Chapitre 17 : Saveurs.

9 minutes de lecture

Comment revenir à un bon vieux pinard après avoir goûté un grand cru ? Aux crevettes grises quand le homard apparaissait sur un plateau d'argent ? Aux tissus synthétiques quand on dormait dans les plus beaux draps de soie ?

Marry remuait ses légumes à la vapeur dans son assiette, plantant sa fourchette ensuite dans le steak royal qui la ragoutait plus qu’autre chose. Les saveurs manquaient depuis qu’elle avait goûté aux siennes. Chuck l’avait enivré autant qu’un vin rouge de bourgogne. Aucune odeur n’égalait celle qui se dégageait de ses cheveux éclatant, de son cou dans lequel elle s’était plu à plonger ses crocs. Aucun regard n’égalait la férocité du sien. De ses yeux qui la transportaient surplombés de ses sourcils farceurs qu’il arquait sans cesse pour la taquiner. Sans parler du sourire au coin qu’il arborait sans cesse.

Engloutissant un paquet de carottes, elle remonta ses prunelles vertes, la fourchette toujours dans la bouche, sur le garçon assis sur la chaise en face. Si simple, c’est ce qu’elle pensait de ce énième prétendant. Aucune classe, ajouta-t-elle en le voyant s’essuyer la bouche avec sa serviette pleine de sauce. Jamais Chuck n’aurait approuvé qu’elle côtoie un tel porc, le seul qu’elle fréquentait s’appelait Elliot. Et c’est parce qu’elle adorait ses blagues salaces.

Elle s’enquit d’un gloussement en pensant au roux, s’estompant les lèvres par à-coups comme pour donner une leçon de politesse au garçon qui osait à peine la défier du regard. La conversation ne suivait pas entre eux, reprise par leurs parents respectifs qui échangeaient de faux sourires. Ce dîner était une catastrophe, si bien que le couple Stein les mis à la porte plus tôt que prévu.

- Mon Dieu, grogna sa mère, mais quel désastre ! Je dois dire que je commence sérieusement à désespérer quant à lui trouver un époux, enchaîna-t-elle comme si Marry n’existait pas.

- Celui-ci était de ton choix, pourtant. Tu disais qu’il était parfait, mais ça ne concernait que le compte en banque de ses parents, la remit-elle à sa place.

- Oh ma fille ! Si tu n’étais pas aussi difficile…

- Et si tu n’avais pas écarté les meilleurs partis de peur que je te dépasse ! Rassure-toi, je suis presque certaine d’être plus puissante sans homme, la menaça-t-elle.

- Mesdames, les rappela à l’ordre son père d’un grondement. Je crois au fait que nous allons trouver quelqu’un de correct. Marry, quant à toi, j’aimerais que tu sois plus indulgente envers tes prétendants. Celui-ci était bel et bien une catastrophe, mais il y en avait de très bons. Tu ne peux pas tous les refuser, viendra le moment où tu devras prendre une décision.

- Il ne s’agissait que de pâles copies de Chuck Ibiss, fit-elle en levant les yeux au ciel. Parce que nous avons eut une relation ils croient qu’en l’imitant, je vais être intéressée.

- Tu devais l’être beaucoup plus avec le vrai…

- Miranda ! Arrête donc d’insinuer de telles horreurs ! J’ai eu confirmation des plans du fils Ibiss. Si nous voulons prendre le dessus, il est temps d’agir. Figure-toi que je connais bien l’un de ses investisseurs, j’ai de quoi négocier. Et rien de tout ça, ne serait possible sans le talent et l’ingéniosité de notre Marry, ajouta-t-il en attrapant celle-ci par les épaules.

Fière d’être complimentée par ce père trop absent, Marry lança un sourire satisfait à son hypocrite génitrice. Ses magnifiques yeux luisaient d’une petite étincelle qui appartenait à la vengeance. Il aura suffi d’une action pour que son père change de camp en sa faveur. Les Stein fonctionnaient de cette manière, rejoignant les plus fortes troupes pour mieux les faire exploser de l’intérieur. La famille implosée depuis déjà longtemps, il n’y avait rien à détruire. Il n’y avait que le profit et le fantasme de dépasser les Ibiss qui sévissait. Depuis qu’elle lui avait ramené ses plans, il la couvrait de compliment.

- Il est vrai que tu as prouvé ton efficacité ma fille, mais tu as besoin d’un homme. Au moins pour qu’il te donne un héritier et t’accompagne dans les futures prouesses que tu réaliseras. J’espère que les fils des Genets vont te plaire. Ce sont des jumeaux, mais ils sont très différents. Deux pour le prix d’un, ils viennent demain en matinée, je te conseille donc d’aller te coucher.

Des jumeaux ? La cerise sur le gâteau ! Certains parents n’avaient donc aucun scrupule pour lui proposer des frères ? Repensant aux siens, elle se dit qu’elle avait hérité des pires. Tout compte fait, ce serait peut-être amusant de voir ces deux garçons se battre pour tenter de la conquérir. Après ceux qui tentaient désespérément d’agir comme Chuck dans ce but précis, elle ne ressentait plus vraiment de gêne.

***

Le lendemain matin, Marry prit tout son temps pour descendre rejoindre les invités qui les attendaient sur la terrasse où ils prendraient le thé. Elle pointa finalement le bout de son nez, dans une robe fleurie à volants, les boucles d’or scintillante après les avoir soignées. Elle traversa la véranda, s’armant d’un grand chapeau blanc au passage pour se couvrir les yeux du soleil matinal.

En arrivant, les deux frères en costumes se levèrent instantanément au signe que leur fit leur mère. Notre blonde prit plaisir à les voir se courber, plongeant leurs têtes blondes vers le sol. Il est vrai qu’il ne se ressemblait pas comme deux gouttes d’eau, mais il y avait tout de même quelque chose de troublant. L’un se voulut plus cendré, très souriant et conquis par la beauté de Marry. L’autre dont les cheveux se faisait aussi doré que les siens, semblant plus sur la réserve. Elle le remarqua tout au long de leur entretien. Tandis que son frère lui posait mille questions, se mettait en valeur par son éloquence et sa confiance. L’autre n’agissait que lorsque sa mère lui glissait une main sur l’épaule.

- Notre cher Will aussi est très doué en sport, s’en allait-elle.

Il répondait plutôt brièvement, esquisser des sourires forcés et nécessaires. Marry se vexait de son comportement et de ses quelques soupirs qui la mettait hors d’elle. Alors que son moulin à parole de frère ne pouvait plus s’arrêter, débutant une tirade de compliments, elle se perdit dans ses pensées. Est-ce qu’il s’agissait là d’une combine de la part des parents ? De demander à leurs enfants d’agir de manière opposée pour qu’elle s’intéresse à l’un et à l’autre ? Non, il semblait vraiment se faire chier. Pourquoi l’avoir emmené dans ce cas ? Par simple courtoisie ? En un sens, elle sentait que sa mère misait clairement sur le plus rayonnant de ses fils. Celui-ci montrait beaucoup d’impatience.

- Marry ? entendit-elle soudainement. Que dirais-tu que nous allions nous promener dans les jardins ? Je pense qu’un cadre plus intime nous permettrait de mieux apprendre à nous connaître.

- Tout à fait, faisons-ça avant de partir pour le tennis. Nous aurons un tête-à-tête tout à l’heure, ajouta-t-elle en faisant un signe au fils taciturne.

Le supplice fut long. Il ne s’arrêtait jamais de parler, même dans la voiture pour aller jusqu’au terrain où ils jouèrent quelques parties de tennis. Encore une fois, William à la crinière d’or ne montra que peu d’intérêt pour le jeu. Profitant d’une pause, tant dans le jeu que de son frère, Marry pris les devants en le défiant en un contre un. Cette fois un peu plus concentré, il l’écrasa à plate couture. Essoufflée, Marry prit de grandes gorgées, sous les regards de leurs parents qui allaient et venaient dans les avenues. Alors que le bavard ramenait sa fraise à toute vitesse, elle s’enquit d’attraper son adversaire par le bras.

- Je crois qu’il est temps que l’on discute, tu me suis ? l’invita-t-elle d’un regard insistant.

La mère des jumeaux les regarda s’éclipser à l’intérieur du bâtiment blanc avec étonnement. Son frère lui semblait bouder de ne pas avoir pu venir la chatouiller de ses nombreuses idées.

Chacun, un petit pot de glace à la main, ils s’assirent l’un en face de l’autre. William commença à chipoter avec sa petite cuillère dans la crème qui ne lui faisait pas envie. Marry avait l’impression de se revoir au souper du soir précédent.

- Elle ne te semble pas bonne ? J’ai pris framboise parce que la vanille avait un drôle d’aspect, commença-t-elle. Ou alors ça n’a rien avoir avec la vanille et tu voudrais simplement rentrer chez toi ? ajouta-t-elle pour attirer son attention.

- Exact, répondit-il franchement.

- Si je m’attendais à ça, gloussa-t-elle. Tu n’essaies même pas de cacher ton ennui, je dois avouer que je suis un peu déconcertée. Je ne te plais pas ? demanda-t-elle en s’accoudant à la table, léchant sa petite cuillère sans le quitter des yeux.

- Tu es, hésita-t-il, la personne la plus séduisante que j’ai rencontré de toute ma vie.

- Alors pourquoi tu ne me fais pas la coure comme ton frère ? fit-elle en arquant un sourcil.

- Je crois que personne ne peut te donner ce que tu cherches réellement…

- Et puis-je savoir ce que tu insinues par là ? demanda-t-elle en relevant le buste d’un air à la fois intrigué et suspicieux.

- Je ne sais pas ce que tu as dit à tes parents, mais nous savons tous à l’école que ce qu’il y avait entre Chuck et toi était réel.

- Il y a des sujets dont…

- Ne te méprends pas, ce n’est pas une attaque. Et je ne suis pas intéressé, à l’inverse de mon frère. Je crois qu’il aimerait vraiment que ça fonctionne, dit-il d’un air désolé.

- Et toi qu’est-ce que tu en penses ?

- Aucune chance, dit-il d’un ton catégorique de son visage neutre dont Marry détaillait les mâchoires dessinées.

- Je parlais de toi, ricana-t-elle. Il me semble que tu es fort concentré sur ton frère, je me trompe ? Pourquoi ne pas penser uniquement à toi ? Si tu avais quartier libre, tu ferais quoi ? Est-ce que toi aussi tu crois pouvoir dépasser le grand Chuck Ibiss ?

- Non, je n’y ai jamais vraiment pensé et je crois que je rentrerais chez moi pour mettre fin à cette mascarade.

- À être trop honnête, tu vas finir par blesser mon égo ! Si je te la donnais, tu ne saisirais pas ta chance ?

- Si, parce que mes parents le voudrait sûrement…

- Penses à toi ! Pas à ce que veulent tes parents ou ce que veut ton frère, ou encore de ce qu’ils ont décidés de mettre en place pour vous. Ou plutôt pour lui, rectifia-t-elle. Il est clair qu’il compte sur lui pour me séduire. Je me demande ce que ça doit faire d’être toujours à la seconde place ? Parce qu’il s’agit de ça, n’est-ce pas ?

- Qu’est-ce… Non, fronça-t-il les sourcils.

- J’ai pourtant l’impression que tu as toujours été celui mis de côté, à tel point que tu te protèges en ne voulant pas voir que tu as toutes tes chances. Tu te fourvoies sur ce dont tu as réellement envie.

- Comment peux-tu en être si certaine, si je ne le sais pas moi-même ?

Marry se leva de sa chaise d'un dandinement, enveloppant son petit pot de glace entre ses mains. Il la regarda faire le tour de la table d’un air interrogateur, presque troublé. Elle le regardait de haut, plongeant ses yeux coquins dans les siens. William tentait de garder un visage neutre, mais le pli sur son front montrait son inconfort. La puissante Marry Stein lui avait retourné la tête en cinq minutes et il doutait maintenant de ce dont il avait réellement envie ou pas. Elle s’assit sur le rebord de la table et mélangea sa glace fondue à l’aide de sa petite cuillère. Un long filet en dégoulina, qu’elle s’empressa d’envoyer valser au travers de la table. Will ne broncha presque pas, déposant simplement ses yeux sur sa glace dont le blanc se teinta de rouge. Il les releva alors vers ce faux visage d’ange aux filets d’ors qu’il ne savait guère s’il l’appréciait, tant sa frimousse se tordait de plaisir.

- Laisse-moi donc m’être un peu de saveurs dans ta vie, William Stein, rétorqua-t-elle en se saisissant de son pot dont elle mélangea les couleurs pour former un rose à peine visible.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Redlyone. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0