Chapitre 3 : Sous-condition.

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Habituellement, Michael perdait rarement son sang froid. C’était un garçon calme et réfléchi. Il trouvait toujours le moyen de rationaliser ses tracas. Et de nous tous, il était le plus neutre, gérant les conflits avec beaucoup d’aplomb. Sa bonne contenance nous avait permis plus d’une fois de ne pas nous emporter dans des situations stressantes. C’est bien grâce à lui qu’Elliot ne m’en avait pas voulu à mort lorsque Katerina m’avait embrassé. Il détestait les disputes, sensible comme un agneau. Sa douceur nous régalait autant que sa gentillesse.

Il n’y avait qu’une chose, ou plutôt une personne, pour laquelle il se mettait dans tous ses états. En effet, les seules fois où nous l’avions vu repousser toutes ses qualités c’est parce qu’Eglantine entrait en compte. Ce ne fut donc pas étonnant de le découvrir en détresse après qu’il nous ait annoncé sa disparition.


Le couple avait ses habitudes, surtout depuis ce fameux voyage en Espagne. Après s’être unis sous la chaleur des îles Canaries, ils dormaient quasiment tous les soirs dans la chambre de l’autre. Ainsi donc, après chaque journée de cours et après avoir fait leurs devoirs, ils se rejoignaient. Ce soir là ne fut donc pas une exception, mais à l’inverse de la précipitation habituelle de sa copine pour venir l’embrasser, il ne trouva que le silence. Elle n’était pas là et il n’avait aucune idée de la raison. S’il y avait eut une urgence, elle aurait trouvé le moyen de lui faire savoir. Il pensa directement que quelque chose n'allait pas parce qu'elle ne laissait jamais rien au hasard et ce n'était pas le style d'Eglantine de disparaître sans rien dire. Il alla voir dans le parc en premier, peut-être qu'elle se promenait, mais elle n'y était pas. Il se dit qu'elle devait être avec Katerina ou dans une des chambres des filles, mais elle prévenait toujours dans ces cas-là Alors il s'empressa d'aller les déranger à cette heure tardive. Elle n'était nulle part et l'angoisse commençait à monter. Il demanda aux garçons, mais c'était certain qu'elle ne serait pas en leur compagnie. Dernière tentative, il demanda à la dame de l'accueil de l'internat et il eut enfin un semblant de réponse.


- Je ne peux pas te donner cette information, répondit-elle d’un ton strict.

- Vous ne pouvez pas ?! J'ai le droit de savoir où se trouve ma petite amie !

- À ce que je sache, jeune homme, elle n'est pas censée l'être. Et si j'étais toi, je ferais attention, rétorqua-t-elle d'un ton plus aimable que méchant cette fois.

- Que voulez-vous dire ?

- C’est familial, c’est tout ce que je sais et je ne pourrais en dire plus.

- Qui est venue la chercher ? S’il vous plait, imaginez que ce soit votre mari ou votre petit copain, vous seriez inquiète…

- Je ne serais pas inquiète s’il était avec ses parents…

- Alors ce sont ses parents ? Ça doit être important pour qu’ils prennent la peine de se déplacer, réfléchit-il à voix haute. Est-ce que vous savez pourquoi ils sont venus ?

- Non, et même si je le savais, je ne me mêlerais pas des affaires d’une famille Richess ! C’est ce travail qui contribue au bonheur de ma propre famille, alors ne m’en demande pas plus.


Il n’insista pas davantage, ayant pitié de la pression que ressentait cette pauvre femme. Tout ce qu'elle avait vu c'était Monsieur Akitorishi se présenter à la réception, demandant la clé de la chambre d'Eglantine d'un geste. Elle lui avait donné sans rechigner, c'était un ordre après tout. En redescendant dans le hall un quart d'heure après, sa fille a bout de bras, elle comprit la gravité de la situation. Son père avait déposé un chèque dans la poche de sa veste, juste derrière son badge. Ils fonctionnaient comme ça, balançant leur argent pour faire taire un acte. Je me demandais ce qu'on pouvait ressentir en étant riche au point de pouvoir payer le silence des gens qui nous entoure. Était-ce vraiment plus simple ? Je ne croyais pas en ce mode de vie même si mes amis en étaient parfois adeptes.


Michael n'eut aucune nouvelle les jours qui suivirent. Il était tellement désespéré qu'il demanda à notre équipe de fouineur professionnel de faire des recherches. Chuck et Marry lui annoncèrent tristement qu'ils n'avaient rien à lui servir. Il était désemparé. Au début, Alicia, Louis et moi-même avions du mal à comprendre ses réactions. Nous pensions qu'elles étaient un peu excessive, mais au fond il restait calme en comparaison à ce qui l'attendait. J'appris que pour un enfant Richess, le fait que ses parents se déplace en personne pour le ramener à la maison, n'était jamais bon signe. Le stress de Michael se répandit jusqu'à dans la tête des autres Richess. Au fond, ils avaient tous peur de la même chose, mais n'osaient en dire un mot. Blear m'ouvrit les yeux : "Imagine qu'ils soient au courant de leur relation". Je pensais que c'était impossible, mais en même temps il y avait tant de risques. L'école entière savait qu'ils devaient se taire au risque de subir les foudres des Richess que ce soit maintenant ou dans le futur. Mais qui sait qu'un professeur ou un élève aurait vendu la mèche ? Je commençais à me rendre compte. Et si je perdais Blear ? Je ne le supporterais pas. C'est donc ce qui terrorisait Michael, l'idée de ne plus revoir sa douce, sa princesse, la femme de sa vie.

Il finit par craquer le vendredi matin, assis à côté d'Elliot en classe. Il était faible de par ses nuits sans sommeil. Le roux le fit sortir de force pour l'amener dans le couloir. Il ne voulait pas prendre l'air. En fait, il n'arrivait plus à réfléchir sans Eglantine auprès de lui. Sans savoir ce qu'il l'avait éloigné au point qu'elle ne puisse lui en donner la raison. Son ami essayait de le rassurer.


- Mik', je te promets que ça va finir par s'arranger.

- Tu n'en sais rien, ne dis pas ça, souffla-t-il.

- Il y a sûrement une bonne raison à son absence, tu verras…

- Je ne veux pas me faire de faux espoirs !

- Et je ne veux pas que tu vois le négatif avant toute chose !

- Et s'ils savaient…

- Non… Non, ils ne peuvent pas savoir, murmura Elliot d'un air très inquiet.

- Ce n'est pas impossible…

- Bon sang, tais-toi, fit-il en le serrant dans ses bras.

- Et si…

- Je te dis de te taire, le coupa-t-il en refermant plus fort son étreinte.


La vérité c'est qu'Elliot avait aussi peur que les autres. Il refusait simplement d'accepter cette réalité et tentait de raisonner son ami. Pendant qu'ils s'enlaçaient, ils entendirent des bruits de pas se diriger rapidement dans leur direction. Michael leva la tête par-dessus la haute épaule d'Elliot et se figea dans ses bras. Une petite femme en tailleur sur talons et à la chevelure brune apparut dans le couloir. Elle s'arrêta et regarda à deux fois les garçons, comme si elle venait de voir un extraterrestre.


- C'est une plaisanterie ? s'offusqua-t-elle.

- Maman ? répondit Michael d’autant plus surpris.

- Il ne manquait plus que ça, grogna celle-ci en s'avançant vers lui d'un pas précipité et rigide.

- Mais… qu'est-ce que tu fais ici ? s'inquiéta-t-il en se délogeant d'Elliot qui le tenait toujours.

- Penses-tu que la question soit adéquate ? Tu rentres à la maison, répondit-elle en lui attrapant le bras.

- Qu'est-ce que vous faites ?! s'énerva Elliot en l'agrippant à son tour, puis en le protégeant de sa carrure.

- Tu ferais mieux de le lâcher tout de suite, s'éleva une voix masculine.


Un homme simple apparut dont la colère se lisait pourtant sur son visage. Il rejoignit sa femme, fixant Elliot d'un visage fermé. Celui-ci ne voulait pas lâcher son bras.


- Je te conseille vivement de ne pas t'interposer, Michael a déjà assez de problème pour le moment et visiblement plus que je ne le pensais, fit-il d'un ton très sérieux. Lâche-le et je ferais peut-être abstraction sur ce que je viens de voir.

- Comme si j'allais...

- Elliot ! C'est bon, souffla-t-il.

- Je n'en reviens pas, je n'en reviens pas ! répéta sa mère en détresse. Mais qu'est-ce que ça veut dire… C'est du grand n'importe quoi, ajouta-t-elle en les dévisageant tout deux.

- Nous réglerons ces détails à la maison, maintenant viens Michael, lui ordonna-t-il d'un mouvement de tête.

Les parents d'Eglantine étaient venus la chercher en début de semaine et maintenant les siens. Il espérait vraiment que ça n'ai pas de lien, mais il savait qu’il avait tort. Après un long trajet silencieux, ils attaquèrent le sujet une fois arrivée dans leur demeure.


- Nous avons appris que tu fréquentais la fille des Akitorishi, commença son père. Pas besoin de le nier, nous avons des preuves, un tableau de vous deux en Espagne.

- Un tableau ? s'étonna Michael qui tentait de garder sa droiture habituelle.

- Une peinture ! Regarde-moi ça, s'énerva sa mère en sortant la copie de son sac à main. Tu peux nous expliquer ?!

- Tout est dit, répondit-il en admirant la toile. Nous sortons ensemble, ajouta-t-il en ne pouvant s'empêcher d'esquisser un léger sourire après avoir vu un tel chef-d’œuvre.

- Plus maintenant, les Akitorishi ont récupéré la toile pour dix mille euros et ils veulent remboursement. Ils ne te laisseront plus la voir et c'est ce que nous souhaitons aussi. Est-ce que tu te rends compte des conséquences de vos bêtises ? lui demanda son père droit dans les yeux.

- Je… m'en rends compte, fit-il en passant sa main sur la moitié de son visage.

- Tu ne serais pas triste aujourd'hui, si tu n'avais pas péché hier.

- Je sais mais je n'ai pas pu m'en empêcher, expliqua-t-il les larmes aux yeux.

- Eh bien, j'espère que tu as bien profité parce que c'est fini. Nous allons réparer tes erreurs et on te trouvera une compagne convenable.

- Ce sera toujours elle… c'est la femme de ma vie…

- Espèce d'impertinent ! s'énerva sa mère en s'apprêtant à le gifler.

- Pas de violence, l'arrêta son père.

- Mais si vous me laissez la voir une dernière fois… Je ferais ce que vous voulez. Oui, si je peux lui dire au-revoir…

- Ils ont été clairs, grogna sa mère.

- Nous trouverons une solution, il vaut mieux qu'ils coupent les ponts d'eux-mêmes, rétorqua son père.

- Merci, souffla-t-il en se retenant de pleurer, la feuille tremblant dans ses mains.

- Quoi que tu prévois de lui dire, il n'y aura pas de retour en arrière, même à l'école. Ils ont mis au courant les professeurs qu'ils n'accepteraient plus de telles cachotteries, vous serez surveillés. Et je compte faire ce qu'il faut puisqu'apparemment tu possèdes un lien tout particulier avec Elliot Fast, ajouta-t-il en arquant le sourcil.

- Pourquoi ne pas le laisser en dehors de ça ? Ce n'est pas comme si je risquais de faire ma vie avec lui, c'est simplement un bon ami.

- Écoute-toi parler, un bon ami ? Non, les autres Richess ne sont pas tes amis, ils te trahiront à un moment donné ou un autre. Il n'est pas question que tu continues de les fréquenter. Et j'espère sincèrement que tes bêtises ne se limite qu'à ces deux là.

- Ils sont dans ma classe, je devrais bien leur parler à un moment où à un autre…

- Exact, mais être en contact ne veut pas dire être amis. C'est hors de question.

- Bien, fit-il en claquant sa langue contre son palet. Puisque le sujet est clos, est-ce que je peux monter dans ma chambre ?

- Va donc, nous contacterons les Akitorishi demain matin pour régler cette histoire de tableau une bonne fois pour toute.

- Et où est-il, ce tableau ? Je veux dire qu'est-ce qu'ils comptent en faire ?

- Il est détruit…

- Oh je vois, quoi de plus facile que de le détruire pour effacer les preuves, répondit-il sur un ton ironique.

- Figure-toi que c'est leur fille qui l'a mis en miettes, à croire que ta petite copine ne t'aimait pas autant que ça, suivit sa mère sur le même ton.

- Je monte, répondit-il après une pause et puis un hochement de tête.


Michael les entendaient s'échauffer alors qu'il gagnait sa chambre. Malgré toutes ses obligations, il voyait bien que son père faisait un effort pour se contenir, contrairement à sa mère. Il ne voulait plus écouter toutes ces jérémiades et s’enferma à double tour dans son antre. Et c’est seulement à cet instant, ou la clé tourna dans la serrure et quand il s'installa dos à la porte, qu’il se permit de verser ses larmes en secret.

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