Chapitre 13 : dimanche 20 mars 2005 (2ème partie)

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Elle était venue.

Mais repartie. Son regard ne le quittait pas, l'envoûtait toujours. Ce gris-bleu ou bleu-gris dans lequel il avait envie de se noyer.

Elle avait pourtant accepté assez aisément de venir chez lui, ce qu'il n'aurait pas cru possible aussi vite, alors qu'elle lui apparaissait par moments comme timide. Mais elle était repartie après l'avoir remercié pour la promenade et pour les découvertes. Le thé et le dessert. En lui, tout explosait. Des découvertes, il voulait en faire plus, en découvrir plus...

Il ouvrit la fenêtre de la cuisine, se pencha un peu au-dessus de la rambarde. Elle était repartie, sa petite voiture ayant disparu au coin de la rue. La pluie tombait maintenant en un fin crachin, il n'y avait plus de bleu dans le ciel, mais qu'importait pour Mickaël. Cette couleur serait désormais celle de son quotidien.

Ce gris-bleu ou bleu-gris ?

Elle était repartie, mais il flottait encore dans l'air toute une présence.

Il fourragea dans ses cheveux, ferma les yeux. Le visage de Maureen se dessinait à nouveau à son esprit. Ses cheveux qu'elle avait laissé libres et qui flottaient doucement au vent. Cette envie qu'il avait eue d'y passer les doigts. Ils n'étaient pas bouclés comme ceux de Betty, mais il était déjà certain qu'ils étaient aussi doux, qu'il était aussi agréable d'y perdre ses mains.

Avait-il bien fait de la laisser partir ? Pourquoi n'avait-il pas proposé qu'ils se revoient ? Une autre fois dans la semaine ? Le week-end prochain ? Que faisait-elle demain ? Il savait que sa boutique était fermée... Il aurait pu proposer quelque chose. Mais il avait bien senti qu'il valait mieux ne pas insister. Comment devait-il faire maintenant ? Comment l'approcher, se rapprocher d'elle sans l'envahir ? Sans être insistant ? Sans... lui faire peur ?

Il se redressa, poussa un soupir et referma la fenêtre. Envoûtant distillait toujours son léger parfum, bien que le thé ait refroidi dans la théière. Il le respira une dernière fois avant de vider le contenu dans l'évier, rincer la théière et remettre de l'eau à chauffer. Il ouvrit le placard des thés. Il lui fallait boire quelque chose, pour se remettre les idées au clair. Pour atterrir, même si ce n'était pas l'envie qui lui manquait de s'envoler. Les boîtes glissaient entre ses mains, les étiquettes défilaient devant ses yeux. Il savait bien ce qu'il allait choisir. Il savait bien qu'il ne servirait à rien de se mentir.

Harmonieux.

Harmonieux à nouveau devant ses yeux. Harmonieux dont le parfum l'envoûtait autant qu'Envoûtant. Harmonieux dont les saveurs explosaient sur son palais, balayant tout ce qu'il avait pu goûter, tout ce qu'il avait pu vivre jusqu'à présent.

Maureen.

Et si c'était elle ?

C'était elle.

Il n'avait aucun doute. Plus aucun doute. Grâce à cette image d'elle, étendue, nue, sur un lit. S'harmonisant merveilleusement bien avec lui.

**

Elle était partie.

Mais tout se bousculait encore dans sa tête. Tout et surtout les mots de Mickaël. Et la caresse de sa main sur son poignet. "Envoûtant était plus harmonieux avec l'instant présent et avec ton regard." Comme si son regard à lui n'était pas envoûtant aussi ! Comme si son sourire ne l'était pas non plus !

Elle était rentrée chez elle et se tenait debout devant l'un des placards de la cuisine. Elle s'était dit qu'un thé lui ferait du bien, mais elle avait encore en bouche l'harmonie créée par celui de Mickaël, ce fameux "Envoûtant", et le dessert à la pomme. Et elle n'avait aucune envie de casser cette harmonie, de l'effacer. Quand bien même une partie d'elle-même s'effrayait déjà de tout ce qui était arrivé cet après-midi. Et encore plus, de tout ce qui pourrait arriver.

Il l'avait rejointe vers 14h devant le magasin. Il n'avait pas de voiture aussi avait-elle conduit en suivant ses indications, d'abord pour quitter Glasgow, puis pour remonter la vallée de la Clyde, vers le sud-est. Ils s'étaient arrêtés à Lanark, là où des chutes impressionnantes rendaient la rivière tumultueuse alors qu'elle coulait si paisible dans la ville. Et les chutes étaient d'autant plus impressionnantes qu'avec la fonte des neiges, la rivière avait grossi. Ils avaient longé la promenade aménagée, tout en parlant tranquillement. Il s'était dévoilé beaucoup plus, elle en avait vraiment appris beaucoup sur lui, bien plus que lui sur elle. Il lui avait parlé sans hésitation, racontant ses origines à la fois écossaises et françaises, sa passion pour la cuisine. Il avait parlé de ses années de formation, en France, puis de son désir de revenir travailler dans son pays.

Elle s'était sentie un peu émue quand il avait évoqué son grand-père, soldat venu participer à la libération de la France du joug nazi, en 1944, qui était reparti en Ecosse marié à cette jeune Normande qu'il avait rencontrée par les hasards de la guerre et de l'amour. Elle avait deviné des liens profonds avec cette aïeule qui, lui avait-il dit, vivait toujours à Fort William, au pied du Ben Nevis, à la porte des Highlands. Rien qu'à la façon dont il disait ce mot, elle s'était sentie comme emportée vers un nouveau voyage, en terre inconnue, mais en terre passionnée, riche.

Envoûtante.

Mais elle était partie.

Pourtant, là, maintenant, elle n'avait qu'une envie. Le rejoindre. Etre avec lui.

Elle ferma les yeux. Elle avait même envie de bien plus. Elle avait envie d'être dans ses bras. De sentir encore sa main sur son poignet et même à bien d'autres endroits de son corps. Elle avait envie de se noyer dans son regard, de se laisser envoûter par ce regard et son sourire. Elle avait l'impression, pourtant confuse, que ce regard et ce sourire étaient capables d'effacer ses souvenirs. De balayer tout le malheur qu'elle portait encore en elle.

Le soir

- Bonsoir Lawra, tu vas bien ?

- Maureen ! Quelle joie de t'entendre ! Oui, je vais bien, et toi ? Tu travailles toujours aussi dur ?

- Oui, je fais de bonnes journées... Je voulais t'appeler depuis un moment, mais avec les arrivages des premières fleurs de printemps, j'ai apporté plusieurs changements dans mes compositions, ça m'a donné du travail... Et toi, comment vas-tu ? Et Kevin et John ?

Maureen s'était finalement décidée à téléphoner à son amie. Car elle se sentait perdue après cet après-midi passé avec Mickaël. Lawra lui répondait, lui donnant quelques nouvelles. Maureen s'était à demi allongée sur son lit, adossée à ses oreillers, pour parler tranquillement avec son amie. Au bout d'un petit moment, Lawra dit :

- Bon, je n'arrête pas de parler, mais toi, tu ne m'as pas raconté grand-chose encore...

Là, elle avait le choix : soit elle disait quelque chose comme "rien à signaler, tout va bien...", soit elle embrayait. Après tout, si elle appelait Lawra ce soir, c'était bien parce qu'elle avait l'intention de lui parler de Mickaël, non ? Elle prit une profonde inspiration et se lança :

- J'ai été invitée, Lawra, tantôt. Pour une balade.

- Qui ?

- Un jeune gars qui est venu acheter des fleurs dimanche dernier, pour l'anniversaire de sa mère. Et qui me prend les invendables en semaine.

- Raconte !

Et elle raconta. Lawra écoutait, comme toujours, tout d'une traite, sans poser de questions, attendant qu'elle ait terminé. L'invitation, la balade, le goûter. Les boîtes de thé. Et même la blague de Sam qui la fit hurler de rire, Lawra ayant toujours été bon public.

- Oh, elle est trop bonne, celle-là ! Ca doit être un sacré rigolo, le Sam en question... Mais ce n'est pas lui qui t'intéresse, n'est-ce pas ?

- Non...

Et Maureen continua. Envoûtant. Envoûtant qui lui tournait dans la tête depuis... Depuis qu'elle était repartie, tout simplement.

- T'as peur ? demanda Lawra alors qu'elle avait fait silence et qu'il se prolongeait.

- Oui, répondit-elle dans un souffle.

Soupir de Lawra. Forcément. Ce salopard de Brian avait laissé trop de traces. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien dire ? Pour la rassurer ? L'aider à faire confiance ? Il n'avait pas l'air d'un mauvais gars, ce Mickaël... Mais, après tout, Brian non plus n'avait pas l'air d'un mauvais gars, seulement...

- T'es rentrée chez toi ?

- Oui, dit Maureen d'une toute petite voix.

Et là, même si elles n'étaient pas face à face, Lawra comprit.

- Et tu le regrettes ? D'être partie, je veux dire ?

Grande inspiration :

- Oui.

Puis silence.

- Mais j'ai trop peur, Lawra. Ca va trop vite. Je ne veux pas exploser... en plein vol.

- Qu'est-ce qui va trop vite ? Lui ?

- Non, même pas... Je ne peux pas dire cela... Plutôt...

- Que tout s'enchaîne ?

- Oui... reconnut Maureen.

- C'est simple, pourtant, Maureen, dit Lawra d'une voix posée, mais persuasive. Ca arrive toujours quand on s'y attend le moins. Plus tu cherches, moins tu trouves. Et puis, un matin, tu fais tes petites affaires comme d'habitude, un bouquet, deux, trois... Une fleur, une branche, une autre fleur... Et boum ! Tu l'avais pas vu venir. Lui pensait pas te croiser...

- Mais qu'est-ce que je fais maintenant ?

Maureen avait presque crié dans le téléphone. Elle était à la limite de pleurer. Mais serait bien incapable d'expliquer pourquoi.

- De quoi t'as envie, là, maintenant ? Main-te-nant.

- Juste d'être dans ses bras...

- Alors, vas-y.

- Mais je ne peux pas ! Il va se poser plein de questions... m'en poser plein aussi...

- T'es pas obligée de répondre à toutes. T'es même pas obligée de répondre tout de suite. Ca, ça pourra venir après, les explications. Et, à mon avis, des questions, il ne va pas s'en poser plein, il s'en pose déjà plein. Alors, soit tu lui laisses une chance de te les poser un jour, et toi, d'y répondre, soit... tu refermes toutes les portes. Mais plus tu verrouilleras, Maureen, plus ce sera dur à rouvrir... Et la douleur, tu as déjà eu ton lot plus que toute une vie ne peut en supporter.

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