Pommes fourrées

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Louise regrettait amèrement la tournure que prenait ce voyage. Quelle idée saugrenue de quitter son comté chéri pour aller rendre visite à son oncle à demi-mourant ? Et ce, sous l'égide de l'infâme duchesse qui, il fallait bien le dire, était une femme pédante et narcissique, imbue d'elle-même et de surcroit méprisante ; ayant épousé son cher oncle dans le but de consolider un pouvoir déjà considérable et accroître le volume de ses possessions, ceci après avoir enduré – pour ne pas dire savouré – la mort de son ex-mari, le duc de Frouchte-en-Lavine.

Pour couronner le tout, voilà que son voyage, qui ne devait être qu'une formalité douloureuse consistant à s'ennuyer en étant bringuebalée le long de routes chaotiques, devenait en lui-même le lieu d'odieux calvaires.

Cette nuit encore, la honte, déjà fidèle accompagnatrice, avait gagné en force, égalant à présent les pouvoirs des saints les plus tendance. Ce ridicule ménestrel – Pralinette – l'avait réveillée en vociférant – sans égard pour ses difficultés à trouver le sommeil, prisonnière des aisselles chevalines d'Altus – en clamant à qui voulait l'entendre que « Non, ces choses-là ne se font pas ! Ah ça non, vraiment ! Pouah ! Mais alors vraiment pas de pas ! »

— Quelles... choses ? s'était enquis la marquise, le visage enfoui dans ses boucles dorées et les yeux emplis de sommeil. Le chanteur l'avait alors regardée, outré, et avait déclaré :

— Il semblerait, "madame" ! Que votre "servante" ne semble pas "réserver" ses "services" qu'à votre seule grâce !

À demi-éveillée, Louise balbutia :

— Tous ces guillemets confondent mon âme épuisée, pourriez-vous être plus clair, je vous prie, cher trouvère ?

— Madame ! ça nique dans les fourrés !

— Quoi ! Gni ! Qu... Comment ? syncopa-t-elle, avant de tomber dans de bien populaires pommes.

Le reste de l'histoire fut pour le moins brumeux, à défaut d'être trou noir. Elle se rappelait la vision d'Octine, revenue d'avoir vu le loup. Pour le moins débraillée mais l'air satisfaite, tenant des propos que Louise, bien trop choquée, n'avait pas vraiment écoutés.

Ensuite, l'image subreptice du barde tirant un chevalier des fourrés – un homme à la mine lugubre, d'allure cadavérique qui, s'il n'était pas mort, s'en approchait dangereusement –, tirant de la bouche de son amie un « bien fait ! », entraînant dans son sillage de bien sombres ruminations. Leur "bienheureux moment" semblait avoir laissé le pourceau sur le carreau... Ce qui signifiait qu'Octine... Oh non ! Se pourrait-il qu'elle soit porteuse de... de... elle ? Non pas elle ! oh, mais ! se rappela soudain Louise. Octine est un homme ! ... du coup... oh, mon... dieu !

La suite de son raisonnement la fit retourner dans les pommes qu'elle venait de quitter.

À son réveil, elle s'imaginait blottie sous de douces couvertures de soie, mais elle s'avéra être en réalité dans de beaux draps. Seule la patte massive et poilue d'Altus reposait sur elle, tandis qu'à ses pieds un chien vestige de ses malfaiteurs canins bavait en dormant. Non loin, Octine se tenait morose devant un feu mourant et pour compléter l'infâme tableau, le drôle de barde tapait, tel un sauvage des mers nocturnes fracassant son tambour de guerre, sur la poitrine du chevalier dont le nom lui échappait toujours.

Endolorie et suffoquant, la marquise s'était extirpée des poils puants du petit et du grand molosse pour sauter sur son ombrageuse suivante.

— Octine ! lui lança-t-elle en se pressant contre son flanc, avant de se rappeler ses impuretés nocturnes. Euh... mon amie... hm... vous me semblez bien taciturne ! continua-t-elle, se tenant à distance.

— Madame, avait murmuré la suivante, penaude. Avez-vous bien dormi ?

— Une horreur, ma bonne amie. Mais laissez donc... Dites-moi, plutôt : que fait donc ce curieux ménestrel en percutant drôlement la poitrine de ce mourant ?

Sa fidèle amie rougit à nouveau de manière excessive tout en lui adressant un regard noir, au surplus le jaune de sa robe lui aurait presque donné des airs d'étendard tricolore. Tel le drapeau, instable de nature, elle fila, comme emportée par les vents, pour disparaître dans le décor.

— Votre "amie", avait alors dit le barde, percutant à nouveau le torse bizarrement poilu de son camarade néantisé. Non contente de corrompre un parfait gentilhomme, lui a insufflé un mal terrible, qui n'a de cesse d'interrompre sa respiration ! Mes coups répétés ne visent qu'à le sauver !

— Faites à votre guise, répondit la marquise, nonchalante, évitant soigneusement de rajouter "je n'en ai cure".

Que diantre faisait-elle dans une scène aussi piteuse ? Pouvait-on trouver plus insupportable ? Ses pensées torturées invoquèrent alors – non pas le glorieux Château de Sainte-Sarloppe, cette fois – pas plus que l'arrivée de quelque ange bienveillant au titre pompeux – mais bien l'image d'un prince charmant, claquant sa cape blanche sur son armure d'ivoire, enchevalé sur son pur-sang de nacre, qui lui souriait de toutes ses étincelantes dents (et vu le prix des dentistes, il devait être plein aux as). Son imaginaire lui piqua autant les yeux que l'aurait fait une étendue neigeuse, aussi les plissa-t-elle vigoureusement.

— Holà, bonnes gens, fit une voix de miel.

Il est là ! songea Felna. Je suis sauvée, le prince advient, l'espoir me vient !

Mais quand ses yeux s'ouvrirent sur un manant dépenaillé qui, s'il avait l'air affable, traînait une trogne comme il en était rare. Ce laideron de première envergure, qui lorgnait discrètement sur son décolleté, reprit : « J'ai encore de la place sur ma carriole, j'peux vous déposer à la première ferme ! »

Un gueux proposait de la coucher dans du foin ? Après ce que sa compagne venait de faire dans les fourrés ? Très peu pour elle !

— Formidable ! Je monte devant !

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