Chapitre 50 : dimanche 5 juin 2005 (1ère partie)

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Il en fallait beaucoup pour impressionner Véra Higgins. De par son métier, travailleuse sociale, elle était habituée à fréquenter des personnes très différentes, et notamment des jeunes, des familles en difficulté. Elle avait l'habitude des caractères trempés, des gens marqués par la vie. Elle se qualifiait elle-même, en toute modestie, comme peu impressionnable. Elle connaissait bien son frère, aussi, et s'il était arrivé au jeune homme de lui jouer des tours, jamais encore il n'était parvenu à autant surprendre sa grande sœur.

La journée commença pourtant comme un dimanche matin un peu bousculé. Léony était prête de bonne heure, car très enthousiaste à l'idée de passer l'après-midi avec son tonton, et même, de manger chez lui. Au point qu'elle sautillait comme une puce partout dans la maison et qu'il fut difficile de la calmer. Puis Jimmy avait égaré sa cravate… qui se trouvait en fait bien rangée dans le tiroir.

Bref, Véra était un peu bousculée, mais c'était, selon sa propre appréciation, encore tout à fait gérable. Il était 11h20, ils étaient prêts à partir, Léony avait pris ses crayons de couleurs, une poupée avec ses vêtements, un livre… mais au moment de monter en voiture, elle dit :

- J'ai oublié mon livre de coloriage, maman !

- Tonton doit bien avoir du papier pour que tu fasses des dessins, ça fera l’affaire, allez, hop, on y va, on est déjà en retard.

Or Véra détestait être en retard. Elle avait dit 11h30 à son frère, pour être à midi chez la cousine de son mari, il fallait y aller. En prenant place aux côtés de son mari, Jimmy, qui conduisait, elle entendit ce dernier lui suggérer :

- On aurait peut-être dû prendre des fleurs, non ?

- On s'arrêtera en route. Il doit bien y avoir une boutique près de chez Micky. Allez, zou !

**

- Tonton ! s'écria Léony en sautant dans les bras de Mickaël, à peine la porte franchie.

- Salut, pitchounette ! La grande forme ? dit-il en déposant deux baisers sonores sur ses joues.

- Oui ! Tu m'emmènes au parc, tantôt ?

- Oui, oui, promis. Si le soleil ne se transforme pas en pluie…

- Bon, p'tit frère, intervint Véra, je t'ai laissé un sac, avec quelques affaires, au cas où… Léony a pris ses crayons de couleurs, t'as du papier ?

- Ca doit pouvoir se trouver… répondit Mickaël déjà un peu amusé par l'empressement de sa sœur.

- Elle a emmené sa poupée aussi, avec plusieurs changes… Elle a reçu pour consigne de ne pas oublier d'affaires chez toi ! Mais c'est elle qui a voulu prendre tout ça…

- Ok, t'inquiète pas.

- Bon, je file. Jimmy m'attend dans la voiture, en bas. On repasse en fin d'après-midi... Je te garantis pas l'heure...

- Pas de soucis, fit Mickaël. Appelle quand vous partez, qu'on soit rentré si j'emmène la petite faire un tour.

- D'accord.

Il raccompagna sa sœur jusqu'à la porte, alors que Léony avait déjà pris possession du salon et sortait ses crayons de couleur sur la table basse.

- Ah, au fait, se retourna Véra alors qu'elle avait déjà descendu quelques marches. Y'a pas un fleuriste dans le coin ? Ca fera plaisir à la tante de Jimmy, un petit bouquet...

Mickaël fit mine de réfléchir quelques secondes, puis indiqua à sa sœur la rue où se trouvait la boutique de Maureen. Mais, un peu parce qu'elle était pressée, Véra laissa échapper un indice précieux : elle ne remarqua pas l'éclat amusé dans le regard de son frère. Lui salua de la main son beau-frère, resté au volant, et, une fois que la voiture eut disparu au coin de la rue, il envoya un court message à Maureen pour qu'elle ne soit pas surprise de voir sa sœur débarquer.

Il retourna chez lui et rouvrit la porte de la chambre. C'était un peu le bazar, il n'avait pas eu le temps de ranger avant l'arrivée de Véra. Mais, au moins, elle n'avait pas vu l'état de la pièce, ni la nuisette de Maureen posée bien en évidence sur le lit.

- Tonton ! appela Léony. Je voudrais faire un dessin...

- Ok, Léony, bouge pas, je te trouve du papier... Attends, voilà. Tu n'as pas faim encore ?

- Non, ça va, répondit la petite fille en commençant à dessiner.

- Bon, je fais un peu de rangement, dit Mickaël, et je prépare le repas après. On mangera un peu plus tard qu'à la maison, ok ?

- Oui ! Tu veux que je te fasse un dessin de quoi ?

- Ce que tu veux... avec des fleurs ! répondit-il en souriant.

- Un oiseau avec des fleurs, tu aimeras ?

- Oui, ce sera parfait, lança-t-il depuis la chambre alors qu'il ouvrait la fenêtre pour aérer, commençait à secouer les draps et à refaire le lit.

**

Maureen était occupée avec un couple de clients lorsque Véra entra dans la boutique. La jeune femme avait bien reçu le message de Mickaël et sourit intérieurement. Elle avait compris qu'il voulait faire une petite blague à sa sœur et elle espérait bien jouer son rôle. Elle termina la composition du grand bouquet qu'elle était en train de réaliser, le présenta au couple. La dame s'en saisit, le monsieur la régla. Elle leur souhaita un bon dimanche après-midi, puis se tourna vers la sœur de Mickaël qui s'était arrêtée devant les petits bouquets ronds. Il n'en restait plus que deux et Véra pestait déjà intérieurement contre Jimmy qui avait préféré rester dans la voiture pour écouter à la radio son émission sportive favorite. Sous prétexte que l'entraîneur du Celtic en était l'invité... Alors qu'il aurait pu l'aider, au moins, pour faire un choix...

Même si Maureen n'avait eu l'occasion de voir Véra qu'en photo, chez Mummy, elle se faisait déjà une petite idée de sa personnalité et, à l'observant quelques instants, ses impressions s'en trouvèrent confirmées. Le caractère fort de la sœur de Mickaël ressortait déjà, tout comme son indécision face à certains choix. Mais ce fut leur conversation qui lui révéla bien plus encore cette si grande différence qu'elle avait avec son frère.

- Bonjour, Madame, la salua Maureen. Vous auriez voulu ?

- Bonjour, Mademoiselle, répondit Véra. Vous n'avez plus que ces deux petits bouquets, je suppose ?

- Oui, mais je peux vous en refaire un autre si vous le souhaitez, dit Maureen en souriant.

- Cela ne prend pas trop de temps ? On est déjà un peu en retard...

- Non, non. Dans quels coloris le souhaiteriez-vous ?

- Pff... Heu... Orange et rose ?

Maureen tiqua intérieurement. Heureusement qu'elle savait que Véra n'avait qu'une vague idée de l'harmonie des couleurs.

- Orange et rouge, cela sera plus joli, suggéra-t-elle alors.

- Ah. Très bien, orange et rouge. Si vous avez de quoi...

Maureen commença le bouquet, retourna chercher deux roses rouges en réserve, ajouta de grandes feuilles rondes pour entourer les fleurs, coupa les tiges et le présenta à Véra.

- Est-ce que cela vous plaît ? Je peux encore ajouter une ou deux petites branches de fleurs jaunes, comme ceci...

- Non, non, ça ira très bien. Merci beaucoup, fit Véra.

Maureen emballa le bouquet dans le film transparent, choisit un lien de couleur jaune, puis apposa la petite étiquette ronde. Elle demanda, sentant que Véra hésitait encore :

- Vous auriez voulu autre chose ?

- Oui... Ah, mais je ne sais vraiment pas quoi prendre...

- C'est pour offrir à quelle personne ? demanda Maureen dans le souci de la guider.

- Le bouquet, c'est pour la tante de mon mari, hospitalisée, mais on mange chez sa cousine... Je ne vais pas arriver les mains vides... dit-elle en jetant un regard à sa montre.

- Je peux vous proposer un simple bouquet de roses, j'en ai de très belles en ce moment. Vous avez une idée de la couleur ?

- Aucune, soupira Véra.

- Alors, on va rester sur une teinte classique, dit Maureen. Ce rose, ou alors, celui-ci, dit-elle en désignant des fleurs d'un rose pâle ou d'autres, de couleur crème avec le bord ourlé d'un rose plus soutenu. Les deux sont très parfumées, mais celles-ci le sont un peu plus. Vous pouvez les sentir si vous voulez.

- Je n'ai guère d'odorat. Mettez les roses un peu crème, s'il vous plaît, dit Véra.

- 3, 5 ou 7 ? Ou plus ?

- Heu...

Véra jeta un œil au prix, opta pour cinq.

Maureen s'activa, l'attitude de Véra était tout à fait conforme à ce que Mickaël avait laissé entendre de sa sœur et elle avait bien saisi qu'il ne fallait pas perdre de temps. Elle termina rapidement le bouquet. A d'autres personnes, elle aurait proposé d'accompagner les roses avec un feuillage, qu'elle aurait laissé au choix du client, mais elle avait compris qu'il ne fallait pas embrouiller Véra avec ce genre de questions. Elle choisit donc celui qui, à son goût, convenait le mieux pour agrémenter les longues fleurs. Une fois le deuxième bouquet terminé, elle le déposa sur le comptoir, à côté du bouquet rond.

- Je vous dois combien, Mademoiselle ? demanda Véra.

- 56,60 livres, répondit Maureen.

Puis elle accompagna Véra jusqu'au-dehors, portant le bouquet de roses. La jeune femme longea le trottoir, s'arrêta devant une voiture garée un peu plus loin. "Au volant, c'est donc Jimmy, le beau-frère de Mickaël", pensa Maureen. Il lui fut d'emblée sympathique.

- Merci beaucoup, Mademoiselle, sourit Véra. Bon dimanche !

- C'est moi qui vous remercie. Je vous souhaite une belle journée. A bientôt.

Véra prit place auprès de son mari dans la voiture, après avoir déposé les deux bouquets sur le siège arrière. Jimmy démarra en faisant un petit signe de la main à Maureen qui s'apprêtait à rentrer dans sa boutique.

- Elle a l'air charmante, la fleuriste du quartier, fit-il remarquer. On devrait dire à ton frère de passer la voir...

- Mon frère a déjà une copine, j'en suis persuadée, rétorqua Véra. Et je compte bien sur Léony pour en apprendre plus ! Il me fait trop de cachotteries. Tu aurais vu son petit sourire en coin quand je suis arrivée... J'ai cherché un prétexte pour le faire aller dans sa chambre, car je suis certaine qu'il n'était pas tout seul !

- Tu crois que Léony nous dira quelque chose... ? Tu utilises ta fille à de drôles de desseins... s'amusa Jimmy.

- Il faut parfois employer les grands moyens pour percer les mystères de mon frère... soupira Véra.

Sans se douter qu'elle venait de rencontrer le "mystère" de Mickaël...

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