôle comme lorsque l'on essaie de faire le meilleur score dans un jeu vidéo.

Madame Fulong arrive. Lorsque le claquement de ses talons aiguilles fait ce “tac a tac - tac a tac” régulier et ferme dans le couloir, il est facile de deviner que c’est elle.

La porte s’ouvre et l’on voit Madame Fulong accompagnée d’une autre personne qui doit avoir à peu près le même âge que les personnes de la classe.

La maîtresse se tient droite, elle est rigide et le regard sévère derrière ses petites lunettes que l’on aurait dit créées pour elle. Elle scrute les élèves puis avance d’un pas lent mais ferme jusqu’à son bureau avant de tourner la tête vers celle qui l’accompagnait.

  • Voici votre nouvelle camarade de classe, formule simplement Mme Fulong en montrant du doigt la nouvelle venue.

Nathan regarde alors pour la première fois réellement cette nouvelle venue. Elle a des cheveux noirs, en fait il n’avait jamais vu des cheveux aussi noirs. La couleur est presque irréelle sans pour autant remettre en cause le fait que ces derniers sont bien naturels. Quant à ses yeux, il les découvrit lorsqu’elle se mit à le fixer intensément. Ce qui est étrange c’est que Nathan ne pouvait déterminer leur couleur. On lui aurait dit “bleus ? marrons ? verts ? il aurait toujours répondu par la négative sans pour autant pouvoir répondre à cette question. Incolore ? pourquoi pas puisqu’il ne pouvait lui-même donner un nom à cette couleur.

Nathan parvint après avoir soutenu ce regard quelques secondes (pour lui une éternité) à s’en détacher. Il n’osa alors plus tourner la tête vers elle, lui qui venait de vivre un combat regard contre regard, alors qu’il n’était aucunement habitué à ce genre de situation. Nathan a toujours été plutôt timide naturellement, alors quand il s’agit de croiser les yeux d’une si jolie fille, cela en devient impossible.

Nathan garde en lui l’image de ce regard et ne parvient pas à s’en défaire.

  • Elle s’appelle Mya et nous rejoint pour des raisons personnelles. J’espère que vous lui ferez un bon accueil. Allez-vous asseoir à côté de Nathan là-bas, indiqua la maîtresse en pointant du doigt la place vide.

Comme tout premier de la classe qui se respecte et comme tout bon solitaire, Nathan n’avait personne à côté de lui.

Lorsque Madame Fulong prononça ces mots, il sentit comme une lame le transpercer et baissa rapidement le regard vers son pupitre en y fixant scrupuleusement un point imaginaire. Si je ne bouge pas, peut-être ne me verra-t-elle pas ? pensa t-il ironiquement.

Il entendit les pas s’avancer jusqu’à lui mais ne détourna pas le regard du pupitre, il ne voulait pas confronter une nouvelle fois ce regard.

  • Bonjour, lança simplement sa nouvelle voisine de classe.

Par réflexe, Nathan tourna la tête vers elle et vit alors le plus beau visage qu’il n’avait jamais vu jusqu’à présent. Ce regard, ce nez, ces yeux à la couleur indéterminée, cette peau : tout était miraculeusement parfait, irréel. Et si c’était d’ailleurs un rêve ?

Nathan formula une association de lettres qui, mais on ne le confirmera jamais, devait vouloir également dire “bonjour”. Sa timidité face à elle ne lui permet pas d’articuler correctement.

Elle s’assit et Mme Fulong commença à rendre les copies du dernier contrôle de Mathématiques. Mais ça, Nathan n’y fit même plus attention.

****

A peine les élèves s’étaient retrouvés dans la cour de récréation que plusieurs d’entre eux se dirigent vers Nathan, contrairement à d’habitude où il se retrouve normalement seul à bouquiner. Car lire était une autre passion de Nathan en dehors des mathématiques : il lisait dès qu’il pouvait et tous les soirs, assez longtemps, avant de s’endormir. C’était pour lui un rituel et l’un des meilleurs moments de la journée lorsqu’il se mettait au lit (le plus tôt possible) avec un livre.

Le premier élève qui s’adressa à lui fait partie de la bande des Rebels. En tant normal c’est une pipelette mais il ne parle pas qu’avec ses amis, Nathan ne se souvient d’ailleurs pas d’une seule fois où il lui a adressé la parole.

  • Eh la tête ! Elle est comment la nouvelle ? T’as discuté avec elle ? Elle t’a dit quelque chose ? Tu sais pourquoi elle nous a rejoint en cours d’année ?

Il s’agissait d’une première vague de questions sans queue ni tête mais qui veulent dire “que sais-tu sur elle ?”.

  • Elle ne m’a rien dit d’autre que “bonjour”, répondit spontanément Nathan, et cette fois-ci en articulant normalement.

En fait, il n’avait pas cherché le dialogue. A vrai dire il était même plutôt content de ne pas avoir eu à lui parler car il n’avait même pas été fichu de prononcer le mot “bonjour” correctement lorsqu’il lui avait répondu.

A ce moment la petite troupe d’élèves qui était venue voir Nathan échangea entre eux :

  • Vous avez-vu comment elle m’a regardé ? sorti un élève
  • Tu rigoles, elle m’a fixé du regard tout le temps ! rétorqua un autre
  • Vous êtes aveugles ou quoi ? Elle ne regardait pas du tout dans votre direction, elle ne faisait que me regarder ! surenchérit encore un autre

Chacun des élèves semblait persuadé d’avoir été fixé du regard de Mya et n’en démordait pas et ce, quel que soit l’emplacement où il se trouvait dans la classe.

C’était déroutant car chacun était convaincu de ce qu’il avançait et n’en démordait pas.

Nathan commençait alors à se demander si elle l’avait regardé réellement lui ? Peut-être qu’il s’en était convaincu alors qu’elle regardait ailleurs ? Et pourtant il en était réellement convaincu.

Comment une personne peut-elle fixer du regard plusieurs autres personnes situées à des endroits différents en même temps ? C’est impossible.

Et bon sang comment une personne peut-elle avoir des yeux avec une couleur indéterminée. Les gens ont les yeux bleus, marrons, ou verts en général. Mya n’a pas les yeux transparents non plus, ils ont une couleur mais laquelle ? Impossible de le déterminer.

Nathan interrompit ses camarades de classe pour leur poser la question :

  • Vous avez vu ses yeux ? C’est une question idiote mais j’arrive pas à savoir de quelle couleur ils sont…
  • On en n’a rien à foutre de ses yeux rétorqua aussitôt un autre type de la bande des Rebels. Par contre elle est trop bien foutue, vous avez vu ?
  • Nathan a raison admis soudain un autre camarade de classe : je me suis posé la même question sur ses yeux.. c’est con mais je serais incapable de dire de quelle couleur ils sont…

A ce moment-là, la sonnerie indiquant la fin de la récréation retentit.

Nathan était rassuré par la dernière remarque de son camarade de classe : il n’était donc pas seul à ne pas pouvoir donner une couleur aux yeux de Mya. Pire : personne n’a été capable de donner cette fameuse couleur et tous restent persuadés qu’elle les a fixés du regard.

****

L’après-midi passait relativement vite et il ne restait plus beaucoup de temps avant que la sonnerie de la fin des cours ne retentisse.

Nathan écoutait à peine Mme Fulong. Ce n’était pas dans ses habitudes, lui qui normalement était l’un des élèves les plus assidus de la classe.

Il n’arrêtait pas de se poser la question sur la couleur des yeux de Mya et passait son temps à se dire que la plus jolie fille qu’il avait jamais vu était assise juste à côté de lui. Et s’il osait tourner la tête et croiser son regard une dernière fois ? Peut-être arriverait-il à voir la couleur de ses yeux ? Mais pourquoi cette question l’obsédait ?

  • Je peux dormir chez toi cette nuit ? demanda à voix basse Mya.

Nathan ne réalisa pas ce qu’elle venait de lui demander à lui, le premier de la classe certe, mais aussi celui à qui on ne fait pas attention ou que l’on embête en général.

Lui a-t-elle demandé de dormir chez lui alors qu’ils ne se connaissent que depuis quelques heures ?

  • Euh… pourquoi ? tu n’as pas d’endroit où dormir ?
  • C’est pas ma question observa Mya qui ne semblait pas disposée à répondre aux questions que se posait Nathan
  • Faut que je demande à mes parents, je sais pas… et tu as tes affaires pour dormir ?
  • J’ai téléphoné à ta mère ce midi, elle est d’accord. T’inquiète pas pour mes affaires. Alors c’est oui ou c’est non ?
  • Okay

“Okay” avait-il dit… Quelle réponse stupide. On peut revenir en arrière et dire un truc du genre “Oui bien sûr” ? Trop tard… Mais Nathan était déjà content d’avoir pu aligner des mots en articulant à peu près. Apparemment c’était compréhensible puisqu’elle ne lui avait pas fait répéter ses réponses.

Par contre il y avait quelque chose qu’il ne comprenait pas : “J’ai téléphoné à ta mère ce midi” : comment a-t-elle pu avoir son numéro ? Dans l’annuaire ? Et connaît-elle son nom de famille ? Encore un mystère. Mais il ne lui fit pas remarquer.

Et pourquoi vouloir dormir chez lui ? Elle n’a pas d’endroit où passer la nuit ? Elle n’a pas de parents ou de famille ?

Une seule chose est certaine maintenant : elle va passer la nuit dans sa maison ! Elle vient d’arriver, ils ne se sont quasiment pas parlés, ne se connaissent pas et pour une raison inconnue elle a contacté sa mère d’une façon inexpliquée pour se faire inviter et passer la nuit chez lui !

La plus jolie fille qu’il ait jamais vu, qu’il vient de connaître, qui a des yeux d’une couleur inconnue lui a demandé si elle pouvait passer la nuit chez lui.

Nathan n’en revenait pas mais la sonnerie lui fit sortir de ses pensées et de toutes ces questions qui envahissaient ses pensées.

Il se levèrent tous les deux et Mya lui dit simplement :

  • Je te suis.

****

Nathan et Mya traversèrent la cour de l’école côte à côte. Il sentit les regards des autres posés sur lui, sûrement de jalousie. Lui qui était habitué à ne pas avoir de voisin en classe, à être avec son livre à la récréation ou à rentrer seul chez lui, il était aujourd’hui accompagné par la nouvelle de l’école. Celle que plusieurs pensaient avoir reçu pendant un certain temps le poids d’un regard fixé sur eux à son arrivée.

Et pourtant c’est bien à lui que cela arrivait aujourd’hui : la plus jolie fille qui soit le raccompagnait, presque collée à lui pour sortir de l’école. Et même mieux : pour venir passer la nuit chez lui, dans sa maison.

Elle était proche de lui et sentait parfois sa main frôler la sienne. Alors il s’éloigna légèrement pour éviter le contact mais peu de temps après leurs mains s’effleurèrent à nouveau. Soit il était attiré par elle et se rapprochait inconsciemment, soit c’était elle qui se rapprochait régulièrement de lui.

Il osa alors lui poser la question, alors qu’ils s’engagèrent dans la rue en sortant de l’école :

  • Tu ne m’as pas répondu tout à l’heure : pourquoi veux- tu dormir à la maison ? Tu n’as pas d’endroit où dormir cette nuit ?
  • Tu ne veux pas de moi ?
  • C’est pas ça, mais on ne se connait même pas. Et comment as-tu réussi à joindre ma mère par téléphone ? Tu connais mon nom ?
  • Tu dois avoir plein de questions. Tu auras les réponses très vite.

A ce moment là elle s’arrêta et se tourna vers lui :

  • Je sais que ça va te paraître étrange mais… on n'a que très peu de temps…
  • Très peu de temps pour quoi ?
  • Tu le sauras assez vite, je ne peux pas tout t’expliquer maintenant. Je sais que tu ne me connais pas, mais tu dois me faire confiance, compris ?
  • On ne se connait pas et je dois te faire confiance ? mais confiance pour quoi ?
  • TU ne me connais pas. On doit rester tout le temps ensemble quoi qu’il arrive, c’est compris ?
  • Tout le temps ? Je ne comprends rien. T’es qui exactement ?

Nathan commença à avoir peur sur les dernières paroles de Mya. Comment pourrait-elle le connaître ? Pourquoi rester tout le temps ensemble ? Elle était peut être la plus jolie fille qu’il ait jamais vu, elle était peut être aussi folle, qui sait. Il y a très peu de temps qu’ils se sont rencontrés et pourtant déjà plein de questions et de mystères autour d’elles…

  • Qui je suis ? Là encore tu en sauras davantage très bientôt. Mais ce n’est pas le moment. On reste tout le temps ensemble, c’est compris ? D’ailleurs pour cette nuit il faut qu’on dorme dans la même chambre, je dormirai par terre si tu préfères.
  • Faut que je demande à ma mère aussi…
  • Oublies ça, elle sera d’accord, c’est pas un problème.

“C’est pas un problème”. Mya disait ça comme si c’était une simple formalité. Comme si tout ce qu’elle souhaitait pouvait se réaliser en un claquement de doigts.

Ils recommencèrent à marcher.

Le reste du trajet se faisait en silence. Quinze minutes de marche séparèrent l’école de la maison de Nathan. Quinze minutes pendant lesquelles Nathan se posait des questions auxquelles il ne trouvait aucune réponse

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