Salem

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Crématoire d'Aschaffenburg, Bavière, Allemagne, 31 mai 2019

Je suis aux funérailles de Dieter, il est mort il y a trois jours de sa maladie de Parkinson, il avait 74 ans. Peu de monde : des neveux impatients de recevoir leur héritage ; deux pensionnaires du home où il résidait, avec des aides-soignants ; quelques amis ; et moi, Michael, ou Mike pour les intimes.

Dieter n'a pas voulu de curé, seulement la Marche funèbre de Siegfried, tirée du Crépuscule des Dieux, de Wagner. Mon ami était un grand amateur d'opéras, il allait chaque année à Bayreuth.

Je ne reste pas après la cérémonie, je déteste ces agapes où l'on oublie rapidement le défunt en buvant. Ou boit-on pour oublier qu'on sera le prochain dans la caisse ?

Dans le train qui me ramène à Munich, je sors mon smartphone et je regarde les seules photos que j'aie de Dieter : celle que je préfère est celle où l'on ne le voit pas, celle où il m'entoure avec ses bras.

Quelle ironie ! Dieter est mort exactement 56 ans après m'avoir dépucelé.

École du Château de Salem, Bade-Wurtemberg, République Fédérale d'Allemagne, 28 mai 1963

Quelques jours auparavant, on nous avait annoncé la venue d'un photographe américain, Will McBride. Il voulait faire des photos à l'internat, en particulier à la salle des lavabos. La direction avait accepté, à condition qu'on ne voie aucun pénis sur les clichés et que les participants soient volontaires et signent un papier. Je m'étais tout de suite annoncé, que ne ferait-on pas pour rater une interrogation de latin ? Et j'avais pu convaincre Dieter, assez réticent au départ, de m'accompagner. Nous étudiions souvent ensemble, il avait de la peine et je l'aidais. Sa chambre était à un autre étage et nous ne lavions pas ensemble, je me réjouissais de découvrir enfin sa bite.

À huit heures du matin, nous nous sommes déshabillés dans la chambre et nous nous sommes rendus, nus, aux lavabos. Will avait installé des projecteurs, il avait deux assistants avec lui. Il a fait un petit casting, nous a examinés attentivement. J'ai eu de la chance, il m'a désigné comme son modèle principal (je n'ai jamais su si c'était à cause de ma grosse queue). Les photos paraissent spontanées, elles étaient toutes soigneusement mises en scène et nous sommes restées mouillés pendant des heures. Heureusement, il faisait chaud.

Suivant la suggestion du photographe, Dieter m'a serré dans ses bras, j'ai senti son pénis érigé entre mes fesses. J'ai eu la même réaction, Will a fait de nombreux clichés pour sa collection personnelle. Nos camarades ont ri, Will a dit que c'était naturel et qu'il n'y avait aucune honte à avoir, qu'il était bisexuel et qu'il baisait aussi bien avec des hommes que des femmes. Il nous a encouragés à nous toucher, nous caresser, d'autres ont bandé.

Le soir, je suis allé avec Dieter dans le bois qui entourait l'école, nous nous sommes embrassés et avons fait l'amour.

Nous nous sommes quittés après avoir obtenu le bac, nous avons échangé nos adresses, mais nous ne sommes jamais revus. J'ai connu d'autres hommes : Manfred, Gerd, Helmut, Joachim et ceux dont j'ai oublié le prénom. Je pensais souvent à Dieter, j'achetais tous les livres où ces photos étaient publiées. J'ai essayé de le retrouver sur Facebook, il n'avait pas de compte.

Berlin, Allemagne, 19 septembre 2014

J'avais reçu une invitation : un collectionneur, Thomas Herrendorf, publiait un nouveau livre avec les photos de Salem et m'invitait au vernissage, en présence du photographe. Avec l'aide de Will, qui avait noté nos noms, et d'un détective, il avait pu retrouver une bonne partie des participants.

J'étais très ému lorsque j'ai reconnu Dieter, il n'avait pas beaucoup changé après tant d'années. Il tremblait déjà un peu à cause de sa maladie, cela ne l'a pas empêché de me serrer dans ses bras, derrière moi, comme sur la photo, j'ai senti son pénis érigé entre mes fesses.

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