Chapitre 98 : vendredi 12 août 2005

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Ils partirent tôt encore ce matin-là, car une bonne journée de route et de découverte les attendait. Ils commencèrent par se rendre jusqu'à Neist Point, par une toute petite route qui valait bien celle que Mickaël et Maureen avaient empruntée la veille, pour aller admirer le coucher du soleil. Puis ils firent demi-tour et revinrent vers le centre de l'île, en longeant la vaste baie du Loch Bracadale.

Une fois arrivés à Drynoch, Mickaël obliqua à nouveau sur une petite route en direction de Talisker. Rien que cette petite route mettait déjà en condition, avant la dégustation qui les y attendait. Pour Lawra, c'était une première de voir Mickaël à l'œuvre, car à Oban, ils s'étaient juste arrêtés à la boutique, de même à Tobermory. Ils prirent place autour d'une table ronde, on leur proposa de goûter à plusieurs bouteilles. Mickaël commença par toutes les sentir, au goulot, pour faire un premier choix. Il avait demandé auparavant à John ce qu'il comptait ramener. Lui-même avait une petite idée de ses propres achats. Assise à côté de lui, Maureen savait très bien maintenant comment les choses se passeraient, mais elle en laissa la surprise et la découverte à Lawra. Au final, Mickaël opta pour quatre whiskys seulement, puis il entama vraiment la dégustation.

- Le Talisker est réputé pour être très tourbé, très fort, dit Mickaël. Stevenson disait de ce whisky que c'était le roi des breuvages. Rien que son nom est déjà une invitation au voyage...

Lawra le fixait, John regardait les bouteilles avec curiosité. Sam et Maureen ne disaient rien ; elle, elle se laissait déjà bercer par les mots de Mickaël et avait comme l'impression de vivre une nouvelle aventure.

- Oui, reprit le jeune homme. Talisker signifie "rocher escarpé". Je ne ferai pas l'affront à John de lui expliquer comment sont fabriqués les whiskys écossais, mais la particularité, ici, c'est qu'on compte vingt-et-une sources d'approvisionnement et non une seule. C'est un des whiskys les plus tourbés d'Ecosse, et ce, naturellement. Mais voyons d'abord le dix ans.

Il fit signe au vendeur qui se trouvait avec eux et celui-ci servit les verres des garçons. Lawra avait annoncé qu'elle goûterait en fonction de l'avis de John, quant à Maureen, elle préférait d'abord le sentir dans le verre de Mickaël.

Ce premier cru possédait une jolie couleur dorée, il était peu tourbé, mais Maureen en perçut cependant bien la légère fragrance.

- Il est très beau, dit Mickaël, avant de le goûter. Vraiment très beau.

- Hum, oui... fit John qui avait bu sa première gorgée. Très différent du Tobermory. J'aime ce petit parfum de tourbe. Tiens, chérie, dit-il en tendant son verre à Lawra.

Elle le porta à son nez, puis goûta juste une gorgée, avant de rendre le verre à John.

- Je partage ton avis, dit-elle. Et il a aussi un petit côté poivré.

Mickaël sourit de la remarque de Lawra et termina tranquillement son verre, puis observa les autres bouteilles. Le vendeur intervint :

- Je vous propose le dix-huit, pour continuer. Il est peu tourbé, comme le dix ans, mais est très riche en parfums. Assez complexes.

- Je vous suis, dit Mickaël.

- Toujours trois verres ? demanda le vendeur.

- Oui, dirent Lawra et Maureen à l'unisson.

Le même petit cérémonial se produisit, mais Mickaël demanda à Maureen de le décrire :

- Dis-moi ce que tu sens, ma douce.

Sam eut un petit sourire qui n'échappa pas à Lawra et cette dernière reporta son attention vers son amie. Maureen tenait le verre de Mickaël. La couleur de ce deuxième cru était un peu différente, légèrement plus dorée que le premier. Personne ne parlait, comme si chacun avait attendu le verdict de la jeune femme, avant de le déguster pour soi-même.

- Alors, toujours ce léger parfum de tourbe, commun avec le premier, dit-elle. Et en effet, beaucoup d'autres parfums. Ca ne va pas être facile...

- Tu peux le faire, dit Mickaël en la fixant de son regard vert profond.

Et Lawra se sentit très émue de ses mots, de son attitude et de ce regard qu'il avait pour son amie. Elle pouvait y sentir tout son amour pour elle. Maureen poursuivit :

- Hum... Je dirais... De la vanille aussi, et ah...

Elle ferma les yeux. Elle cherchait à retrouver des parfums qu'elle avait pu déceler dans les thés de Mickaël. Lui la fixait toujours avec intensité. A les regarder, Lawra se sentit troublée, comme si elle assistait à un échange très intime entre eux deux, quelque chose qu'ils ne pouvaient partager que l'un avec l'autre.

- Comme... commença-t-elle avant de suspendre sa phrase.

Elle leva son nez du verre, regarda Mickaël et dit simplement :

- Comme dans Envoûtant. Il a quelque chose de commun avec Envoûtant. Et avec Harmonieux aussi.

Et Lawra sut d'emblée que Mickaël allait acheter au moins une bouteille de ce cru.

- Le citron, dit-il. C'est le citron.

Pour John, ce petit échange était assez incompréhensible. Il nota cependant tout l'intérêt que Maureen portait à la dégustation et à la recherche des arômes.

- Tu veux le goûter ? proposa Mickaël.

- Avec de l'eau, je veux bien, oui, répondit-elle.

- Vous permettez ? demanda-t-il au serveur qui s'apprêtait à servir le verre.

- Aucun souci, lui répondit celui-ci en souriant.

Et il le laissa faire avec une pointe d'admiration. Nul doute pour lui que ce jeune homme était très amateur et déjà bien au fait des différences et du déroulement d'une dégustation, mais quand il le vit doser exactement le verre pour la jeune femme qui se tenait à ses côtés, il se dit que lui-même, tout professionnel qu'il fût, n'aurait pu faire mieux.

Les trois jeunes gens goûtèrent alors, puis Maureen se risqua à tremper ses lèvres dans le verre que Mickaël lui avait préparé.

- Hum, oui, le citron, confirma-t-elle. Au goût aussi, mais pas seulement... Il y a un autre agrume, non ?

- Orange confite, Miss, dit le vendeur. Vous avez un sacré palais, ajouta-t-il d'un ton admiratif.

- Merci, répondit-elle en rougissant légèrement. Cela ne fait pas longtemps que je goûte...

- Tu as déjà un nez très développé, dit Mickaël. Le goût n'est pas difficile à travailler par-dessus...

Le vendeur acquiesça. Il proposa ensuite un vingt-cinq ans d'âge dont la couleur, très dorée, tirait sur le rouge. Dans un verre, il était magnifique. John soupira et jeta un regard en coin à Lawra. Cette dernière leva les yeux au plafond en signe d'impuissance.

- Je t'aide pas, là, John, fit Mickaël avec le regard pétillant.

- Non, pas vraiment. Surtout qu'il y a encore une autre bouteille...

- La dernière, c'est vraiment pour le fun... Le prix va t'arrêter tout de suite.

- Alors, je ne sais pas si je vais tenter...

- Ce serait idiot de ne pas en profiter, dit Mickaël. Au moins pour goûter.

- Et avoir des regrets pour le restant de mes jours ? gémit John.

- Je te ferai goûter de quoi te passer tes regrets, on n'en a pas terminé avec les dégustations.

- Pourtant, j'ai déjà eu droit à la gniole de ton aïeul...

Sam pouffa et dit :

- Pas comparable...

- Pourtant, c'est ce que vous avez essayé de faire le soir de notre arrivée, dit Maureen en plissant les yeux.

Et là, ce fut Sam qui leva les yeux au plafond.

- Même pas vrai, Princesse. C'était juste pour digérer...

- On dit ça, on dit ça... sourit Maureen que la conversation amusait de plus en plus. Il y en a eu d'autres avant vous à l'avoir fait !

- Et il y en aura d'autres après... dit Sam d'un ton de grand philosophe.

- J'espère... conclut Mickaël. Je l'espère vraiment.

Le liquide presque rouge tournait dans le verre de John. Il se décida quand même à le goûter et soupira d'aise.

- Le deux et le trois, je peux pas faire autrement... glissa-t-il à l'adresse de Lawra.

- T'es foutu, John, ricana Sam. T'es foutu...

- Je vous revaudrai cela, en Irlande, lança-t-il d'un ton espiègle.

- Je m'aligne quand tu veux, répliqua le grand jeune homme en lui faisant un clin d'œil.

Mickaël reposa son verre et regarda le vendeur :

- Le dernier, je sais que c'est vraiment particulier. Je l'ai sélectionné pour notre ami, qui vient d'Irlande. Pour Sam et moi, ce n'est pas obligé.

- Tin, t'es culotté, Micky, protesta Sam.

- Sam...

- Ouais, ouais, je sais...

Puis il se redressa et regarda le vendeur :

- Je plaisantais, Monsieur. Moi aussi, je sais ce que c'est... Et que les amis, c'est là aussi pour qu'on leur fasse des cadeaux. J'me vengerai en Irlande.

Le vendeur rit et dit :

- C'est un beau cadeau que vous lui faites, je suis certain qu'il se mettra en quatre pour vous rendre la pareille...

Et il ne servit que John. Mais le verre circula entre tous, pour que chacun puisse le sentir. John le goûta et savoura. Un grand sourire éclaira son visage et il dit simplement :

- Merci.

**

La dégustation n'était cependant pas terminée, et le vendeur, voyant ce que les trois jeunes gens avaient apprécié, proposa un dernier cru à Mickaël et Sam, un peu pour consoler aussi ce dernier de ne pas avoir pu goûter au trente ans d'âge. C'était un autre cru de vingt-cinq ans, un peu différent de celui que Mickaël avait choisi initialement. Il était plus poivré. Son nom "Lave des Cuillins" plut beaucoup à Maureen et Mickaël se laissa tenter sans vraiment chercher à résister.

Au final, le choix ne fut pas simple. John repartit avec une bouteille du dix-huit ans et une du vingt-cinq, Sam opta pour le vingt-cinq uniquement. Quant à Mickaël, il en prit pour lui-même une de chaque, dix, dix-huit et vingt-cinq, mais en choisissant le deuxième vingt-cinq ans d'âge que le vendeur leur avait proposé. Il était légèrement plus cher, mais il avait apprécié le geste et tenait à le remercier aussi d'avoir accepté de faire goûter à John un cru destiné aux collectionneurs très aisés.

- On en rapporte une à Harris ? demanda Sam.

- On peut. On va aussi en ramener une pour William, et une pour Jonathan, répondit Mickaël.

- Pourquoi veux-tu en ramener une à Jonathan ?

- Parce que j'espère que ce garçon aura son diplôme et pouvoir la lui offrir pour l'en féliciter !

- C'est une bonne raison, dit doucement Maureen.

- C'est vrai, dit Sam. Et j'espère quand même qu'il me ramènera la preuve de l'existence de Nessie en échange !

Après cette étape - obligée - à la distillerie, ils reprirent la route principale et unique du centre de l'île, vers Sligachan, puis Broadford.

- Je sais que ça fait de la route, encore, dit Mickaël, alors qu'ils s'étaient arrêtés pour que John prenne le relais de Lawra au volant et que Sam puisse se griller une cigarette, mais ça vaut vraiment le coup d'aller jusqu'à la pointe d'Elgol. On a une vue magnifique sur les Monts Cuillins, en face, et sur toute la baie. Cela fait dans les trente kilomètres aller-retour, on peut aussi ne pas tous y aller.

- Que fait-on ensuite ? demanda Lawra.

- Ensuite, on fait la dernière pointe, celle qui est tout au sud, face au "continent", celle de Sleat, exposa Mickaël. On y prendra le bac pour traverser. On débarque à Mallaig, et de là, on a une bonne heure de route pour rentrer à Fort William. On en a pour l'après-midi à tout faire.

- Et si on mangeait ici ? Ceux qui veulent faire le détour par Elgol pourront le faire, les autres feront la sieste avec Kevin, suggéra Sam.

- Je suis partant ! dit John.

Après la pause déjeuner, Sam et John déclarèrent qu'ils allaient garder Kevin. L'un connaissait déjà Elgol, l'autre préférait faire une petite sieste, après la dégustation du matin. Mickaël repartit donc seulement avec Maureen et Lawra.

Même si cela faisait encore de la route, aucune ne regretta le déplacement. D'une part parce que la route était magnifique, longeant un petit loch, puis la mer, et qu'enfin, Mickaël ne leur avait pas menti sur la beauté du point de vue. La plage de galets étonna Lawra qui décida de s'en ramasser un beau, en souvenir.

- Bonne idée, dit Maureen. Je vais faire comme toi !

Elle en trouva un petit, bien rond et poli, aux nuances de gris et de bleu.

- Quelle est l'île en face ? demanda Lawra.

- Soay, répondit Mickaël, et vers le large, il y a Rum.

- On a bien fait alors de laisser John et Sam à Broadford… Avec un nom pareil, ils auraient tout tenté pour une traversée ! plaisanta Lawra.

- Sauf que pour s'y rendre, c'est un peu compliqué, dit Mickaël. Ca vous dit de prendre un thé au pub ? J'ai pas très chaud, moi…

- Tu ne couverais pas un rhume ? demanda Maureen d'un air innocent.

- Je ne vois pas du tout à quoi tu fais allusion…

Malgré son air espiègle, la jeune femme accepta volontiers, Lawra de même et ils poussèrent la porte d'un pub tout proche. Pendant que Mickaël allait chercher leur commande au comptoir et entamait une discussion avec le propriétaire des lieux, Maureen sortit de la poche de sa veste une carte postale qu'elle avait achetée à Sligachan et commença à écrire à Tara.

Chère Tara,

Je t'envoie une carte d'un endroit magnifique que je découvre avec Lawra et John. Nous parcourons les Highlands et venons de passer deux jours sur l'île de Skye. C'est magique et cette carte en est la preuve, même si rien ne vaut le déplacement… Cette île regorge d'endroits tous plus étonnants et grandioses les uns que les autres. Je t'écrirai plus longuement à mon retour à Glasgow, j'espère que tu vas bien, et Philip aussi. Je serai très heureuse d'avoir de tes nouvelles. A bientôt. Je t'embrasse.

Maureen.

Elle avait hésité un instant à mettre une phrase pour leurs parents, y avait finalement renoncé, se disant qu'elle pourrait le faire dans une lettre et non succinctement, au dos d'une carte postale. Mickaël revint alors qu'elle signait, ne fit aucune remarque et déposa les tasses et la théière sur la table, puis s'assit aux côtés de la jeune femme. Elle sortit son portefeuille, chercha un timbre.

- Hum, ça fait du bien, dit Lawra. Parce qu'il y a du vent, mine de rien !

- Oui, le temps change vite... J'espère que ça ira pour la traversée, fit Mickaël.

- Il y a des tempêtes en plein été ?

- Rarement, mais on n'est pas à l'abri d'un coup de vent. Le passage est relativement bien abrité entre Armadale et Mallaig.

Ils savourèrent leur thé, puis Mickaël donna le signal du retour. Maureen lui proposa de conduire, pour le relayer un peu. Ils retrouvèrent Sam et John à Broadford. Kevin dormait encore et les deux jeunes hommes les attendaient patiemment. Pour la dernière pointe, Sam resta avec Lawra et John, Maureen garda le volant pour rejoindre Armadale.

- On n'est pas loin de la pointe de Sleat, dit Mickaël. Qui veut y aller ? Y'en a pour un quart d'heure aller-retour et comme le ferry n'est pas pour tout de suite...

- A part Maureen, personne... grogna Sam. C'est long de faire le grand tour.

- Toi, tu râles, car tu vas être en manque de cigarettes… plaisanta Mickaël. Je préfère ne pas imaginer combien tu seras insupportable le jour où tu arrêteras VRAIMENT de fumer. Surtout préviens-nous, qu'on parte à l'autre bout du monde…

- Lâcheur…

- Bon, on va jusqu'à la pointe ou pas ? insista Mickaël.

- Je suis partante, dit Maureen.

- Allez-y tous les deux... soupira Lawra, pas fâchée aussi de faire une petite pause dans la conduite, surtout qu'elle savait qu'ils rentreraient tard à Fort William.

Ils profitèrent d'ailleurs de cette pause, pendant que Mickaël et Maureen faisaient leur petit tour et qu'ils attendaient le ferry, pour faire jouer Kevin sur la plage bien abritée d'Armadale.

La traversée se passa sans difficulté, mais le vent assez fort les obligea à rester bien abrités.

- Ce qu'il y a de bien avec ce vent, murmura Mickaël à l'oreille de Maureen, c'est que ça me fera une très bonne excuse si jamais j'attrape un rhume…

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