Chapitre 20 : Parfum.

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- Dossan ? Dossan, ça va ?

J’ouvris les yeux d’un coup pour découvrir la vilaine tête fatiguée de Pierre. En transe, je fixais la croix attachée à son oreille qui se mouvait de droite à gauche tel un pendule hypnotisant. Il passa une main sur mon épaule, approchant son visage un peu plus du mien d’une expression inquiète. Mon nez se rétracta à l’odeur de son souffle. Les relans d’alcool remontèrent dans ma gorge et je me relevais d’un coup sec portant ma main à ma bouche. Je ne sentais plus un muscle dans mon corps, pendant que j’attrapais ma tête dans l’espoir de me rappeler de la soirée que nous avions passée. Pierre s’installa sur le fauteuil et glissa sa contrebasse à ses pieds, faisant résonner les grosses cordes avant de les changer. Les notes frappait mes tempes que je massais frénétiquement. Au petit rictus qu’il eut, je jurais.

- Putain, pourquoi tu m’as réveillé ?!

- T’aurais dû te voir mec, j’ai eu peur pour toi… T’avais le sommeil super agité, j’ai cru que tu nous faisais une crise. T’as fait un mauvais rêve ou quoi ? me demanda-t-il en faisant aller les coupants de sa pince à cordes.

- Un mauvais rêve ? Non… Pas vraiment, répondis-je en tentant de m’accrocher à un souvenir.

- Chelou quand même, tu te souviens de quoi ? Moi j’ai fais un rêve, bon dieu j’aurais voulu ne jamais en sortir ! Faut croire que mon esprit est plutôt doué pour imaginer des bombasses, si tu vois ce que je veux dire, plaisanta-t-il en mimant une grosse poitrine de ses deux mains. Do’ ? T’es sûr que ça va ? Tu t’es rappelé d’un truc ? m’harcela-t-il en me découvrant livide.

- Oh la ferme Pierre !

- Mais dis-moi…

- C’était un bête rêve sans importance ! Laisse-tomber !

Je m’enfuis dans la salle de bain, les sourcils presque joint à cause de mon mal de crâne. Devant le miroir, j’observais mes cernes, la pâleur de ma peau. Quand est-ce que cet enfer allait s’arrêter ? Je m’arrêtais de suite sur le parfum qui ornait le lavabo. Il devait appartenir à une des filles qu’ils avaient ramenées. Je le prenais dans ma main, le serrait, pensant que ses monstres ne devraient pas porter la même odeur “qu’elle”. Je ne pus résister à lancer une pompe dans l’air pour la renifler dans la seconde d’après. Pierre débarqua dans la pièce quand il entendit les fracas.

- Pouah, ça pue ! C’est horrible, qu’est-ce que t’as fait ?!

- Il m’a échappé des mains, grognais-je en le poussant à mon passage pendant qu’il regardait la bouteille brisée au sol avec effroi.

***

Je n’oublierais jamais la chaleur de sa peau contre la mienne, de sa douce poitrine frottant sur mon torse nu et l’odeur de ses cheveux chatouillant le bout de mon nez. Frissonnant, Blear se lova dans mes bras, la tête enfuis dans le creux de ceux-ci. Elle grognait dans son sommeil contre le froid jusqu’à ce que je la recouvre de la couverture qui s’échappait du lit. La lumière du petit matin s’échappait des volets pour éclairer nos deux corps entrelacés dans les draps. Elle se refusait d’émerger, se blottissant un peu plus contre moi et emmêlant ses jambes dans les miennes. Elles étaient si douces, comme tout le reste de son corps. Le lit duveteux, sa présence, tout m’appelait à rester à tout jamais dans cette position. Je déposais un baiser sur son front qui se plissa au contact de mes lèvres. Quelques secondes après, je découvrais ses yeux bleus aux fragments de noisettes s’ouvrirent sur les miens. Elle me lança un petit sourire gênée, se retirant légèrement de mon étreinte. Je l’attrapais et la serrait fort au point de l’étouffée. Des petits coups de retraite sur mon épaule m’obligèrent à la laisser respirer. Le genou qu’elle glissa jusque le haut de mon entre-jambe croisa ma fougue du matin. Je rougis, honteux de ma condition, mais elle l’accepta d’un rire.

Sa timidité lorsqu’elle passait délicatement ses doigts sur mon torse, puis sa témérité quand elle les glissa sous l’élastique de mon boxer me rendit fou. J’embrassais ses lèvres, déposant mes mains à mon tour sur ses courbes. Mon nez contre le sien, nous les frottions l’un à l’autre. Je la sentais plus à l’aise et vint les mauvaises pensées : je n’étais pas son premier.

Elle avait connu John-Eric avant moi et ils avaient eu un enfant ensemble. Je n’aurais osé lui montrer ma jalousie à son égard. Sujet sensible, c’est pourquoi elle avait toujours eu peur de se donner à nouveau. Même si la principale raison résidait dans notre folie pour l’autre. J’aurais aimé connaître ce plaisir de tenir la personne que l’on aime dans ses bras, de s’y loger chaudement, de ne devenir “qu’un”, bien plus tôt. Mais je savais que je n’y aurais résisté. La rage montait rien qu’au fait de penser qu’un autre découvrirait ce plaisir en sa compagnie. Je me tournais sur le dos, une main derrière la tête. Blear déposa la sienne sur mon bras et passa sa main sur mon torse. Je croisais à nouveau son regard, je sentais qu’elle voulait dire quelque chose.

- Hier soir, rougit-elle en abaissant son regard, je… c’était vraiment bien...

C’est donc ça que ressentait un homme lorsqu’il se faisait complimenter sur ses performances ? Je compris mieux l’égo de certains. Ces mots me firent sourire et je tentais de m’en cacher. Quelle nuit merveilleuse, nous avions passés. J’en rêvais encore, remémorant chaque baiser, chaque caresse comme s’il ne s’agissait que d’une illusion.

- Tu étais magnifique, chuchotais-je.

- Car je ne le suis plus maintenant ? fit-elle mine de bouder.

- Tu l’es encore plus, ris-je sur le même ton, déposant un baiser dans son cou.

Mais j’avais beau avoir la tête dans les nuages, ceux-ci se dissipaient peu à peu, me ramenant à la dure réalité : les grandes vacances avaient sonnés à notre porte et qui sait ce qui s’y déroulerait. Nous n’étions pas censés rester ensemble et Blear devrait s’entretenir avec ses prétendants. Je ne savais même pas si elle en avait plusieurs. Pourquoi ne pouvais-je pas la garder juste pour moi ? Ces pensées me torturait, me donnait la sensation d’être le cochon qui entend les cris de ses congénères avant d’être emmener à l’abattoir.

- À quoi penses-tu ?

- Au fait que je dois finir mes valises, mentis-je déraisonnablement.

- C'est vrai, ils viennent te chercher pour midi, fit-elle en baissant les yeux de tristesse. Quelle heure est-il maintenant ? Moi, ils viennent en début d’après-midi.

- Presque neuf heures…

- Alors on a encore un peu de temps pour se câliner ?

Je la reprenais dans mes bras pensant à la notion du “temps”. Il avançait cruellement vite, que ce soit durant cette année passée ensemble ou dans ce lit que nous partagions sans doute pour la dernière fois. Lorsque le réveil sonna une heure plus tard, je me décidais à en sortir, l’abandonnant derrière moi. Elle se releva soudainement, somnolente et quitta les draps à son tour, les embarquant autour de son corps. Pendant que je m’habillais, elle vint s’accrocher à ma taille, déposant sa tête dans mon dos. Il était d’autant plus douloureux qu’elle me retienne de cette manière. Je me retournais pour la saisir, pour forcer le passage d’un baiser. Ne me montre pas un visage si désolé, ce n’est pas encore la fin. Je me refusais de lui dire au revoir maintenant.

- Les vacances seront longues sans toi à mes côtés, mais je serais patient, lui confiais-je.

- Dossan… Tu sais que…

- Je ne veux rien entendre, on se revoit en septembre, d’accord ? dis-je en l’attrapant par la nuque, collant mon front au sien.

- Oui, répondit-elle d’une voix brisée.

Chaussures aux pieds, je me dirigeais jusque dans la salle de bain pour me rafraîchir le visage. Alors que je relevais mes mèches sur le haut de mon crâne, je la vis dans le miroir, toujours entourée de ses couvertures, me regardant d’un air affligeant. Elle se colla encore une fois à mon dos, déposant un baiser sur mon épaule. Et avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, elle attrapa le parfum à côté de sa trousse à maquillage pour m’en asperger compulsivement. J’éternuais en sentant l’effluence croître dans mon nez et la regardait ensuite déconcerté.

- Si tu ne le laves pas, l’odeur devrait rester longtemps. Comme ça, tu auras l’impression d’être avec moi. Non tu sais quoi, je te donne la bouteille, fit-elle comme pris d’un éclair de génie.

- Blear, tu peux la garder…

- Non, prends-là ! me supplia-t-elle presque.

Pensait-elle que j’allais l’oublier ? J’acceptais le cadeau sans rechigner davantage et le rangea dans la boîte qu’elle me donna pour le protéger. Toutes mes affaires sur le dos, je restais longuement au pas de la porte. Baisers, câlins, caresses, regards, mots d’amours, ils étaient infinis. Je n’en aurais jamais assez, réclamant plus de sa tendresse et inversement. Je dépassais le chambrant de sa porte, m’amenant dans le couloir et reculait à tâtons sans la quitter des yeux. Il n’était pas encore l’heure de se séparer, juste de s’éloigner le temps de deux mois. Ses doigts frôlant les miens, je lui fis un signe de tête avant de poursuivre mon chemin. Elle acquiesça à son tour, refermant la porte pour ne pas me voir partir.

Plus tard, dans ma chambre, quand vint l’heure de descendre devant l’internat pour que mes parents me réceptionnent, je jetais un dernier coup d’œil par la fenêtre. À travers ses rideaux, j’aurais juré voir sa silhouette m’épiant. Par réflexe, je déposais mes doigts sur mes lèvres, puis sur le carreau, espérant que ce baiser l’atteigne.

Les “vacances” commencèrent alors, entre les visites chez mes grands-parents, les cours préparatoires pour la cinquième et ceux de guitare en cachette. Quand mon père disparaissait au bar, je sortais l’instrument, jouant toute ma frustration dessus. Sous les encouragements de ma mère, je prenais de temps en temps le téléphone en main, mais jamais je ne passais l’appel. Je n’en reçus aucun en retour. Alors la nuit, je me délectais de son odeur restante sur mon t-shirt. Lorsqu’elle commença à disparaitre et que je m’apprêtais à y remettre du parfum, je n’arrivais pas à appuyer sur vaporisateur. Ce fut le même jour que ma mère vint me voir dans ma chambre après une annonce à la télévision.

- Mon chéri, je dois te dire quelque chose qui concerne… ta petite amie, commença-t-elle doucement.

- Non…

- Chéri, je sais que…

- Non, je ne veux rien savoir, dis-je d’un ton sec.

- Mais elle…

- Est-ce que ça concerne son futur mari ?! Oui ? Alors je ne veux rien savoir ! Nous… Nous en parlerons à la rentrée… Pour le moment, elle est encore… à moi… d’accord ? insistais-je quand elle refusait mes mots d’un “non” de tête.

- D’accord… D’accord, petit corbeau, fit-elle d’un ton abattu avant de me prendre dans ses bras.

Je m’y réfugiais comme lorsque nous nous réconcilions après une dispute quand j’étais petit. Sa main dans mes cheveux, un baiser sur le front, maman me réconfortait pendant que la seule essence qui coula ce jour-là, fut mes larmes.

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