Au final, voilà

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Je me suis fait renverser par une ambulance.

Je marchais dans la rue pour aller retirer. Mais une ambulance a déboulé, plein phares. Elle ma heurté. Puis le vide. Quelques lumières, des cris, de l'agitation. A mon réveil, j'étais seul. Tu t'es déjà réveillé après un accident, avec des chirurgies et une vilaine dose de morphine ? Tu comates, tu captes plus grands chose, coincé entre le conscient et le sommeil. Le temps passe, et ça s’arrange. Tu parviens à comprendre que tu ne comprends rien. La première étape de la conscience. Le coup dur, il arrive en ouvrant les yeux. C'était pas un rêve lucide qui a mal tourné. Tu t'es vraiment prit l'ambulance. T’es la, sur un lit blanc, dans une chambre blanche. Rien ne sera plus pareil.

Ça laisse un goût d'amertume dans la bouche. Tu sais, cette violente impuissance tragique. Elle tardait à venir, à s’accomplir. Le drame se présentait pourtant à chaque lucidité. Ce truc là, tu le sens, tu l’aperçois et, con que tu es, la seule chose que tu oses faire, c'est de ne pas y penser. Mais bon, comme tout le monde, j'ai retourné le problème sans solution. L'amertume au final, c'est pas d'être là, en miettes, avec ce Bip Bip interminable. Le truc qui fait chier, c'est d'avoir eu raison sur son avenir. Ne pas voir la mort dans les choses de la vie, ça transforme l’existence en une belle abstraction. Là, la désespérance de l’univers entier que j’aperçois, c'est juste la réalité. Et la réalité, elle est amère, surtout quand tu la prends dans la gueule.

J'ai le temps maintenant. Tu sais comment je m'occupe ici ? En me demandant si mourir à cause d'une ambulance, c'est comique ou tragique. Si c'est une de ces ironies tellement fortes qu'on ose la comprendre. Pt'être bien qu'il y a de ça, au fond. Si la vie est un spectacle, chaque action contribue à une grande scène, un immense théâtre sans véritable spectateur, ni acteur conscient. Comme ces troupes de comédiens auto-gérées. Il y en a peut être des gens capable de voir la vie comme un ensemble insensé de scènes. Il sont là, bien calés dans leurs fauteuils de spectateurs, détendus.

Ca me rassure un peu. Un mec m'a peut être vu être fauché par l'ambulance et a rigolé - parce qu'au fond, il n'y a rien de mieux à faire. Lui, il a comprit qu'il n'y avait finalement rien à comprendre. Ce que je me demande juste, c'est si c'était lui à ma place. Si il parviendrait à rire malgré son corps brisé. S'amuser de sa propre mort, mais vraiment, sincèrement. Ça c'est incroyable. J'en ai jamais vu. Avant, je pensais que je l'étais un peu, ou du moins, que j'aurais pu l’être, ce type là, le type accompli. Le genre de gars convaincu que le seul enjeu, c'est la légerté. Voilà, le rire léger, comme ultime conquête. J'aurais pu, mais la vie emporte tout.

Parce que tout passe. Parce que je suis là et qu'au fond, je l'ai toujours été. Bah quoi ? Tu veux pas l'entendre ? Je te le dis mon vieux, je ne fais que chauffer ta place. Toi aussi, tu vas vouloir retirer des sous pour t'acheter une merde puis, hop ! Le destin ! Hop ! Comme ça. Tu vois ? Hop Hop Hop ! Ta vie, la mienne et celle de ton chien ! Hop ! Le poison rouge du gamin ! Hop ! Le gamin lui même ! Rien de plus simple !

On est des putains de mourants. On est tous ce rien détruit par le néant. Et quoi ? Tu veux d’autres vérités? Il y en a pas mon gars. Un jour, le soleil ne se lève plus, parce que tu meurs. L’univers va s’éteindre. La dernière pensée du dernier homme contemplant ce spectacle de la fin des temps, ce sera pour cette amertume envahissant son âme en entier.

Avec de la chance, ta fin, ce sera pas à cause d’une ambulance. Pt'être un truc plus glorieux. Une attaque terroriste, un crash d'avion et même la fin du monde ! Tu imagines ? La planète croise un astéroïde et Hop ! Plus rien ! Le temps s'arrête. Après toi, le vide. Pas de jaloux, pas de rancune. Face à un astéroïde, il y a rien a faire. Mourir en disant que le monde te suis, c'est plus grandiose. Tu vois, tu pars pas seul. On te permet de croire en la grandeur de ta mort. Sacré privilège, je te le dis.

Mais là, avec une fichue ambulance, il y a aucune grandeur. On espère mourir d'une invasion extra-terrestre, d’un super volcan, mais on crève comme des cons. C'est ça aussi mon regret : d'avoir été assez con pour l’espérer, même inconsciemment. Tiens, voilà ma grande pensée philosophique d’avant la faucheuse : pt'être que dans une société stérile de spiritualité, incapable de faire face à la mort, on veut la provoquer. Dans un autre excès de sur-contrôle qui nous est si caractéristique, on se jette là-dedans. Forcément, quand l’inconscient n’a que les névroses pour affronter ses vices, c’est pas joyeux. L'autodestruction à l'échelle civilisationnelle. En général, c'est pas signe de bonne santé. Enfin, j'en sais rien, on s'en fiche au fond, non ?

Je suis là comme un con à parler seul dans ma tête. Et les autres alors, et les grand de ce monde, ils ont été comme moi ? L'homme universel, c'est le mec perdu impuissant en train de crever ? Au moins, la mienne n’est pas dans la panique. Mais d'autre meurent fous. Ça, c'est déjà mieux. Tu te créé ton propre délire, histoire de bien encaisser l'affaire. A la Nietzsche, en mode ”je me créé une belle excuse pour ne pas accomplir mon destin”. Putain, j'ai même pas écris de livre. Foutu pour moi la naissance posthume. Il y aura pas de connard en costard pour poser de belles fleurs sur ma tombe. Parce que moi, je meurs pas avec la nation ou l'art - je meurs seul. C'est ça, la vraie histoire de l'humanité.

Je meurs seul, parce que mes pères ont tué Saint pierre. Ils ont ridiculisé l'ésotérisme - en inventant le mot ”ésotérisme”. Puis ils ont fait pire. Un jour, perdus et apeurés, ils ont créé le progrès. Avant, ça n’existait pas, mais il fallait bien un joli mot pour ce rien. « Progrès », c’est toujours mieux que « Crever seul dans un hôpital ».

Putain. Ça fou les nerfs. On nous prive tous - toi, moi et les putains d’inconnus - d'une mort digne et forte. A mourir comme des désespérés on finit par vivre comme des dépressifs, comme des lâches, comme des enfants, à payer le facteur pour rendre visite à Maman. Tiens, c'est peut être ça l'amertume dans la bouche : être victime de la propagande de notre chère civilisation, pour au final te retrouver seul face au néant. C'est comme un pote qui t'emmène à l'autre bout du monde à coups de promesses, puis une fois arrivés, se tire et te laisse en plan. Voilà, moi je suis ce naïf solitaire d’avoir accepté d'être aussi con. A ce niveau, c'est pas du karma, c'est de la mécanique.

J'aurais aimé être hindou et partir le sourire aux lèvres, persuadé de me réincarner en chat. J'aurais aimé être ce chrétien, souffrant ma vie entière pour cette instant de paix face à la mort - quand il est sûr de bientôt rencontrer Dieu. Avant, le monde croyait en ces conneries. J'ai du mal à l'imaginer. Il devait y avoir une certaine sérénité, une volontaire distance face aux volontés du corps et caprices de l'esprit. On s'en foutait du progrès : on ne fuyait pas la mort - alors on restait là, sur place. On prenait soin de ne pas manger du porc, puis on mourait, content.

Maintenant, il y a même plus le réconfort de la connerie. J'aurais aimé être superficiel par profondeur. Mais non, je suis juste là, renversé par une ambulance alors que j'allais à la banque.

Tu veux une chute, vraiment ? Le docteur m’a dit que j’allais vivre au moins 10 ans. Mes proches refusent de me buter. De toute façon, c’est pas autorisé. Voilà. La société entière fuit la mort à coups de téléphone, de morale, de connerie. Et moi, je suis dans ce fichu lit, seul. Que dire d’autre ? Je me suis fait renverser par une ambulance en allant à la banque – et je n’ai jamais écris de livre.

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