Chapitre 162 : lundi 23 janvier 2006

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C'était le milieu de la matinée. Maureen avait conduit dans les rues de Dublin, jusque chez Philip et Tara. En chemin, elle avait désigné quelques lieux et monuments de la capitale irlandaise à Mickaël.

- Là-bas, tu vois, c'est le quartier où nous avons grandi, dit-elle en désignant une petite colline couverte de maisons. Les parents de Lawra et les miens y vivent encore. Tara et Philip habitent un quartier limitrophe. Je ne vais pas au plus court, car je n'ai pas envie de traverser mon ancien quartier.

- Aucun souci, ma douce, dit-il en lui caressant la joue du bout des doigts. Va au mieux. On va voir Tara. Et Philip. Et Brendan.

La veille au soir, fatigués de la route et d'une semaine de travail, ils n'avaient pas veillé très tard avec John et Lawra, d'autant que leurs amis travaillaient le lendemain. Mickaël était certain que Lawra avait perçu la légère tension en Maureen. Néanmoins, ils n'avaient pas eu l'occasion d'en parler et il espérait que la journée se passerait bien et que le fait de revoir sa sœur et de faire connaissance avec son petit bébé chasserait cette tension chez la jeune femme.

- Voilà, on arrive, dit Maureen, en s'engageant dans la rue.

Une fois garés, elle sortit un sac de la voiture, puis ils longèrent le trottoir pour entrer dans un joli petit jardinet, le traverser et monter quelques marches. Maureen frappa. La porte s'ouvrit sur Tara qui affichait un grand sourire. Les deux sœurs se tombèrent dans les bras.

- Oh, Maureen ! Je suis tellement heureuse de te voir ! Et si vite après la naissance... J'étais tellement, tellement heureuse de savoir que vous pouviez venir... Entrez, entrez, il ne fait pas chaud...

Elle s'effaça pour les laisser passer, quand Maureen se retourna, Mickaël vit des larmes briller dans ses yeux et ceux de Tara aussi étaient humides.

- Tara, voici Mickaël, dit Maureen en le présentant.

- Enchanté de faire ta connaissance, Tara, dit-il. Et félicitations pour ce bébé !

- Moi aussi, dit Tara de sa voix douce, je suis heureuse de te rencontrer enfin. Maureen m'a tellement parlé de toi dans ses lettres !

- Non ? fit-il amusé. Que pouvait-elle donc avoir de si intéressant à raconter ?

Tara rit et les invita à passer dans le salon. Brendan était couché dans son couffin. Il dormait. Tara expliqua :

- Il se réveillera tout à l'heure, vers 11h. Il aura faim. Je pourrai le nourrir et, ensuite, on déjeunera, d'accord ?

- Très bien, dit Maureen.

- Vous voulez prendre quelque chose ? Un thé ? proposa Tara.

- Volontiers, répondirent-ils ensemble.

Pendant que Tara s'affairait en cuisine, Maureen se pencha vers le couffin et regarda son petit neveu. Assis dans le canapé, Mickaël l'observa. Il devinait son émotion et lui-même se sentait touché par la présence du petit bébé. Il ne put s'empêcher de l'imaginer auprès de leur propre enfant, un jour.

Tara revint avec un plateau chargé, Maureen se releva et vint s'asseoir auprès de Mickaël. Puis elle ouvrit le sac qu'ils avaient apporté et en sortit plusieurs paquets.

- Philip ne devrait pas tarder. Il est sorti faire quelques courses, expliqua Tara.

- Quand reprend-il le travail ? demanda Maureen.

- Demain. Il posera un ou deux jours de congés dans les prochaines semaines, en fonction du bébé, de ma fatigue... Là, ça va, mais bon... Je sais comment c'est ! dit-elle en riant.

Maureen sourit et dit :

- Tiens, Tara, ça, c'est pour le petit. Et ça, c'est pour vous. Une idée commune, je dirais, entre Mickaël et moi...

Tara ouvrit d'abord le paquet pour le bébé. C'était un pyjama avec un nounours bleu brodé dessus.

- J'ai pris une petite taille, dit Maureen. Je me suis dit que tu en aurais besoin tout de suite...

- Belle idée ! Il est très mignon ! Merci ! répondit Tara en souriant.

- Et ça, c'est pour toi...

Le paquet contenait plusieurs sachets de thés, des mélanges différents que Mickaël avait élaborés. Tara s'étonna en voyant les noms écrits sur les paquets :

- Subtil... Marin... Zen... Chatoyant... Qu'est-ce que ça veut dire ?

- Ce sont des mélanges de thés que je m'amuse à faire depuis des années, expliqua Mickaël. Maureen a choisi ceux qui te plairaient le plus. Subtil est très bon en début d'après-midi, notamment. Marin peut se boire après un repas assez riche. Zen est idéal pour le soir... Après... à toi d'essayer !

- C'est original ! fit la jeune femme. Et tu en as beaucoup comme ça ?

- Heu... Oui. D'autant que j'en invente quelques-uns de temps en temps. Cette année, j'en ai créé trois.

- Trois ?

- Oui, un pour ma grand-mère, un pour ta sœur et un pour l'hiver.

A l'écouter parler, Tara se rendit compte que sa sœur ne lui avait pas menti en lui décrivant la personnalité de Mickaël. Le jeune homme ajouta :

- Et Maureen en a créé aussi un pour nous deux.

Tara regarda sa sœur, elles échangèrent un petit sourire. A cet instant, la porte d'entrée s'ouvrit. C'était Philip qui arrivait. Il déposa rapidement les affaires dans la cuisine et les rejoignit au salon. Il n'avait guère changé depuis la dernière fois que Maureen l'avait vu et ils se retrouvèrent avec plaisir. Il salua aussi Mickaël avec simplicité. Puis s'installa avec eux et se servit une tasse de thé.

- Il fait froid, dit-il. Ca a été la route pour vous ?

- Moins froid qu'à Glasgow, dit Maureen. Ca a été, oui. La mer était assez calme pour la traversée.

- Lawra et John vont bien ? demanda-t-il encore. Je ne les ai pas vus à l'hôpital, elle avait pu passer un matin, quand les visites n'étaient pas autorisées.

- Oui, oui, répondit Maureen. Kevin grandit aussi. Ce n'est plus un tout petit bout comme Brendan !

- Alors ? Tu le trouves comment ton neveu ?

- Mignon tout plein... et très sage ! Il n'a pas bougé depuis qu'on est arrivé ! sourit la jeune femme.

- La nuit, c'est moins drôle, soupira Philip. Enfin, cette nuit, c'était moins drôle. Il s'est réveillé trois fois...

- Les premiers temps, ce sera comme ça, dit Tara.

- Oui, il va falloir s'habituer, sourit Philip. Mais c'est génial quand même...

Ils continuèrent à discuter un moment, puis Brendan se réveilla. Tara s'isola dans la chambre pour le nourrir. Pendant ce temps, Maureen offrit son cadeau à Philip.

- Je pense que tu vas aimer... J'ai essayé de me souvenir de tes goûts, de les décrire à Mickaël...

- Ce n'était pas simple, renchérit celui-ci.

Philip sortit une bouteille de whisky d'Oban de sa boîte en carton. Et émit un sifflement admiratif :

- Eh bien... Vous êtes fous d'avoir ramené ça ? C'est du très, très bon !

Mickaël sourit :

- En Ecosse, il y a tellement de bons whiskys que le choix peut être difficile, tu sais !

- Oui, mais là... Et bien, merci ! C'est un sacré cadeau de paternité ! Bon, on va préparer le repas... J'ai déjà hâte de m'en offrir un petit verre !

Le jeune papa n'était pas au bout de ses surprises quand il vit Mickaël coloniser leur cuisine et aider Maureen à préparer le repas. En fait, c'était plutôt Maureen qui l'aidait. Et il se souvint alors du métier de Mickaël.

Au cours du déjeuner, Maureen demanda des nouvelles de toute la famille à Tara. Celle-ci lui dit que leur mère avait prévu de passer dans l'après-midi, Mickaël en conclut qu'ils n'allaient pas s'attarder après déjeuner. Maureen n'avait aucune envie de croiser sa mère chez Tara. Sa sœur lui annonça avoir prévenu leur frère aîné, Kenneth, de leur venue, et il lui avait dit qu'il serait heureux de les voir.

- Tu peux l'appeler, Maureen, dit Tara. Je vais te donner son numéro. En fin d'après-midi, à partir de 16h-16h15 environ, il est tranquille au bureau.

- Oh, ça me fait plaisir, dit Maureen. Et comment va Granny ?

- Bien... Je lui ai téléphoné le soir de la naissance, pour lui annoncer la nouvelle. Elle était très émue. On ira la voir bientôt. Philip lui a déjà envoyé une lettre avec quelques photos.

Maureen hocha la tête, puis dit :

- Elle m'a écrit pour les vœux. Cela m'a fait plaisir.

- Je lui dirai que tu es venue, dit Tara. Je suis certaine qu'elle en sera contente. Elle a eu de la peine, tu sais, que tu partes.

Maureen ne dit rien, mais ne put retenir une pensée : "Je sais que j'ai fait de la peine à beaucoup de monde. Mais ma peine à moi, qui la mesurait ?"

Comme le repas s'achevait, Philip proposa un thé et s'offrit un tout petit verre de whisky. Il en proposa à Mickaël qui déclina l'offre. Puis ils quittèrent Tara et Philip, promettant de revenir le lendemain, avant de reprendre la route pour l'Ecosse en fin de journée.

**

Ce fut dans un pub non loin de son travail que Kenneth leur avait donné rendez-vous. Maureen se demanda un peu pourquoi ils n'avaient pas pu aller chez lui directement, et aussi si Kenneth voulait vraiment les recevoir. Mais elle se dit que c'était déjà un premier pas de la part de son frère, de même que les quelques lettres qu'ils avaient échangées et que cela correspondait bien à son caractère. Prudent et curieux en même temps. Elle et Mickaël s'étaient promenés un peu dans la ville pour occuper leur après-midi. Ils étaient attendus de toute façon pour le dîner chez John et Lawra.

Ils s'étaient installés à une table, avaient pris chacun une demie-pinte d'une bière rousse et attendaient. La nervosité de Maureen n'échappait pas à Mickaël et, au-delà des moments de joie avec Tara, mais aussi avec John et Lawra, il commençait à se demander si ce petit séjour était une bonne idée. Revoir sa ville natale, revivre bien des souvenirs, même si elle évitait judicieusement certains lieux, tout cela lui remémorait aussi des mauvais moments. Quant aux bons, ils lui rappelaient également qu'elle était en froid avec sa famille et qu'elle ne pourrait pas embrasser ses jeunes frères et sa petite sœur.

Il en était là de ses réflexions lorsque Kenneth arriva. Mickaël le reconnut aussitôt, pour l'avoir vu sur la photo que son "beau-frère" avait envoyée à Maureen après la naissance de la petite Solenn. Très grand, un peu plus que Mickaël, une belle barbe légèrement rousse, les mêmes yeux que Maureen, il dégageait confiance et une certaine autorité. En le voyant entrer, Maureen se leva aussitôt. Il s'approcha d'elle, lui posa deux belles et larges mains sur les épaules et l'embrassa sur les deux joues avec joie. Un grand sourire éclairait son visage franc et ouvert.

- Petite sœur ! Heureux de pouvoir te voir ce soir. Tu vas bien ?

- Oui... répondit Maureen. Je suis heureuse que tu aies pu te libérer aussi, Kenneth. Je te présente Mickaël.

Les deux jeunes hommes se serrèrent la main. La poignée de Kenneth était franche et cordiale et cela rassura un peu Mickaël. Non pour lui-même, mais pour Maureen.

- Cela fait longtemps que vous m'attendez ? demanda-t-il en prenant place face à eux.

- Non, pas trop. On a cependant pris nos commandes. Disons qu'on commençait à avoir froid à se promener dans Dublin, alors on est venu un peu plus tôt que prévu au rendez-vous.

- Vous n'êtes pas restés chez Tara ? s'étonna-t-il.

- On est passé ce matin et on a déjeuné avec eux, mais... Maman venait les voir cet après-midi, alors, on n'est pas restés, expliqua Maureen.

- Ah, je comprends, dit Kenneth en fronçant les sourcils.

Puis il passa sa commande, et revint s'asseoir rapidement avec eux.

- Je passerai dans quelques jours voir le petit. Nous l'avions vu à l'hôpital, mais je ne veux pas qu'on fatigue Tara avec toute la famille. Déjà que ça va défiler... Les premiers jours sont toujours difficiles pour cela, j'en ai l'expérience et Emily aussi ! Même si cela fait plaisir...

- Comment va Emily ? Et les enfants ? demanda Maureen avec curiosité.

- Bien, bien, répondit Kenneth. Je t'ai amené quelques photos.

Et il sortit une enveloppe de la poche de son blouson.

- Tu peux les garder, précisa-t-il. Je les ai faites en double et choisies exprès pour toi. Tu verras un peu tout le monde comme ça.

Sur les photos, Maureen put en effet reconnaître ses trois neveux et nièce, mais aussi ses frères et sœur et leurs parents.

- Papa et maman vont bien, m'a dit Tara, soupira Maureen en remettant soigneusement les photos dans l'enveloppe.

- Oui, oui. Maman est heureuse que Tara ait eu son bébé, dit Kenneth. Ce n'est pas pareil quand c'est une de ses filles et non un de ses fils...

Maureen se mordit légèrement la lèvre, puis but une gorgée de bière. "Oui, bien sûr, c'est différent... Et moi, je l'ai tellement déçue !"

Mickaël n'avait pas encore dit un mot, mais il observait Maureen, assise à ses côtés. Sa main droite n'avait pas quitté le genou de la jeune femme depuis qu'elle s'était rassise. Il décida que c'était le bon moment d'intervenir :

- Le petit Brendan est très mignon, dit-il. Et je suis heureux d'avoir pu rencontrer Tara et de faire ta connaissance aussi, Kenneth. Maureen m'a beaucoup parlé de vous tous.

- Oui, bien sûr, répondit le grand jeune homme. Tara m'a dit que tu étais cuisinier ?

- Oui, dans un des bons restaurants de Glasgow. Chef cuisinier, avec une équipe de six, plus le sommelier, les serveuses, expliqua-t-il. J'ai appris mon métier en France.

- Ah oui ? interrogea Kenneth dont l'un des sourcils se leva légèrement.

Mickaël expliqua ses origines familiales. Cela détendit un peu l'atmosphère et une légère pression de la main de Maureen sur la sienne, à l'abri des regards, lui fit comprendre qu'il avait eu raison de changer de sujet de conversation. Ils passèrent finalement un moment agréable. Mickaël se sentait à l'aise avec Kenneth, même s'il percevait une certaine distance de la part du frère de Maureen, ce qu'il pouvait expliquer aisément. Une distance qu'il n'avait pas ressentie chez Tara et Philip.

Kenneth termina sa bière, jeta un regard à sa montre :

- Ah, il va falloir que j'y aille. Emily a besoin de moi le soir. Elle savait que je te voyais, Maureen, mais je ne veux pas m'attarder trop non plus. Avec les trois petits...

- Bien entendu, sourit Maureen. Tu les embrasseras tous pour moi !

- Je n'y manquerai pas, répondit son frère en souriant. J'étais content de te revoir. Quand repartez-vous ?

- Demain en fin de journée, dit Maureen. On va voyager de nuit à bord du ferry, cela me permettra d'ouvrir ma boutique normalement mercredi matin. Et pour Mickaël d'aller à la criée, puisqu'il a échangé son tour avec son patron pour qu'on puisse rester deux jours ici.

- Ok, fit Kenneth. Je vous souhaite bon voyage alors. J'espère qu'on se reverra bientôt.

- Vous viendrez peut-être en Ecosse un jour, non ?

- Peut-être... sourit-il.

Ils sortirent tous les trois du pub, firent quelques pas ensemble dans la rue. Ils s'étaient garés assez loin. Kenneth s'arrêta le premier, près de sa voiture.

- J'essayerai de parler avec papa et maman, Maureen. Mais je ne te promets rien, dit-il en sortant ses clés de la poche de son blouson.

Elle hocha la tête :

- Oui, bien sûr, soupira-t-elle. Chacun fait du mieux qu'il peut, n'est-ce pas ?

- Oui. Allez, profitez bien de votre dernière journée ici, pour passer du temps avec Tara. Et saluez aussi Lawra et sa petite famille pour moi.

- A bientôt, Kenneth, dit Maureen.

Et il monta dans sa voiture, la démarra et s'éloigna en leur faisant un petit signe de la main. Mickaël prit la main de Maureen dans la sienne et ils continuèrent leur chemin en silence jusqu'à la voiture.

- Ce n'était pas trop mal quand même, pour une première fois que je revoyais mon frère, n'est-ce pas ? fit-elle après quelques pas.

- Je pense que oui, dit Mickaël alors qu'ils arrivaient près de la voiture et qu'il s'installait au volant. Tu vas me guider.

- Ok.

- C'est de toute façon mieux que de ne pas l'avoir vu, continua-t-il. Et puis, maintenant, il peut se faire une opinion sur moi et je pense qu'elle n'est pas mauvaise puisqu'il a dit qu'il tenterait de parler avec tes parents. Tu penses qu'ils l'entendront ?

- Je ne sais pas, répondit Maureen. Mais je lui fais confiance. Si quelqu'un peut amener papa et maman à réfléchir, c'est bien lui. Ils l'écouteront avec attention, cela, j'en suis certaine. Maintenant... Ca ne veut pas dire qu'ils changeront d'opinion pour autant.

- Mais c'est déjà un premier pas important, souligna-t-il encore.

- Oui.

Maureen n'ajouta rien d'autre, se plongea dans le silence, ne reprenant la parole que pour guider Mickaël dans les rues jusque chez Lawra qui les attendait avec impatience.

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