Les fleurs, dans les jardins suspendus de Maravut, regardent les puissants comploter

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Les jardins, en ce début d'automne, exhalaient quelques doux parfums emmêlés d'embruns, les chicons volants voletaient des branches en branches, détachant au passage quelques feuilles roussies par la saison.

Louise soupira d'aise, moins pour ce spectacle enchanteur que pour la nouvelle robe qu'elle portait et qui lui donnait enfin l'impression d'être propre. Bien sûr, ses quatorze bains jouaient également, mais cette toile bouffante, ce corset bien ajusté, assorti d'une nouvelle coiffure travaillée, lui donnait enfin l'impression de reprendre pied dans le monde.

— Octine, voyons, dépêchez-vous, ma chère, lança-t-elle à sa suivante. Nous allons arriver en retard. Et nous ne voulons surtout pas être en retard.

Jouvaniance, qui s'était vu affublée d'un nouveau nom à l'embauche, trottina derrière sa nouvelle maitresse.

— J'arrive madame, mes jambes sont plus courtes que les vôtres.

— Il est vrai que vous avez atrocement rétréci depuis peu, reconnu la marquise en riant. Allons, faites un effort, les domestiques doivent se hisser à la hauteur de leur maître pour demeurer à leur service, je vous l'ai déjà dit !

— Certes, madame, renonça l'adolescente, jouant le jeu. Maintes fois, madame.

Quelle mascarade ne faut-il pas jouer pour gagner sa thune ? songea la nouvelle engagée en voyant sa maîtresse foncer tel un cheval enflammé vers le coeur des jardins ducaux.

Là, entourée des gardes et des fleurs d'automne, la duchesse humait l'air d'un air dégouté. Quand Louise apparut à l'orée de son horizon ténu – car elle avait besoin de lunettes mais ne voulait pas le savoir – elle déclara :

— Ah, vous voilà enfin ! Ce n'est pas trop tôt !

— Chère tante, s'inclina Louise, nous avons un quart d'heure d'avance...

— Quand on respecte son parent, mon enfant, on s'incline devant elle quand elle le décide, pas quand c'est l'heure ! Marchons, je vous prie.

Là-dessus, elle partit admirer au pas de course les couleurs chaudes de ses jardins frisquets. Les gardes, les suivants, suivantes, les parfums, Louise et sa domestique - même le temps -, tentèrent de lui emboiter le pas, mais la duchesse allait bien trop vite. C'est en haut d'un belvédère abrupt qu'elle s'immobilisa finalement pour toiser le troupeau ahanant qui la suivait.

— Magnifique, n'est-il pas ? commenta-t-elle, satisfaite. J'y ai mis les moyens. J'ai dit au jardinier « Les promeneurs doivent laisser échapper une larme à chaque bosquet, chaque angle, chaque tapis de fleurs, sinon... qu'ils meurent » la formule est jolie, et le travail bien fait, ne trouvez-vous pas ? Bien sûr que vous trouvez. Vos larmes en attestent.

Personne ne voulut répondre. Répondre à la duchesse était dangereux. D'un geste presque méprisant, celle-ci invita Louise à s'approcher. Arrivée au bord de la vista magnifique, la marquise ne put s'empêcher de fixer le sombre contrebas hérissé de roches détestables qui semblaient dire : "Viens planter tes froufrous et boucles blondes dans nos méchantes pointes". Peut-être même le disaient-elles vraiment, elle n'était plus sûre de rien.

— Vous venez pour l'héritage, c'est ça ? interrogea la duchesse, avec une condescendance palpable. Avouez, vous voulez l'or ducal !

— Je ne viens que pour souhaiter bonne santé à mon pauvre oncle malade, ma tante, hésita Louise, décontenancée par cette absence de formes. Vous vous méprenez, ô duchesse.

— Il va très bien, votre "pauvre oncle", méprisa sa parente. Il est juste fou. Et vous, vous n'aurez rien. Pas un kopek. Vous entendez ? Pas une microparticule de bifton de mes caisses. Mes caisses ! C'est clair ? Duflouzier, arrivez !

Duflouzier se pointa, boulier, fardes et carnet sous le bras, son regard semblait côtoyer le monde des chiffres tandis que son corps tremblait sous l'exigence.

— Dites-lui, Duflouzier, reprit la duchesse. Dites-lui que mon contrat de mariage règle d'ores et déjà toutes les questions d'héritage. Dites-lui, Duflouzier, qu'elle peut se brosser, ainsi que son père, sa mère, ses frères et ses soeurs, woho ! J'aurai le cul dans le beurre ! Moi ! Mais pas eux ! Dites-lui, bon sang, Duflouzier, au lieu de rester là, à bailler aux corneilles. Donnez-moi ces papiers, alors ! fit-elle en arrachant une large farde au pauvre matheux. C'est ici, noir sur blanc, en termes juridiques incompréhensibles, mais je vais vous les traduire, moi ! Ça veut dire : rien, niet, nada, schnoll, que dalle, pas un rond ! Vous serez pauvre. Compris ?

— Mais nous le savons pertinemment, ma chère tante, fit Louise, drapée dans une zenitude finement préparée. C'est effectivement écrit, aucun doute, et signé par le duc.

— Signé par le duc, en effet, ma petite, triompha la duchesse, en laissant tomber la farde presque sur la tête de son chambellan. Tenez, Duflouzier. Remballez-moi ça et déguerpissez. Voyez, mon enfant, d'ici vous pouvez voir le casino. Cette architecture moderne en roches granitiques, ces guirlandes de bougies - difficiles à entretenir - mais tellement jolies, ces chambres de luxes avec meurtrières et vue sur la mer ; et plus loin, ces flûtes et gabares de plaisance, ces galions grand-luxe. Tout ça, c'est le fruit de nos investissements, et ça gonflera, générera de la richesse à qui mieux-mieux jusqu'à ce que même les pauvres deviennent riches. C'est pas vous et votre famille de bras cassés qui auraient pu réaliser ça !

— Non, en effet, ô duchesse, regretta Louise avec une amertume travaillée assortie de points d'interrogation dans le regard. Une chose me chiffonne, chère tante. N'avez-vous pas dit que mon oncle était devenu fou ?

— La pauvre est ravagé de la cafetière, clairement, s'égaya la noble dame. Attendez, il prétend qu'une armée de poulpes et autres fruits de mer investissent notre donjon, même notre ville... il faut être tapé !

— Mais... ma tante, comment un homme dément peut-il être déclaré légitime en signant ce genre de papiers ? Il n'était probablement pas en état de décider de façon juste... Le roi pourrait remettre en cause ces édits.

Le regard de la duchesse cilla légèrement. Son mépris envers Louise prit quelque gallon, pour devenir une haine vaguement respectueuse. Cette pimbêche et ceux qui étaient derrière avaient plus de ressources qu'elle n'avait imaginé.

— Continuez, mademoiselle, fit-elle, courroucée.

— Il nous faut chercher les causes de cette démence d'urgence, sinon il nous faudra rapporter ce problème de succession au roi. Nous ne voulons pas être hors la loi dans notre famille. Vous comprenez ?

— Parfaitement, petite... nièce, grinça la duchesse en prenant Louise par le bras, comme si elles étaient bonnes amies. Mais, dites-moi, avec vous déjà rédigé cette missive pour notre roi ?

Elles s'approchèrent du garde-corps, les embruns fleuris fouettèrent leurs visages faussement enjoués. En contrebas, les rochers glapissaient. Ils devaient avoir faim.

— Oh, ma tante, bien sûr, s'amusa Louise en surveillant les gardes derrière – ils avaient la même carrure que Fringard – Ah... Fringard... Pardon, ma tante, je disais : oui, la missive est déjà envoyée, bien entendu. Je me suis empressée de le faire après avoir devisé avec mon oncle, vu son terrible état. Je suis d'ailleurs étonnée que vous n'en ayez pas pris l'initiative avant. Vous qui êtes d’ordinaire si rigoureuse.

— Oh, regardez, s'exclama la duchesse. Ne trouvez-vous pas que les citoyens et leurs maisons ressemblent à des jouets vu d'ici ? C'est drôle, approchons-nous. Excusez-moi, vous disiez ? Le contenu de votre lettre ?

— J'ai appris à être aussi rigoureuse que vous, complimenta la marquise tout en détaillant les profondeurs. J'ai précisé qui j'étais, ma date d'arrivée et de départ prévu, les raisons de ma présence et, bien entendu, mes soupçons. Oh mais, j'y pense, si j'avais un accident malencontreux ce serait fâcheux : la couronne aurait des soupçons inconsidérés à votre encontre. Je suis désolée ma chère tante. Je n'ai pas réfléchi !

— Ce n'est rien, mon enfant, fit la duchesse avec une douceur inquiétante. Rien du tout. Il faut faire quelque-chose, vous avez raison. J'ai laissé ce problème courir depuis bien trop longtemps. Je vais orchestrer une enquête médicale et de sorcellerie, pour trouver les causes de cette démence, afin d'établir si mon pauvre mari est bien en possession de ses moyens.

— Voilà qui est juste, ô splendide duchesse, chanta Louise en contemplant les lointains feuillages rouge sang qui lui rappelaient Fringard. J’admire votre rigueur en toute circonstance.

— Merci, merci. Mais ne me flattez pas trop, vous n'avez pas gagné, glissa la maîtresse des lieux, froidement satisfaite. Gardes ! Veillez à ce qu'elle reste dans sa chambre jusqu'à nouvel ordre ! glapit-elle, avant de reprendre, d'un sourire carnassier. Vous comprenez, nous ne voulons pas qu'un fâcheux et – comment disiez-vous ? – malencontreux accident ne vous arrive. Les gens rigoureux ne prennent en effet jamais de risques...

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