Chapitre 7

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Le bus déposa Felix et Fleur devant le lycée.

Le ciel s'était couvert depuis qu'ils avaient quitté la maison. Derrière le plafond grisonnant persistait une tâche sombre, la promesse d'un orage qui éclaterait à n'importe quel moment, sans prévenir. Un peu comme l'avait fait la famille Foladel ce matin.

Felix avait la gorge sèche, les mains moites. L'anxiété s'était agrippée à ses tripes et les tirait de tout son poids, obligeant le garçon à ralentir sa marche pour ne pas trop en souffrir. Hier, il craignait de déshonorer sa famille. Aujourd'hui, il craignait de ne plus pouvoir la déshonorer du tout. Sa vie était en jeu, tout comme celle de son frère et de sa sœur. Fleur ne le montrait pas, mais la nouvelle l'avait bouleversée elle aussi. Participer aux Jeux Obscurs était une fierté, un moyen de faire respecter son nom à travers le monde et sûrement qu'elle les aurait remportés cette année. Mais jamais il n'avait été question de survie, de danger. Dans les jeux traditionnels, perdre était une déception, non pas un châtiment. Rien à voir avec ceux de 1850 que les adeptes avaient baptisé "Les Jeux sang Jeux"

Max, l'ami de Felix, émergea de la foule d'élèves et vint à leur rencontre.

— Waouh, on vous a déterré ce matin ? Vous avez de ces tronches.

Fleur envoya sa chaussure dans son tibia.

— T'es malade !

— C'est pas le moment.

— Je vois ça, grogna-t-il en massant son os endolori.

— Salut Max.

— Salut mon vieux. Alors, on fait la fête ce weekend ?

— Oui, confirma Fleur. On va essayer de s'organiser pour samedi soir.

— Tu es sûre ? Je ne pense pas que papa et maman vont vouloir partir ce weekend.

— Je vais m'arranger. Je pense que ça nous fera le plus grand bien.

Felix hocha la tête d'un air maussade. La réponse de sa sœur n'était pas aussi réjouissante qu'il l'eut espérée, peut-être parce qu'il l'interprétait comme un dernier moment de festivité à vivre.

— Cool ! Je vais essayer de piquer de l'alcool dans la cave de mon père.

Quelqu'un tapa l'épaule de Felix pour attirer son attention.

— Salut, lança Maéva, le visage fermé. On marche ensemble ?

Les yeux de Max s'ouvrirent en deux hublots étonnés et Fleur lui passa le bras au-dessus de l'épaule pour l'entrainer plus loin.

— Laisse les discuter, lui glissa-t-elle à l'oreille.

— Discuter ? Depuis quand ces deux-là discutent ?

Felix accepta et ils cheminèrent ensemble jusqu'à leur classe. Pas un mot ne fut prononcé et ils furent presque arrivés lorsque Maéva se décida à parler.

— L'autre jour, tu as évoqué un moyen de chasser ce qui se cache dans ma chambre.

— Oui, c'est vrai.

— J'ai besoin que tu le fasses, le plus vite possible.

Felix fronça les sourcils.

— Qu'est-ce qui se passe ?

La jeune fille sonda le couloir dans lequel ils se trouvaient pour vérifier qu'aucune oreille curieuse n'était à portée.

— Je crois que ça essaye de rentrer dans ma tête. J'ai l'impression de ne plus être maître de mon corps, de moi même. J'ai hésité à venir à l'école ce matin.

— Maître de ton corps ?

Les lèvres de Maéva remuèrent mais rien ne sortit. Elle regretta soudainement d'avoir fait part de ses problèmes à Felix. Qui était-il ? Pourquoi l'aidait-il ? Peut-être se moquait-il de sa mésaventure ?

— Tu peux tout me raconter, ne crains rien. Ça restera entre nous, lui assura Felix.

— Je crois qu'il agit à travers mon corps et mon esprit.

— Et qu'est-ce qu'il fait ?

— Rien de bien grave en soi. Il jette des insultes lorsque mon attention baisse. Ce matin, il a traité ma mère de pétasse pendant qu'elle buvait son café. Mais j'ai peur qu'il puisse aller plus loin.

Le garçon voulut sourire pour la première fois de la journée.

— Je sais, c'est plutôt drôle, gloussa discrètement Maéva.

Felix se figea, raide comme un piquet, et sa tête toute entière s'empourpra. Il eut très chaud tout à coup et davantage quand il sentit son entrejambe gonfler.

Ah non, pas maintenant. Obane par pitié faîtes quelque chose.

— Tout va bien ?

— Oui, tout va très bien.

— Tu es tout rouge.

Trouve un truc mignon à dire.

— C'est que... C'est la première fois que je te vois sourire.

— Il bande comme un cheval le petit vicelard.

Une voix grave venait de s'échapper de la gorge de Maéva. Par chance, elle fut bien plus déstabilisée par la manifestation du démon que par sa remarque et se rua vers les toilettes des filles.

Felix la suivit. À peine fut-il dans la pièce qu'elle s'était enfermée dans une cabine.

— Laisse moi. Tu ne peux pas m'aider.

— Je t'ai dis que j'étais capable de te libérer et je vais le faire, dit-il avec conviction.

Il attrapa son téléphone portable et demanda à sa sœur de le rejoindre. Une minute plus tard, elle entra.

— Qu'est-ce que tu fous ?

— Qui est là ? paniqua Maéva.

— C'est ma sœur. Elle peut nous aider.

— Quoi ? s'écria Fleur. Felix ne me dis pas que c'est la fille de ta classe ?

— Je n'avais pas le choix, le croque mitaine est en train de la posséder, expliqua-t-il en s'assurant de n'être entendu que par Fleur. Tu ne m'en avais pas parlé !

— Mais je n'en savais rien ! Il faut la purger sans plus attendre. J'ai une fiole en cuivre dans mon sac, mais il me faut du sel. Arrange toi pour en trouver dans les cuisines.

Felix partit dans la seconde et fonça en direction du réfectoire. Les portes n'avaient pas été verrouillées et il ne croisa personne dans les cuisines. Il trifouilla les placards suspendus aux murs avant de trouver un bocal en verre muni d'un bec verseur et empli d'une poudre de cristaux blancs.

Bingo.

De retour dans les toilettes, il retrouva sa sœur qui donnait des consignes à Maéva à-travers la porte.

— On va t'aider, ne t'en fais pas. Surtout, tu ne dois pas quitter ta cabine avant que tout soit fini.

— D'accord.

— Donne moi le sel.

Felix s'exécuta. Fleur versa les cristaux sur le carrelage et traça un cercle. Elle l'ouvrit à l'aide de son pied pour former deux demi-cercles et enferma la forme dans un carré.

— Très bien.

Elle positionna la fiole en cuivre au centre et s'assit en tailleur sur le sol.

— Assure toi que personne n'entre.

Felix plaqua son épaule contre la porte des toilettes et maintint fermement la poignée vers le haut.

— N'oublie pas Maéva. Tu ne sors pas tant que je ne te l'ai pas dit.

Elle colla la paume de ses mains devant son visage et, paupières fermées, se concentra.

— Oculus, aspire le.

La pièce étroite fut parcourue d'ombres fugaces et le démon de l'adolescente se manifesta en une silhouette au-dessus d'elle. Constituée d'une brume intensément noire, la forme ressemblait à un humain massif dissimulé sous une capuche.

Les bras du démon se braquèrent sur la cabine et il chuchota à voix basse. Il y eut un bruit d'aspiration puis un tintement métallique. C'était la fiole en cuivre qui tournait sur elle-même.

L'Oculus disparut et Fleur nettoya rapidement le sol.

— C'est fini, dit-elle en fourrant la fiole dans son sac. Bon, moi j'y vais sinon je vais rater le cours de math.

Maéva apparut, apeurée. Elle était incapable de décrire ce qui venait d'arriver, mais était convaincue d'avoir été sauvée.

— Accroche de la lavande à la porte de ta chambre. Ça t'évitera ce genre de souci.

Et Fleur quitta les toilettes.

Felix et Maéva se contemplèrent avec intensité.

— Merci, Felix.

C'était la première fois qu'elle l'appelait par son prénom.

La pire journée de sa vie venait brusquement de se transformer en rêve.

Enfin, ça aurait pu être le cas si Felix n'avait pas confondu le sel avec le sucre.


"Vous suivez Felix, Fleur et Clément depuis quelques temps maintenant et ces derniers aimeraient avoir un retour de votre part. Dîtes leurs ce que vous pensez de leur famille !"

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