Chapitre 68 : vendredi 8 juillet

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Mickaël poussa la porte du "Palais des thés". La boutique était assez grande, toute en longueur. On y entrait par le plus petit côté. Derrière un comptoir en bois poli par les ans, officiait un couple d'une petite cinquantaine d'années. Jusqu'au plafond, les étagères étaient couvertes de boîtes.

Deux clientes se trouvaient là avant lui, il attendit patiemment. Il aimait avoir son temps, quand il entrait ici, pour s'imprégner de l'atmosphère du lieu. Plus on avançait vers le fond de la boutique, moins la lumière y parvenait et il aimait ce petit côté mystérieux.

- Celui-ci contient moins d'orange, Madame, dit la propriétaire du lieu.

- Hum, et l'autre ?

- Un dosage au-dessus.

La cliente respira les deux boîtes, choisit.

- 100g, s'il vous plaît.

Mickaël observait, regardait les noms sur les boîtes, réfléchissait. Il lui fallait reprendre Subtil, en quantité. Pour sa mère, et aussi parce que c'était un de ceux que Maureen appréciait le midi. Subtil, c'était facile. Mais Soyeux... Il voulait trouver Soyeux. Pour lui l'offrir pour son anniversaire.

- Bonjour, Mickaël.

La voix de Monsieur Hornfield le tira de ses pensées.

- Bonjour, Mark. Vous allez bien ? répondit le jeune homme en lui rendant sa poignée de main.

- Oui, oui. Et toi ?

- En forme.

- Du boulot ?

- Toujours ! Surtout en ce moment...

- Que veux-tu aujourd'hui ? Corsé ? s'enquit Mark Hornfield.

- Il m'en reste. Non, j'ai besoin de refaire Subtil... Il m'en faudrait... disons, 400 g, répondit Mickaël.

- Tant que ça ?

- J'en prends pour maman, aussi.

- Aucun souci. Tes parents vont bien ?

- Oui, ça va. On devrait avoir ma grand-mère, d'ici peu. Je vais la chercher dimanche.

- Aura-t-elle le temps de venir nous rendre une petite visite ?

- C'est possible... On le trouvera ! ajouta-t-il avec un sourire malicieux.

Mark Hornfield installa un escabeau, grimpa trois marches, se saisit d'une boîte de thé, redescendit, bougea l'escabeau, remonta, prit une autre boîte. Puis il mesura. Un tiers de l'un, deux tiers de l'autre.

- Je te fais combien de paquets ? demanda-t-il encore.

- Un de 200g, les deux autres de 100, s'il vous plaît, précisa Mickaël.

Une fois le thé dans les petits sacs en papier, Mickaël demanda :

- Je cherche à en faire un autre. Il faut qu'il soit...

Il agita un peu les mains devant lui, réfléchit. C'était comme s'il cherchait le dosage précis pour assaisonner un plat. Pourtant, ce n'était pas un poisson qu'il avait devant les yeux, mais les lèvres de Maureen.

- Il faut quelque chose de doux. Un peu comme Subtil, aussi. Mais plus délicat que Raffiné.

- Houla... Ca devient sérieux, ton histoire... dit Mark qui réfléchissait en même temps.

Il connaissait Mickaël depuis longtemps, depuis bien avant qu'il ne quitte Glasgow pour la France. Déjà, à treize-quatorze ans, c'était lui qui venait acheter le thé pour toute la famille. Et si Mark Hornfield avait ouvert un petit cahier dans lequel il notait les choix préférés de ses clients, la page concernant Mickaël avait vite été remplie. Aujourd'hui, les mélanges du jeune homme étaient écrits sur six pages. Avec les dosages exacts.

- C'est très sérieux. Il faudrait aussi une pointe de fruits rouges, mais très, très légère. 10g pour 100, pas plus, précisa déjà Mickaël.

Mark reprit son escabeau, se saisit d'une nouvelle boîte.

- Est-ce que celui-ci, comme base, ça t'irait ? proposa-t-il.

- Pas mal... répondit Mickaël après s'être bien imprégné de l'odeur de ce thé.

- Sinon, je peux te proposer la même base que pour Raffiné. Du thé blanc.

- J'y pensais. Mais la pointe de fruits rouges, avec... J'ai peur que cela le casse.

- Non, car tu veux quelque chose de vraiment léger. Soit, on dose moins, soit...

A ce moment, Daisy, sa femme, qui venait de terminer de servir sa cliente, intervint :

- Et pourquoi n'ajouterais-tu pas un peu de rose ? Bonjour, Mickaël, enchaîna-t-elle en lui tendant la main par-dessus le comptoir et en lui souriant avec chaleur.

- Bonjour, Daisy, excellente idée ! s'exclama Mickaël. Oui, oui, c'est encore mieux... Et ça ira très bien avec le thé blanc. C'est une bonne piste !

- Il faut toujours se fier à l'avis d'une femme... soupira Mark en dodelinant de la tête. Bon, maintenant, on ajoute quelque chose de plus, bien entendu ?

- Forcément, répondit Mickaël en souriant, sinon, ce serait trop simple...

Il ferma les yeux, repensa au premier baiser qu'il avait donné à Maureen. Il voulait trouver quelque chose qui évoquerait cela. Il leva les mains, les yeux toujours fermés, plongé à la fois dans ses souvenirs et dans ses réflexions. Daisy sourit un peu, amusée, Mark le regardait faire. Aucun des deux ne se serait permis de l'interrompre à cet instant. Le jeune homme claqua des doigts, rouvrit les yeux et dit :

- De la pêche. Un tout petit peu de pêche. 5g, pas plus.

Cette fois, ce fut Daisy qui prit une des boîtes, rangée juste derrière elle. Et ce fut elle qui prépara le mélange des trois. D'abord la mesure précise, puis le mélange lui-même. Ensuite, elle le fit sentir à Mickaël.

- Bien, bien... oui, oui. C'est cela. C'est vraiment cela que je veux.

- Tu as le temps de le goûter ? proposa-t-elle.

- Volontiers !

Une autre cliente entra, Mark s'en occupa, pendant que Daisy passait en arrière-boutique, un recoin minuscule. Elle fit chauffer un peu d'eau, juste comme il faut. Prépara deux tasses. Elle revint au bout de trois à quatre minutes, en tendit une à Mickaël. L'autre serait pour elle-même et son mari.

Mickaël regarda d'abord la couleur du thé. Dans la tasse blanche, elle ressortait comme il l'avait imaginé. Assez claire, mais pas trop. Il huma le parfum, ferma les yeux. Il savait déjà que cela correspondait à ce qu'il voulait. Et ce fut comme si Maureen était là, à ses côtés. Il souffla légèrement sur le liquide, puis goûta. Daisy ne l'avait pas quitté des yeux durant la dégustation. Elle attendait son verdict, devinait déjà sa satisfaction. Néanmoins, le connaissant, elle se dit qu'il était capable de vouloir encore ajouter un petit, tout petit, quelque chose...

Mais non.

- Parfait. C'est parfait. Le léger parfum de rose, Daisy, c'est génial, dit-il avec un grand sourire. C'est exactement ce que je voulais et c'est beaucoup moins fort que des fruits rouges. Même moins dosé, ça n'aurait pas été aussi harmonieux.

- Tu en veux combien ?

- 400 g, en deux paquets, s'il vous plaît.

La cliente dont s'occupait Mark Hornfield le regarda de côté. Ce jeune homme intriguait toujours ceux qui se trouvaient en sa compagnie dans la boutique. Il avait une façon bien à lui de demander du thé, et sacrilège suprême ! Il osait faire des mélanges... Daisy prépara la commande.

- Il te fallait autre chose, Mickaël ? demanda-t-elle.

- Non, pas cette fois. Merci.

Daisy lui tendit la pochette en papier contenant les différentes préparations, puis goûta seulement ce nouveau thé. Elle sourit. Le mélange était réussi, en effet. Elle ouvrit alors le carnet, à la page du jeune homme, tourna quelques pages et demanda d'un ton très sérieux :

- Et on l'appelle comment, celui-ci ?

- Soyeux.

- Oh, oh, dit son mari. Joli nom... On peut savoir pourquoi ?

Mickaël sourit :

- Soyeux... comme les lèvres de la femme de ma vie !

Et il les salua d'un grand geste de la main et sortit sous le regard encore plus intrigué de la cliente, alors que Mark et Daisy échangeaient un sourire complice.

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