Chute des corps

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Le visage de la marquise prit un teint si pâle qu'elle n'avait désormais plus besoin de fard. Son suiveur-suivante venait d'un seul coup de disparaître, elle fut prise de désespoir. Interloquée, elle chercha d'abord en tous sens puis comprit enfin que c'était à ses pieds qu'il fallait regarder. Du trou sinistre dépassait une main gantée qu'elle trouva d'une forme bien improbable.

— Octinette, c'est votre main que j'aperçois ? Êtes-vous vive ?

Pour seule réponse, une seconde main, d'allure molle, vint saisir le rebord.

« Si c'est bien vous, fidèle amie, frappez trois coups ! » ajouta-t-elle, effrayée, en imaginant que sa compagne n'avait plus de quoi s'exprimer. Son esprit voyagea vers de sombres images : le Carlin lui ayant avalé la tête ou pire, un chien déguisé en servante, essayant d'accoster.

« Je vous en prie, belle amie, dit-elle, d'une voix affolée. Ou bel ami, comme vous voulez ! Mais répondez ! »

C'est avec fracas qu'un pied, mal chaussé, vient s'ajouter à l'entrebâillement. Puis un second. Puis un troisième ! L'horreur de cette vision lui fit tourner la tête et elle en tomba en pâmoison.

Octine passa son corps de pieuvre par l'ouverture pour retrouver sa maitresse évanouie. Elle rabattit sa robe sur ses tentacules et se redonna forme humaine, puis la prit par les épaules pour lui faire recouvrir ses esprits.

— Madame ressaisissez-vous, voyons, nous sommes prises d'assaut !

Quand l'aristocrate reprit conscience, elle vit à nouveau sa servante partir en arrière. Elle eut le réflexe de vivement la rattraper.

— Octine, agrippez-vous à moi ! Mais vous êtes molle, ma parole !

— « Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent ! » grogna Thrasybule, mordant un des tentacules chaussés, depuis son trou mal famé.

— Madame... Je...

Mais sa peau incroyablement élastique commençait déjà à se fendre.

« Je... »

— Vous m'aimez ?

— Mais non ! Voyons ce n'est... AAAArrrrhhh ! rugit-elle, passant brusquement d'une voix de péronnelle à un râle de kraken.

Son membre épais venait d'être arraché.

Thérodore, le lévrier afghan aux pattes prestes et aux poils lestes, avait rattrapé le cocher auquel il promettait la mort. Mais les sabots funestes frappaient le sol avec une telle vigueur, furieux tambours battants, qu'il se demanda comment les faire taire. Il repensa à une interminable discussion avec Cynomène concernant la physis : « un corps lancé à toute vitesse est vite déséquilibré, telle est la nature du monde, ô Thérodore » lui avait dit le bichon frisé.

Il venait là de toucher, sans savoir, le glorieux monde des idées, il n'avait qu'à suivre l'impulsion et se laisser guider.

Thérodore fonça, flèche chevelue, pour devancer l'homme-cheval qui, se débattant déjà avec Anthropoclaste, l'abominable chihuahua, ne le vit pas passer.

Un hurlement bestial retentit depuis la calèche, Altus s'en inquiéta.

— Mesdames, accrochez-vous ! cria-t-il tout en essayant d'atteindre le minuscule cabot qui lui collait aux basques. L'animal semblait plus agrippé que les pires sangsues et ses propres mouvements l'empêchaient de l'atteindre. Ses dents enfoncées le faisaient de plus en plus souffrir, il songea à ses muscles, son sang... Le petit vaurien était-il en train de le lui sucer ? Il eut soudain envie de s'arrêter, pour mieux abattre sa gigantesque main sur ce moustique malaisé, mais il pensa à son chargement. Il était clairement trop vieux et trop lourd pour semer la meute, mais s'arrêter équivalait à sacrifier les deux jeunes femmes, même si le faire lui aurait permis d'enfin pouvoir les défendre.

Il vit, bien trop tard, une fourbe branche d'arbre placée en travers de sa route. Il n'eut guère le temps de se dire qu'on l'avait posée là à son égard et la heurta de plein fouet.

Thérodore contempla, babines retroussées, souriant, la Physis accomplir son fait. Qu'on ne vienne plus lui dire que la philosophie ne servait à rien et qu'elle n'était bonne qu'aux chiens !

Le centaure gisait, les quatre fers en l'air et son attelage, démantelé, n'avait pas l'air plus fier.

Ces beaux-parleurs de sophistes étaient désormais à sa merci.

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