Chapitre 28 : la force d'aimer.

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Une journée fraiche de janvier, tandis que j’observais les flocons de neige rejoindre le sol de la coure déjà recouverte d’une couche blanche, mes yeux s’arrêtèrent sur quatre silhouettes qui s’animaient de plus en plus.

- Tu as fait quoi ?! rugit Elliot.

- J’ai payé les professeurs pour qu’il lui donne toujours la moyenne, avoua honteusement Chuck, faisant voler d’un coup de main les flocons qui trônait dans ses cheveux mauves.

- Mais Chuck, ce n’est vraiment pas la solution, se désespéra Michael. Je me disais bien que c’était étrange qu’il réussisse ses examens avec autant de facilité...

- Qu’est-ce que je pouvais faire d’autre ?!

- Tu pouvais faire tellement d’autres choses ! Mais tu ne l’aides pas en agissant de la sorte, s’indigna Louis.

- Non, non, marmonna Elliot, il ne pouvait rien faire d’autre, parce qu’il a un putain de problème de contrôle !!

- Mais écoutez-vous ! J’aurais dû rester sans agir ? J’ai peut-être un souci de contrôler les choses, mais si je le laisse accumulés les jours d’absences et les mauvaises notes, son père…

- Arrête avec tes excuses ! La seule raison pour laquelle tu le protèges depuis toujours c’est parce que ça te rend puissant ! Tu fais ton intéressant, ta béa...

- C’est faux, et tu le sais, grogna-t-il. N’est-ce pas normal de faire tout mon possible quand je sais que son père pourrait à tout moment le battre ?!

- Il est peut-être temps d’agir en bonne circonstance, il mériterait d’être dénoncé…

- Non, ils nous en voudraient à vie…

- Parce que tu penses qu’il ne t’en voudrait pas de savoir que tu as marchandé sa réussite ? lui lança alors Elliot.

- Tu… Vous ne comprenez rien ! Si pour vous, je dois arrêter de protéger mon ami, alors nous n’avons plus rien à faire ensemble, balança-t-il à son tour, tirant sa révérence.

- Et tu crois qu’il ne s’en est pas rendu compte ? Réussir alors qu’il ne travaille pas, tu crois qu’il n’a pas compris que tu es derrière tout ça ? Dans ce cas, il profite pleinement de toi ! l’arrêta Michael.

- Eh bien, qu’il profite !! se retourna-t-il pour confronter les yeux de son ami, mais il tomba sur ceux de Blear, un peu plus loin.

Alors que ses trois compagnons le regardaient avec dédain, Blear s’avança doucement dans la neige, laissant un grand filet d’air volé au-dessus de sa tête. Elle se saisit de son bras et l’emmena plus loin, trouvant réconfort sur son épaule. Chuck et Blear n’avaient jamais été réellement proches, jusqu’au jour où cette promesse fut prononcé quelques mois plus tôt. Dès lors, ils partagèrent ce sentiment d’abandon ensemble, entre damnés. Ils se sentaient tellement démunis, alors qu’ils nageaient dans toutes les richesses du monde.

Plus loin, lorsqu’il fut apaisé, le temps de la remettre à son actuel amoureux arriva plus vite qu’il ne l’aurait voulu. Doucement, ils partagèrent un regard profond.

- Est-ce que j’ai tort ? De croire qu’il reviendra et de le couvrir ? lui demanda-t-il fort inquiet.

- Nous avons tous des défauts et des faiblesses, la tienne est admirable, répondit-elle simplement.

Il la remerciait de ne pas le juger trop sévèrement et elle le graciait de ne pas abandonner celui qui les avaient quittés. John-Eric se joint alors à eux, récupérant sa promise d’un geste affectueux. Lui et Chuck n’échangèrent de mots, simplement des hochements de têtes respectueux. Main dans la main, gantées, il l’amena jusqu’à son lieu de rendez-vous. Je les aperçus de dos dans le couloir, proches, et leur dire bonjour sur mon passage. Entrant dans mon bureau, je laissais le temps à Blear de m’y rejoindre.

- Tu es certaine que tu ne veux pas que je t’accompagne ? lui demandant John, caressant sa nuque délicatement.

- C’est une séance privée, nous mangerons ensemble ce soir, d’accord ? fit-elle en déposant un tout léger baiser sur ses lèvres.

S’installant à mon bureau, je lui proposais une tasse de cappuccino qu’elle entoura de ses mains de porcelaine. À s’en méprendre, j’avais l’impression d’accueillir une vieille amie à prendre le thé.

- Quel est le programme aujourd’hui ? me demanda-t-elle en soufflant la fumée qui montait jusque son petit nez rougi par le froid.

J’avais déjà abordé tellement de sujet avec Blear, à propos de sa première grossesse, de son premier amour et de ses parents infâmes. Dieu qu’ils ne m’entendent pas, je me permettais de le dire seulement très fort dans ma tête. Nous avions travailler sur l’acceptation d’avoir un enfant à l’âge de treize ans, sur l’éducation de son enfant alors qu’elle en était encore une elle-même et sur la douleur de garder un secret aussi lourd à porter. Nous avions dû gérer sa peine de ne plus pouvoir être en contact avec John-Eric et l’empêcher de craquer tout en lui permettant de s’offrir des pauses. Quand elle découvrit le bonheur avec Dossan, c’est des conversations sur la honte d’être aussi heureuse et la crainte de le perdre qui prônait. Maintenant que c’était le cas, pendant des mois, elle me fit part de sa souffrance. Elle ne s’en remettrait jamais, et même si elle refusait de le mettre en mots, elle l’aimait encore, profondément. Comment soulager sa peine ? Trouver des solutions hormis le passage du temps ? Et je doutais que les années l’aident à guérir de cette peine de cœur. Le retour de John-Eric, sa bataille pour elle, les sentiments qu’elle lui portait, l’idée de repartager le même lit, nous parlions de tout. Mais elle avait beau se confier, de plus en plus librement, je sentais qu’elle n’abaissait pas toutes ses barrières. Qu’est-ce qu’elle gardait encore en elle et qu’elle ne voulait pas me dire ? Qu’est-ce qui l’angoissait tellement pour me montrer un visage aussi complexe, à la fois désarmé et méfiant.

- Est-ce que tu voudrais que l’on discute de quelque chose en particulier ? J’ai l’impression que quelque chose te tracasse, ajoutais-je en la voyant se forcer à réfléchir.

- Les tracas sont nombreux, ce n’est pas une première, répondit-elle assez fièrement.

- Ils le sont tellement que tu arrives certainement à contourner le sujet dont tu ne veux pas parler, ai-je tort ?

- Pourquoi… pourquoi est-ce que je ferais ça ? Je ne suis pas une manipulatrice ou…

- Ce n’est pas ce que je dis, est-ce que tu as l’impression de me manipuler ?

- Non ! Je veux dire non, bien sûr que non, se reprit-elle.

- Je ne t’accuse de rien, simplement en y réfléchissant un peu, nous avons beaucoup discuté de ta peine de cœur, de John-Eric et du fait d’avoir un deuxième enfant avec lui...

Je la vis pâlir à ce moment-là, ne sachant laquelle de ses trois personnes l’embêtait le plus. Le peu de conversation que nous avions eut sur ce dernier point, me poussa à croire que le bébé en préparation était le problème.

- Nous nous sommes peu concentrés sur ton deuxième enfant, je me demande comment ça a pu m’échapper à ce point ? Je ne connais même pas son sexe, après quoi, dis-je en déposant mon regard sur son gros ventre, six mois ?

- Cela va faire six mois, oui, et c’est un garçon, répondit-elle d’un ton plus froid.

- N’as-tu pas envie d'en discuter ? Quelles que soit tes craintes, nous pouvons surpasser ça ensemble. Tu sais, que ce soit Eglantine, Katerina ou Marry, elles étaient toutes tracasser par l'arriver de leurs fils et aujourd'hui, elles semblent assez épanouies...

- Mais vous savez, se précipita-t-elle, ce n’est pas mon premier, fit-elle alors en prenant un air pincé.

- C’est bien pour ça que nous devrions en discuter, l’accouchement ? Tu ne le redoutes pas ? Est-ce que ça ne te replonge pas à l’époque où tu avais peur du moment ou...

- Non, me coupa-t-elle, non, tout va bien.

- Accoucher n’a rien et d’agréable pour moi la première fois, ça ne peut pas être pire cette fois-ci. Et puis, cette fois, mes parents l’attendent avec impatience, donc, tout va bien.

Je la regardais glisser une mèche de cheveux derrière son oreille, se frotter les lèvres compulsivement, sans savoir où déposer ses mains à cause de son ventre qui prenait trop de place.

- Blear, je te connais depuis que tu as treize ans, ce qui veut dire que ça fait un bon bout de temps que je sais quand tu mens. Peut-être que tu ne t’en rends pas compte toi-même, et que tu refuses de l’entendre, mais je sais que tu ne me dis pas tout. Qu’est-ce qui cloche avec cet enfant ? demandais-je dans l’espoir de la faire réagir, puis en m’étonnant des larmes qui grimpèrent instantanément dans ses yeux. Blear, tu sais que tu peux tout me dire ? Que tu peux te confier ici ? Je ne te jugerais jamais, je suis là pour que nous discutions de ce qui te fait peur. Si ce que tu as à me dire te mets dans un tel état, alors dis-le-moi.

Elle laissa tomber ses épaules si fières, s’affaissa contre le dossier de la chaise, tout en pointant son ventre de ses deux mains qu’elle n’osait visiblement pas toucher. Les doigts crispés, le front plissé de douleur et une grimace apparente, elle rassembla tout son courage pour me dire ces mots larmoyants :

- Je n’en veux pas, hoqueta-t-elle, je ne veux pas de cet enfant, répéta-t-elle alors en fondant en larmes. J’ai beau essayer de me dire que tout ira bien, que j’arriverais à l’élever comme pour Billy, ce n’est pas la même chose !

- Qu’est-ce qui est différent ?, demandais-je difficilement, peiné par ses mots.

- Je ne l’aime pas, couina-t-elle. Madame, je ne l’aime pas et je n’en veux pas ! Je ne sais pas quoi faire pour aimer cet enfant, pour… Non, quoi que j’envisage, même quand j’essaye de l’imaginer dans mes bras, ça me donne… tout simplement envie de… de… je ne sais pas…

- Je sais que c’est difficile, mais essaye de m’expliquer. Dis-moi ce que tu ressens et pourquoi tu penses que c’est différent ? Il y a bien une raison à ces pensées, tentais-je de la calmer.

- Avec Billy… j’étais jeune et effrayée, j’avais peur quand j’ai compris que j’étais enceinte. J’avais peur que mes parents me haïssent, que John-Eric m’abandonne, du regard des autres et de devoir accoucher ? Quand ils ont dit que je devais le garder, ça m’a fait tellement souffrir, mais j’ai appris à l’aimer et à le vouloir, parce qu’il… venait du fruit de notre amour avec John-Eric, mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas ! Je n’ai jamais voulu d’enfants parce que je ne voulais pas donner un héritier à mes parents ! Je ne voulais pas d’enfants parce que j’aurais l’impression de… de simplement signer un contrat avec le diable et de lui donner une fois que l’affaire était faite. C’est ça, en fait, c’est ça ! Billy est né hors des lois, mais celui-ci, ce n’est que l’objet du désir de mes parents. Ce n’est que l’héritier qu’il attendait temps, dit-il avec dégoût. Comment pourrais-je aimer un enfant pareil ? L’enfant d’un homme que je n’aime même plus ?! Et je me sens… je me sens tellement coupable de ressentir autant de haine, pour un être qui n’a jamais demander à vivre… Que devrais-je dire à John-Eric ? Il m’en voudra tellement, s’horrifia-t-elle en plongeant son visage dans ses mains. Qu’est-ce que je dois faire ? Je vous en prie, dites-moi ce que je dois faire pour… pour l’aimer ou au moins l’accepter, finit-elle en me suppliant de ses yeux désespérés.

- C’est beaucoup d’informations, déglutis-je, mais nous allons reprendre point par point et calmement tout ses tracas, dis-je alors en me saisissant de sa main. Mais sache Blear que j’ai foi en toi, que j’ai foi en l’amour que tu porteras à ce bébé, si j’ai foi, insistais-je en la voyant secouer frénétiquement la tête. Parce qu’il y a quelque chose qui prouve que tu l’aimes déjà ne serait-ce qu’un peu et c’est le fait que tu souhaites l’aimer, ne penses-tu pas ?

Elle serra simplement ma main, hocha à moitié la tête, peu convaincu de la théorie que je lui exposais. Au milieu de la séance, avec son consentement, j’appelais John-Eric qui l’attendait à l’extérieur pour lui faire part de ces nouvelles. J’eus droit aux larmes du couple le plus puissant de notre pays et en les regardant, je me confortais dans le fait de croire que sans amour, le monde serait triste à pleurer.

Quand ils sortirent de mon bureau, collés l’un à l’autre, j’espérais qu’il trouverait le temps de se pardonner. Et comme si le destin s’amusait avec mes pieds, je m’étouffais presque en découvrant Dossan qui se tenait au milieu du couloir, comme geler. Lorsque Blear lui fit un léger geste à son égard, par pur réflexe, il fuit tel un chat noir dans la nuit. Elle se retourna alors pour me jeter un regard désolé, se retenant de pleurer davantage. Je vis de l’exaspération et beaucoup de colère chez John-Eric, tandis que je comprenais que je venais de louper une chance unique d’avoir une discussion avec Dossan.

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