Chapitre 34 : Quitte ou double.

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Je glissais mes lettres une par une dans la boîte, gardant la dernière en main, hésitant longuement à la déposer avec les autres.

  • Je suis impressionnée, tu as même choisi une couleur différente pour chacun d’entre eux, dit Madame Karen qui m’observait depuis un moment pour être certaine que je les lui donnait toutes. Je suppose que la rouge est pour Blear ? Je sais que c’est un exercice compliqué, mais c’est une manière de déposer vos sentiments, de tourner une page, vois ça comme tu veux ! Mais je tiens vraiment à ce que tu le fasses jusqu’au bout, ajouta-t-elle en me faisant signe de l’envoyer dans la boîte.
  • J’ai déjà mis ma lettre pour Blear dedans. En fait, je lui en ai écrit deux et celle-ci est un peu plus…
  • Spéciale ? dit-elle à ma place.
  • Oui, soupirais-je, et je crois que j’aimerais lui donner l’original, plutôt qu’une simple copie.
  • Vous êtes vraiment tous les mêmes, pouffa-t-elle en attrapant son front d’une main, pas un pour rattraper l’autre !
  • Est-ce que vous dites ça à cause de moi ? intervint Chuck qui vint déposer aussi une dernière lettre à l’égard d’Elliot.
  • Tous, chacun d’entre vous à déposer une copie au lieu de la lettre originale, mais c’est pardonner, l’idée est là. Puisque tu en as écrit deux, je ne vois pas d’inconvénient à ce que tu lui donnes celle-ci en main propre.
  • Et quand suis-je censé lui donner ? m’irritais-je soudainement.
  • Demain, au bal ? essaya Chuck.
  • Bien sûr, je vais m’interposer entre elle et John, lui donner et ciao ? La glisser sous sa porte serait plus simple, décidais-je.
  • Mais quel trouillard ! Je te croyais plus courageux, comme hier quand tu as dit : on ne peut avoir tout ce qu’on veut dans la vie”. Eh oui, ce n’était pas très subtil !
  • Arrête Chu…
  • Je dois dire que je suis étonné que tu n’ai même pas essayer de l’inviter au bal, avoua-t-il d’un air très déçu.

Je le regardai ébahi, ne comprenant plus mon meilleur ami pour quelques instants. Madame Karen se faisait plus petite, analysant clairement la qualité de notre conversation.

  • Je m’attendais à ce que tu te battes pour elle, pour passer une dernière soirée ensemble…
  • Mais je n’ai pas le droit !
  • Et en quoi tu n’as pas le droit ? Quand on veut quelque chose, il suffit de le prendre, ou du moins de le réclamer. Demander ? Tu préfères ? fit-il quand je lui présentais pour seule réponse un haussement de sourcil. Penses-y Dossan, après le bal, il est fort probable que tu ne la revois plus avant un long moment. Tu veux vraiment la quitter comme ça ? Des suites des préparations du bal et “ciao”, comme tu le dis si bien ? fit-il en déposant deux doigts sur sa tempe pour les faire filer d’un geste.

Je me grattai intensément la tête en écoutant son discours. Il avait raison de dire que je regretterais de ne pas avoir passé une dernière soirée en sa compagnie, mais comment pouvais-je ne serait-ce qu’espérer l’accompagner au bal ? Nous avions tellement de souvenirs du premier, de l’année qui suivit. Je me voyais très clairement lui demander de m’accompagner, mais je ne serais capable de me prendre un râteau. Je m’imaginais aussi bien l’arracher à John-Eric le temps d’une soirée, mais mon respect pour lui s’avéra trop grand.

  • Écoute Chuck…
  • Nan nan nan ! Pas de ça avec moi, ne me dis-tu pas que tu n’as jamais imaginé un seul instant profiter d’encore un moment avec elle ? m’agressa-t-il de son doigt sur mon front.
  • Des tas de fois ! Mais Chuck, qu’est-ce que je peux y faire ! C’est bien trop égoïste ! m’écriais-je en rejetant sa main.
  • Si tu ne fais rien, tu ne la verras plus ! Tu n’auras même pas l’occasion de lui dire au revoir ! À partir de demain, c’est fini ! Que ce soit pour le bal ou même pour simplement lui donner cette lettre, tu vas laisser les choses planer comme ça ? Tu vas le regretter toute ta vie, je te l’assure.

Ces mots s’avéraient être une torture, ils se bousculaient dans ma tête et je sentais la pression monter. Depuis le temps que j’avais peur que ce jour vienne, il arrivait finalement le lendemain. Je voulais lui dire au revoir, la regarder dans les yeux une dernière fois avant qu’on aient officiellement quitter l’école. Madame Karen m’observait avec beaucoup d’attention et n’intervenait pas dans notre débat. J’aurais voulu quelle dise quelque chose, qu’elle me guide, mais ce n’était pas son rôle. Je levais mes yeux sur son visage qui attendit alors que je m’exprime.

  • N’est-ce pas trop égoïste de la vouloir à mes côtés une dernière fois ?
  • Ça l’est, mais c’est ton choix et le sien également. Si cela te travaille, tu n’auras pas ta réponse avant d’avoir essayé.

Je pris cette déclaration au pied de la lettre et me précipita vers la porte menant à l’extérieur du bâtiment. Il était déjà tard et le temps de rentrer à l’internat, il serait plus de vingt-heures. Je me retournai alors vers Chuck.

  • Daddy, tu peux me prêter la limousine, please ?
  • Allez, on rentre, roula-t-il des yeux en faisant un signe à Madame Karen qui était chargé de fermer tous les locaux et la grande salle où aurait lieu le bal.

***

À la lumière de sa lampe de chevet, Blear tapotait son cahier du bic qu’elle tenait du bout des doigts. Depuis qu’elle était rentrée dans sa chambre, les boules de papiers s’accumulait sur son bureau pour finir dans la poubelle. Elle passa ses doigts délicats dans sa chevelure marronne et tordit ses lèvres pendant qu’elle réfléchissait.

John-Eric sortit de la douche pour la découvrir dans cet état et se sentit coupable pendant un instant d’être celui qui résidait à ses côtés. Il alluma la grande lampe pour attirer son attention et s’empressa de lui faire un câlin. Elle déposa sa tête contre son ventre, l’entourant de ses deux bras et fit aller les roulettes de sa chaise. Elle poussa alors un grand soupir qu’il tenta de comprendre en attrapant son menton pour lui relever le visage. Il voulait l’embrasser, mais dans cette situation, il manquerait de tact. Jetant un œil aux nombreuses feuilles gaspillés, il tenta de la convaincre en un regard :

- Tu veux en discuter ? Ça fait déjà un moment que tu es là-dessus, ajouta-t-il en montrant le cahier du doigt. Est-ce que c’est la lettre pour Dossan qui pose problèmes ?

- Non, je…

Mais elle n’arriva pas à finir sa phrase, abaissant ses belles prunelles sur le papier vierge pour y déposer un autre soupir.

- Tu as passé ces deux derniers jours à écrire des lettres pour tes amis, s’il t’en reste une, alors c’est forcément pour lui. Blear, je sais que ça te met dans une situation difficile, mais cette psychologue est réfléchie. Je pense aussi qu’il est nécessaire pour vous tous de faire le point sur vos sentiments. Vous avez été ennemis, ensuite amis, et de très bons amis même. Certains d’entre vous ont été amants et tout d’un coup, les lois ont décidés de vous séparer. Je peux ressentir votre frustration, alors je n’image ce qu’elle représente quand on est dans votre “tête”. C’est une bonne thérapie et aussi, un très beau geste, de vous avoir incité à écrire ces lettres, même si c’est difficile de trouver l’inspiration, plaisanta-t-il.

- Ce n’est pas un manque d’inspiration, rechigna-t-elle.

- Je sais, c’est un souci de formuler ce que tu ressens, acquiesça-t-il. Je te connais bien ma petite Blear, ajouta-t-il en lui faisant un bisou sur le front. Quoi que tu veuilles lui dire, écris-le et avec l’esprit tranquille, car je sais ce que tu ressens pour lui.

- Je suis désolée, frémit-elle, c’est toi que je mets dans une situation difficile…

- Non, non, nous sommes une équipe et je veux te soutenir dans cette épreuve.

- Mais je ne la surpasserai pas, je suis désolée, vraiment…

- À quoi penses-tu ? demanda-t-il péniblement en passant une mèche derrière son oreille. Dis-moi ce qui te fait si mal, tu peux tout me dire.

- Mes sentiments pour lui, renifla-t-elle, ils ne s’en vont pas, ils sont là et je… je l’aime tout simplement, mais tu es là, et je t’aime aussi ! Je te respecte, tu es mon confident, tu es ma béquille… John-Eric, je t’assure, mais je l’aime, sanglota-t-elle, et quand je me dis que dès demain, tout sera fini, je n’arrive tout simplement pas à trouver les bons mots ! s’énerva-t-elle en envoyant valser son bic.

- Calme-toi, fit-il en lui prenant doucement les mains.

- Je suis une personne horrible, je me déteste de te dire ça !

- C’est, commença-t-il, les larmes aux yeux, toujours difficile à entendre et à accepter de savoir que le premier dans ton cœur est un autre. Mais dans notre situation, le mieux que je puisse faire c’est de continuer à te soutenir et à t’aimer. Parce que je t’aime, Blear, je t’aime à la folie et je ferais n’importe quoi pour te rendre heureuse. Seulement, je dois avouer que te partager n’en fait pas partie…

- Même si c’était simplement le temps d’une soirée ? osa-t-elle en frottant ses yeux rougis.

Blear regretta ses derniers mots dès l’instant où elle vit son regard se briser pui s'assombrir. Blessé, il baissa les yeux et fronça durement les sourcils. Elle tendit sa main dans sa direction pour l’empêcher de partir, mais elle comprit qu’elle devait le laisser seul.

- J’ai besoin de prendre l’air, grogna-t-il avant de claquer la porte derrière lui.

Se promener en pyjama dans les couloirs ne faisait réellement pas partie des habitudes de John-Eric, mais la rage lui ayant sauté à la gorge, il avait préféré se calmer à l’extérieur. Il la revoyait, rejouait ses mots dans son esprit. Était-ce peine perdue ? L’idée qu’elle ne soit jamais pleinement heureuse à ses côtés, le détruisait. Il chassait la montée de ses larmes par quelques battements de cils, serrant les poings pour rester fort. Il savait, depuis la première fois qu’il les avait vus ensemble : il savait qu’elle serait incapable de l’oublier. Il pensait aussi pouvoir le supporter, mais cette réflexion fut celle de trop. Comment pouvait-il le surpasser ? Comment arriver à la faire sourire ? Il chassait également ce genre de pensées, se convainquant de rester l’homme honnête qu’il était. Parce que leur relation était impossible, il devait la soutenir. Il lui avait promis à elle et il lui avait aussi promis à lui. C’est quand le visage de Dossan qu'il voyait dans son esprit apparut devant lui qu’il crut être en plein cauchemar. Celui-ci s’arrêta, essoufflé et très étonné. Les deux garçons se regardèrent longuement en chien de faïence. John fit le premier pas, comme toujours, parce que Dossan se sentait toujours trop fautif pour le faire.

  • Tu allais voir Blear ? demanda-t-il sans pincettes.
  • Non… Je… Enfin, oui… Je crois, balbutia-t-il en recoiffant ses cheveux noirs.
  • Ou bien c’est à moi que tu voulais parler ? Si tu as quelque chose à dire, dis-le, ajouta-t-il agacé.
  • Tout va bien ? Tu as l’air énervé ?
  • Je le suis, mais ça n’a pas d’importance. Donc comme je disais, si tu as quelque ch…
  • J’ai une question pour toi, se précipita-t-il.
  • Je t’en prie, grinça-t-il en tentant d’esquisser un sourire, allez ! s’impatienta-t-il en le voyant hésiter.
  • J’ai… j’aimerais avoir Blear pour moi, juste le temps d’une soirée, ajouta-t-il rapidement en découvrant la colère de John. Je sais que c’est vraiment très égoïste comme demande, mais j’ai beau me convaincre que tout ira bien, j’ai l’impression que si tout doit se finir demain, alors il faut que je passe mes derniers instants dans cette école avec elle ! Peux-tu le comprendre ? Si je m’en vais d’ici, sans avoir passé un dernier moment avec elle, je n’arriverais pas à aller de l’avant. Je le regretterais toute ma vie et… c’est ce que nous voulons tous les deux non ? Que j’avance ? Pour tenter d’être heureux, même sans elle, le temps de…
  • Le temps que tu reviennes me la prendre c’est ça ? Dossan, combien vais-je devoir encore te donner pour que tu sois satisfait ? Je te donne la main et tu manges le bras, n’est-ce pas trop demander ? J’ai donné de moi pourtant et de bon cœur, parce que je te respecte et que je t’apprécie !
  • Je le sais, moi aussi ! Mais je t’en supplie, juste une dernière soirée, pour que je puisse lui dire au revoir...
  • La ferme !

Dossan sursauta, surpris de l’agressivité qu’il montrait, quelque chose l’avait forcément contrarier. En fait, il ne supportait pas son regard suppliant, le même que lui avait offert Blear quelques instants plus tôt, prouvant davantage qu’ils n’étaient qu’une personne. Il chassait encore une fois les flashs qui le rendait si coupable et le foudroya subitement d’un regard noir en pointant un doigt menaçant sur son torse :

  • Une soirée, UNE !
  • John…
  • Et j’ai une requête, ajouta-t-il de son air fier.
  • Tout ce que tu veux, souffla Dossan qui vivait ces meilleurs instants.
  • Pas de sexe, gronda-t-il en le regardant de haut en bas.

Il n’en revint pas que la requête soit si simple, encadrant la moitié de son visage de ses deux mains. Il trépigna sur place et le remercia d’un regard purement sincère, de toutes ses forces. Faisant une courbette, tellement il était heureux, il ne put s’empêcher de brandir son plus beau sourire en lui faisant un signe tremblant. Quelques secondes plus tard, il avait détalé comme un lapin, comme s’il y avait une urgence. John-Eric, abandonné au milieu du couloir, se surprit lui-même d’avoir sacrifié leur bal de fin d’année. Il tapa dans une porte qui ne tarda pas à s’ouvrir violemment et s’enfuit à son tour après s’être excuser.

À nouveau essoufflé, Dossan arriva dans l’autre bâtiment jusqu’où il avait couru pour se retrouver devant la porte de son meilleur ami. Chuck l’ouvrit et l’accueillit d’un sourire.

  • Tu te souviens quand tu disais que tu ferais n’importe quoi pour moi ? Eh bien, je vais avoir besoin de toi, et un peu de ton argent aussi, pouffa-t-il.
  • Tout ce que tu veux, bonhomme !

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