Douce mort

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Je ne sentais plus vraiment mon corps. Mes jambes, ankylosées par mes longues années, ne voulaient plus bouger. J'étais à la fois conscient et endormi. Je me rappelais seulement être tombé dans les escaliers de la maison puis d'avoir été emmené ici, dans cette chambre banale et impersonnelle. Parfois je voulais crier mais depuis cet instant, je ne pouvais plus. Mes yeux restaient fermés et ma bouche était comme cousue. Seules mes oreilles fonctionnaient et captaient le monde extérieur et j'étais peiné de ce qu'elles entendaient.


Tantôt, des gens, inconnus, venaient me rendre visite et discutaient près de moi. Ils se demandaient s'il fallait jeter les fleurs qu'on avait posées à ma fenêtre, si l'on devait enlever les ballons accrochés à mon lit, mais ils se questionnaient surtout sur une chose. Était-il nécessaire d'éteindre la dernière machine qui me faisait vivre ? Allais-je me réveiller ? Je savais que non. J'avais eu mes beaux jours auprès de ceux que j'aimais et j'en avais pleinement profité. Aucun regret. Aucune déception. Sauf une. Celle de voir passer Lucie, mon infirmière lorsque j'étais dans la résidence pour personnes âgées, chaque jour pour voir si mes yeux s'étaient ouverts. Elle venait souvent avec mon fils et ma fille ainsi que leurs enfants. Ils me parlaient et me donnaient des cadeaux. C'étais dans ces moments que je hurlais intérieurement. Cependant, eux ne voyaient qu'un vieil homme impassible aux portes de la Mort. Cette dernière voulait me narguer, pour sûr. La vilaine ! Je n'avais pas dit mes derniers mots. Elle avait voulu me priver de mes simples adieux, la garce. Je devais me réveiller et j'avais tout fait pour.


Hélas, cela devait faire approximativement deux mois que j'étais là. Je devais laisser ma place à un autre petit vieux en meilleur état que moi. Je me battais toujours pour vivre, mais différemment. Je commençais à accepter mon sort, c'est pourquoi je méditais sur ma vie passée. Qu'avais-je fait de bien ? De mal ? Au final, je me jugeais comme un homme attentif et assez bon. J'avais bien soigné ma compagne, lui avais donné tout mon amour, je pensais l'avoir rendue heureuse, et j'avais tenté de donner le meilleur à nos enfants. Elle m'avait tant dit qu'elle m'aimait que je lui devais bien cela. Je me souvenais surtout d'une fois, lors de ma demande en mariage, près d'un petit lac. C'était fantastique. Je pensais également à mon âge et aux choses que j'avais absolument voulu faire. Je les avais toutes faites. J'avais sauté en parachute, fait du bénévolat, visité les fonds marins, avais rendu mes proches heureux. Du haut de mes 84 ans, je pouvais me laisser voguer vers le sommeil infini. Cependant, je devais toujours faire mes adieux. Je tenais donc encore cette sérénité loin de moi. Je n'étais pas prêt. J'avais pourtant oublié une chose; je ne pouvais pas contrôler ceux qui me tenaient en vie.


Le temps passait inexorablement. Un jour, je me décidais enfin à accepter mon sort, mais seulement après avoir tenté une dernière fois de me sauver. Pris d'un élan de courage, et après m'être demandé ce que j'allais devenir si je ratais cette fois-ci, je réunis mes forces et me poussais à ouvrir les yeux. C'étais à ce moment, alors que je ne faisais plus attention à ce qui m'entourait, que ma fille prononça ces quelques mots.


"Il n'y a plus d'espoir, nous devons le laisser partir."


Je sentais l'infirmière près de mes nouveaux poumons, cette machine, à qui je devais ma lucidité. Je l'aurais presque vue baisser la tête avant d'effectuer l'acte fatidique. Elle toucha avec habilité certains boutons, comme si elle savait donner la mort et surtout qu'elle l'avait déjà fait, pour m'enlever mon seul espoir. Elle venait de couper mon souffle, de briser le fil de ma vie. Tant pis, j'aurais essayé de me réveiller en vain. Je sombrais peu à peu dans ce sommeil paisible et éternel peu à peu, consommant le reste de dioxygène dans mon corps avec comme musique funeste un sifflement perçant qui resonnait dans mon crâne et qui suivait la même tonalité, inlassablement. En arrière plan, mes enfants pleuraient et ce fut en entendant leurs sanglots que ma flamme s'éteignit à jamais.

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