Chapitre 100 : dimanche 14 août 2005

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- Profitez bien de vos derniers jours ! dit Maureen en embrassant Lawra et John.

- Vous aussi, répondit son amie. Je veux un récit complet de votre escapade !

- Bon, John, le musée du whisky, à Edimbourg, faut pas le rater... dit Mickaël. Je t'ai laissé quelques autres indications aussi, pour que vous profitiez au mieux de la capitale.

- Merci. Et merci encore pour ce séjour, tu avais très bien préparé nos excursions !

Il était encore tôt ce dimanche matin, mais Mickaël avait bien en tête la nécessité de partir sans tarder pour rallier Ullapool. Lawra, John et Kevin partiraient en fin de matinée, nantis d'un généreux pique-nique, pour rejoindre tranquillement Edimbourg où ils passeraient leurs derniers jours de vacances. Ils referaient une petite étape à Glasgow avant de reprendre le ferry pour rentrer à Dublin et Lawra avait promis à Maureen de faire un tour dans la boutique pour s'occuper des plantes.

- Bon, vieux, je te confie Mummy, dit Mickaël en serrant la main de Sam.

- C'est moi qui prendrai soin de lui ! répondit la vieille dame en lui jetant un regard complice. Allez, les enfants, ne vous mettez pas en retard, ce serait idiot de manquer le bateau. Profitez-bien et revenez quand vous voulez...

- Je t'appellerai la veille de notre retour, dit encore Mickaël. Là-bas, on va camper, donc on ne sera pas à un jour près...

- Oui, oui, je sais. Mais bon, si tu veux une tarte pour ton arrivée...

- J'y compte bien ! dit-il en lui faisant la bise.

Puis Maureen lui dit à son tour au revoir et monta dans la voiture après un dernier adieu à John, Lawra et Kevin. Mickaël prit le volant et la petite voiture s'engagea sur la route sinueuse menant à Fort William.

- Quelle route prend-on ? demanda Maureen.

- On va passer au plus court, répondit Mickaël. Pour le retour, on verra. On prendra peut-être le chemin des écoliers.

Elle sourit, fixa la carte routière étalée sur ses genoux. Si, la première fois qu'ils étaient venus, elle s'était servie de celle de Mickaël, depuis, elle en avait acheté une et avait tracé au crayon les parcours qu'ils avaient déjà faits ensemble. Elle venait d'y ajouter ceux sur Mull et sur Skye.

- Tu comptes remonter jusqu'à Inverness ? demanda encore la jeune femme en voyant qu'il s'engageait déjà vers Invergarry.

- Non, on coupera avant. On va remonter le Great Glen en grande partie. Seulement, je vais prendre l'autre route que celle que nous avions suivie avec Lawra et John pour nous rendre au Loch Ness. On va le longer par la droite jusqu'à Milton. On va passer, du coup, à côté du château d'Urqhart qu'on n'avait vu que de loin l'autre jour.

Maureen hocha la tête : elle avait maintenant bien repéré le début de leur trajet, puis elle s'abîma dans la contemplation des lieux. Le temps était un peu brumeux et, au fur et à mesure qu'ils remontaient vers le nord, elle vit le ciel se déchirer et ce fut finalement sous le soleil qu'elle put admirer le Loch Ness. Quelques jours plutôt, le ciel était resté gris et couvert. Elle se dit que Mickaël, Mummy et même Véra avaient bien eu raison d'insister sur le fait que le temps pouvait changer très vite en Ecosse et, parfois, de vivre les quatre saisons dans une même journée ou presque. Et c'était encore plus contrasté qu'à Glasgow.

Elle finit par confier ses impressions à Mickaël :

- Je suis contente que Sam soit resté à Fort William...

- Moi aussi, dit-il. Mais, tu sais, ce n'est pas gagné pour autant...

- Tu as pu parler un peu avec lui ?

- Pas vraiment. Je compte sur Mummy pour cela.

- Il se confiera à elle ? s'étonna Maureen.

- Peut-être plus facilement qu'à n'importe qui d'autre... Le bon sens de ma grand-mère et son empathie sont des atouts dont Sam a besoin. Ce sont des qualités précieuses...

- Tu y as déjà eu recours, j'imagine ?

Mickaël sourit. Il aimait la façon dont Maureen exprimait sa curiosité vis-à-vis de lui-même.

- Oui, répondit-il, et notamment quand j'ai dû prendre la décision d'aller en France. Ce n'était pas facile. Mes parents m'y encourageaient, me disaient que puisque c'était ce que je voulais faire, ils étaient prêts à me soutenir, et notamment financièrement, pour que je puisse m'engager dans de telles études. Car à quinze ans, on a du mal à se projeter dans l'avenir. J'avais peur de me planter aussi. Et puis, c'était partir en "terra incognita". Nous avions eu l'occasion de rencontrer les neveux de Mummy, de voir Eric, son frère, et Jeanne, sa femme, également, lors de leurs voyages en Ecosse. Et nous leur avions rendu visite une fois, quand j'avais onze ans. Mais je partais pour une autre ville, à plus de trois heures de route de chez eux, dans un endroit que je ne connaissais pas du tout... J'allais partir seul, sans ma famille, sans mes amis. Je ne doutais pas de m'en faire là-bas, pourtant c'était vraiment le saut dans l'inconnu. Mummy m'a aidé à faire ce choix, et pas avec des paroles en l'air, un peu "banales". Non, en m'expliquant concrètement les choses, en me rappelant aussi qu'étant parfaitement bilingue, y compris à l'écrit, j'allais m'intégrer peut-être plus aisément que certains de mes camarades, pourtant Français ! Elle n'avait pas tort...

Le jeune homme demeura un instant silencieux. Mummy l'avait aussi aidé en d'autres circonstances, quand il s'était agi de quitter Ann-Aël. Il ne ressentait vraiment plus de sentiment amoureux, mais craignait de la blesser. Elle lui avait fait comprendre que c'était inévitable. Et puis, quand ce fut son tour d'être "largué", un petit séjour à Fort William l'avait remis sur le bon chemin. Il reprit :

- Elle m'a aidée aussi... Quand j'étais à Paris. J'avais rencontré une fille... qui m'a quitté au bout de quelques mois de relation. Je me sentais très amoureux d'elle, mais ça n'a pas tenu. C'était un passage un peu difficile à vivre. Notre rupture s'était déroulée au cours de l'hiver, je suis allé passer quelques vacances à Fort William... Et j'en suis revenu gonflé à bloc et prêt à repartir sur d'autres bases.

- Tu es resté longtemps à Paris ? demanda Maureen.

- Non. C'était très dur. Le rythme chez Harris est soutenu, mais il y a de la cohésion, on se complète tous bien, on est une bonne équipe. A Paris, il y avait de la cohésion et de la concurrence aussi. Je bossais dans un très bon restaurant, mais je débutais. Il fallait se faire remarquer par le chef, bref... C'était dur. Et ce n'était pas ainsi que je voulais travailler, même si j'ai acquis là-bas de l'expérience et notamment, pour les mariages des épices, certaines préparations... Au cours du printemps, j'étais de retour en Grande-Bretagne, à Londres d'abord, puis à Glasgow...

- C'était quand ? Je veux dire, en quelle année étais-tu à Paris ?

- 2000. J'ai eu mon diplôme en juin 2000, j'ai commencé à travailler à Paris dans la foulée... Et je suis revenu en Ecosse au printemps 2001.

Maureen ne dit rien, se sentit troublée... C'était à cette période de sa propre vie qu'elle avait commencé à entendre cette voix intérieure l'exhortant à partir...

**

Mickaël fit de courts arrêts pour lui permettre d'admirer quelques points de vue et ils parvinrent à Ullapool sur l'heure de midi. Ils pique-niquèrent sur le port, puis embarquèrent. La traversée durait deux heures et demie.

- Regarde bien, dit Mickaël. On va certainement apercevoir quantité d'animaux marins.

Comme ils débarquèrent en milieu d'après-midi, Mickaël avait prévu de monter tout au nord de l'île de Lewis pour commencer leur périple et de camper à Port of Ness, mais il les mena tout d'abord à la pointe vraiment au nord, un peu au-delà du petit village, jusqu'au phare de Butt of Lewis. Maureen eut l'impression de se retrouver au bout du monde, ce que Mickaël lui confirma.

- On est à l'une des pointes les plus au nord d'Ecosse, ma douce. Il y a le Cape Wrath sur le continent qui est un peu plus haut encore et, bien entendu, les Shetland qui sont vraiment très, très au nord.

Elle sourit doucement. Le vent était soutenu et balayait ses cheveux sur son visage. Elle retourna à la voiture pour les attacher et se coiffer plus aisément, puis ils entreprirent de se promener le long des falaises. Il y avait du soleil, un peu de nuages, et la mer avait une couleur magnifique qui ne fut pas sans rappeler à Maureen celle des yeux de Mickaël.

- Tu vois mes yeux dans le Loch Linnhe, dit-elle, moi, je vois les tiens ici...

**

Mickaël avait déjà eu l'occasion de venir plusieurs fois sur les îles de Lewis et Harris et il connaissait quelques personnes. Après la promenade, il mena Maureen sur une toute petite route et ils s'arrêtèrent devant une ferme. L'accueil des propriétaires y fut chaleureux, leur proposant même des oeufs et un fromage de brebis. En échange, Mickaël leur offrit du thé et un paquet de gâteaux secs artisanaux qu'il avait acheté sur Arran.

Et ils purent installer leur tente à l'abri d'un vieux mur. Ils seraient ainsi protégés du vent.

- Si vous avez besoin d'autre chose, dit le fermier, vous nous dites !

- Merci beaucoup, dit Maureen.

Mickaël avait emporté avec eux sa toile de tente et du matériel de camping qu'il laissait toujours chez Mummy. Il avait tout vérifié avant de partir et cela avait d'ailleurs beaucoup amusé Kevin de le voir monter la tente. Il y avait joué un moment. L'abri du mur leur permettrait également d'utiliser leur petit réchaud, mais Mickaël avait décidé de ne pas trop s'embêter : quand ils s'installeraient près d'un village, ils dîneraient au pub, sauf pour ce premier soir.

- Il vaut mieux prévoir de manger au chaud et à l'abri, ma douce, expliqua-t-il en installant le réchaud. Quand nous le pourrons du moins. Déjà qu'il ne fera pas très chaud sous la tente...

- Hum, en fait, ton idée de venir jusqu'ici, c'était pour qu'on s'amuse à se réchauffer mutuellement, non ? dit-elle un peu mutine.

- T'as tout compris, répondit-il en riant. Seulement, nous sommes dimanche et tout est fermé sur l'île ce jour-là. J'ai donc prévu de la soupe en conséquence. Et avec les provisions qu'on nous a données...

- Ils sont comme ça, les gens ici ? demanda Maureen.

- Oui, dit Mickaël. Je crois que tu as déjà eu plus d'une fois l'occasion de mesurer l'accueil écossais, or sur les îles, c'est encore plus marqué. On donne ce qu'on a.

- Que peut-on donner en échange ? demanda-t-elle en se glissant sous la tente.

- J'ai apporté plusieurs paquets de thés, dit-il. Et des petits cadeaux glanés à droite et à gauche.

Elle hocha la tête : elle se souvenait en effet l'avoir vu acheter du savon artisanal, des paquets de gâteaux à Fort William et sur Arran, et s'était aussi demandé ce qu'il transportait dans un carton depuis Glasgow : c'était donc les paquets de thés et d'autres petits achats qui pouvaient faire plaisir en échange d'un accueil comme celui qui leur était réservé ici.

Ils dînèrent rapidement, puis s'installèrent pour la nuit. Ils avaient rassemblé leurs deux sacs de couchage en un seul et Mickaël enveloppa Maureen de ses bras, s'emboîtant contre son dos. Malgré la clarté encore perceptible du dehors, ils s'endormirent après un câlin très tendre.

**

Alors que Mickaël et Maureen attendaient pour prendre le ferry, John, Lawra et Kevin faisaient leurs adieux à Mummy et à Sam.

- Tu viens quand tu veux à Dublin, Sam, dit John en lui donnant une franche poignée de main. J'ai une revanche à tenir...

- Je t'ai dit : je suis ton homme... Faudra attendre les prochaines vacances pour ça, c'est pas pour demain...

- Je m'en doute. Profite bien de tes derniers jours ici et bon courage pour la reprise...

- Tu connais Micky, maintenant, il va me faire trimer comme un esclave !

Lawra rit et Mummy aussi.

- Fais ton petit malheureux, dit cette dernière. Fais-toi plaindre surtout... Je vais te mettre à la dure et tu verras qui de moi ou de Mickaël est le plus exigeant !

- Mummy, dit Lawra, j'espère que vous viendrez nous rendre visite aussi !

- Ah, ma petite, déjà que je ne vais plus en France...

- Mais Dublin, c'est moins loin, fit John.

- Merci encore pour votre accueil, ajouta Lawra. Nous avons passé un superbe séjour !

- Oh, je suis toujours contente de voir les amis des enfants. Ca a commencé il y a longtemps, avec ce petitou-là, dit-elle en désignant Sam qui n'avait plus du tout l'air d'un petitou. Et si ça continue, c'est bien...

Ils lui firent la bise, saluèrent encore une fois Sam et prirent la route pour Edimbourg. Mickaël leur avait conseillé de prendre la route intérieure, celle qui leur permettrait de longer en partie le parc des Cairngorms, de passer à Pitlochry et Perth, et d'arriver dans la capitale en franchissant le Pont de la Forth, le grand estuaire qui bordait la capitale. Quand Mickaël avait proposé ce parcours à John, Sam était avec eux et avait glissé, avec malice, que le parcours les ferait aussi passer par Dalwhinnie... Ce à quoi, John avait répliqué : "Heureusement que Lawra n'a pas entendu..."

Alors qu'ils s'éloignaient de Fort William, John livra ses impressions à sa femme sur leur petit séjour :

- Je ne pensais pas qu'on aurait rencontré une personne aussi étonnante que la grand-mère de Mickaël ! Elle a sacrément la forme. Et elle m'a épaté à goûter le whisky d'Al ! Cela ne lui faisait pas peur...

- Mickaël tient beaucoup d'elle, je crois, dit Lawra. Entre la cuisine, le français, la générosité...

- Maureen est bien tombée, dit John avec philosophie.

Lawra soupira :

- Oui, et ça valait mieux, non ? Et puis, elle méritait de rencontrer quelqu'un de vraiment bien.

- P'têt que Mickaël méritait aussi de la rencontrer...

- Ca, je n'ai guère de détails sur sa vie passée... et je ne suis pas certaine que Maureen en sache beaucoup.

- Elle n'est pas du genre à poser des questions ouvertement, fit remarquer John. S'il ne lui en dit rien... elle n'en saura rien.

- Ce n'est peut-être pas très important, de toute façon. Elle est heureuse, lui aussi, cela se voit... C'est ce qui compte pour moi, tout ce qui compte.

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